Bénin : Green Keeper Africa innove en exploitant la jacinthe d’au, véritable vermine des rivières et des lacs

Dans la sous-région, la jacinthe d’eau envahit rivières et lacs. Des investis­seurs béninois ont créé la première bioraffinerie du continent, qui transforme cette vermine en produits aux vertus inattendues.

Fohla Mouftaou, cofondateur de GKA, sur le lac Nokoué. © Delphine Bousquet/AFP

Fohla Mouftaou, cofondateur de GKA, sur le lac Nokoué. © Delphine Bousquet/AFP

Fiacre Vidjingninou

Publié le 26 avril 2017 Lecture : 3 minutes.

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David Gnonlonfoun, ingénieur en bâtiment franco-béninois, et Fohla Mouftaou, pédiatre belgo-béninois, n’avaient a priori rien en commun, si ce n’est la volonté d’investir dans un projet qui ait un impact sur le développement local dans leur pays d’origine. Lauréats du prix de l’incubateur francilien Bond’innov et soutenus par le fonds d’investissement coopératif Solidarités entreprises Nord-Sud (Sens-Bénin), ils créent Green Keeper Africa (GKA) en août 2014.

Leur idée : valoriser la jacinthe d’eau, une plante invasive considérée comme un fléau mais dont la tige, la feuille et la racine, une fois transformées, présentent, entre autres, des capacités d’absorption et de filtrage hors du commun.

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Cauchemar des riverains

C’est au bord du lac Nokoué, à 35 km au nord de Cotonou, dans la commune lacustre de Sô-Ava, que les entrepreneurs ont choisi de mettre leur projet à exécution. Ici, comme sur les lagunes, les rivières et les fleuves de la sous-région, la jacinthe d’eau dicte sa loi. Elle gêne l’activité des pêcheurs, bloque la navigation, asphyxie les poissons et augmente l’incidence de certaines maladies. « C’est la plante la plus invasive au monde : 10 plants peuvent en produire 800 000 autres en moins de huit mois », explique David Gnonlonfoun.

Véritable calvaire pour les riverains, la jacinthe d’eau est d’ailleurs nommée « tôgblé », qui signifie en langue fon « le pays est gâté/ruiné ». Pourtant, certains habitants de Sô-Ava commencent à l’appeler « tognon » (« le pays est bon/s’améliore »).

L’entreprise est aussi innovante que solidaire

Dépollution

Opérationnelle depuis mars 2015, la bioraffinerie de GKA a en effet changé la donne. Car l’entreprise est aussi innovante que solidaire. Des activités de collecte se sont rapidement structurées dans les communautés locales autour de la raffinerie : aujourd’hui 700 récoltants (dont 85 % de femmes) vendent désormais des jacinthes d’eau séchées à la raffinerie pour 400 F CFA (60 centimes d’euros) le sac de 10 kg.

L’écosystème est ainsi régulièrement débarrassé de ses « mauvaises herbes », qui sont transformées en produits biofertilisants ou biocombustibles, en fibres alimentaires pour les animaux (notamment pour la cuniculture – l’élevage des lapins) et, surtout, en une poudre absorbante 100 % organique utilisée pour la dépollution de sites contaminés par des hydrocarbures ou des huiles industrielles.

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Ce créneau est très porteur puisque, utilisés en prévention ou en urgence, sous forme de kits, en sacs ou en barils, ces solutions s’adressent aux garages, aux professionnels du BTP, aux sites industriels, aux sociétés pétrolières, etc. Dès 2015, GKA a décroché un premier contrat de nettoyage industriel auprès de la filiale locale du suisse Oryx, distributeur de produits pétroliers.

Applications

Lancée avec un apport initial de 3 millions de F CFA (4 570 euros), l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 32 millions de F CFA en 2016 et emploie 14 personnes. Elle vise désormais les marchés nigérian, ivoirien et camerounais et espère aussi diversifier son offre de produits combustibles. « Nous sommes en train de négocier avec un cimentier pour que cette fibre imbibée de déchets d’hydrocarbures soit utilisée comme combustible dans ses fours », confie David Gnonlonfoun.

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Avec l’appui de ses partenaires académiques et industriels, GKA poursuit ses travaux de recherche et développement (R&D) afin d’exploiter les propriétés de la jacinthe d’eau dans des applications aussi différentes que les tests de bioremédiation des sols contaminés par les hydrocarbures, qu’elle a commencé à commercialiser en 2016, ou la fabrication de serviettes hygiéniques, le projet qu’elle est en train de développer.

L’entreprise réfléchit par ailleurs à reproduire sa stratégie dans les pays voisins, victimes eux aussi de l’invasion de la jacinthe d’eau.

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