Sahara occidental : l’Algérie à bout de nerfs
Les derniers événements survenus à Guerguerat ont ravivé le mécontentement des autorités algériennes. Elles ne cessent de plaider pour le droit des Sahraouis à l’autodétermination.
Maroc – Algérie : les fantômes de Guerguerat
Depuis l’entrée du royaume dans l’Union africaine, la tension ne cesse de croître entre les deux frères ennemis du Maghreb. Au cœur de leur discorde, le conflit au Sahara occidental, qui s’est envenimé ces derniers mois. Reportage à Alger, à Rabat et sur la « ligne de front », entre les postes-frontières marocains et mauritaniens.
Au deuxième étage du siège de l’ambassade de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), à Alger, le visiteur ne peut manquer les deux grands cadres qui ornent les murs de cette villa mauresque bordée par des palmiers.
En face de l’escalier, une photographie en noir et blanc de Mustapha Sayed el-Ouali, l’un des fondateurs du Polisario (tué en juin 1976 lors d’une bataille à Nouakchott), en compagnie du général Võ Nguyên Giáp, héros de l’indépendance vietnamienne. À droite, un autre cliché du même Sayed, assis sur un fauteuil avec le président algérien Houari Boumédiène, grand défenseur de la cause sahraouie.
Stand-by
Bien que ces deux photos témoignent de cette époque révolue où l’Algérie était la Mecque des révolutionnaires, le temps y semble figé. Aussi figé que peut l’être cette question du Sahara occidental, dont le règlement s’éternise depuis plus d’un quart de siècle. « La Minurso [Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental] a été créée en 1991 dans le but d’organiser un référendum dans les deux ans, rappelle Bouchraya Hamoudi Bayoune, ambassadeur de la RASD à Alger. Elle existe encore. Vingt-six ans après sa mise en place, ce référendum est toujours en stand-by. »
Dans son bureau, au troisième étage de la bâtisse, Hamoudi Bayoune, qui fut deux fois Premier ministre de la RASD dans les années 1990 et 2000, reçoit avec le café, des dattes fraîches et une carte détaillée de la région. Alternant l’arabe et le français, l’homme embraye sur le dernier épisode de cette guerre larvée entre Marocains et Sahraouis.
« La brèche ouverte par le royaume à Guerguerat est illégale, affirme-t-il. Elle n’existe pas dans le plan de cessez-le-feu. Cela est inacceptable. Nous avions informé l’ONU dès 2002 que les Marocains violaient l’accord en pénétrant au-delà du mur. Ils ont commencé à goudronner la route vers la Mauritanie, puis le reste est venu. Chaque jour, une moyenne de 300 véhicules, dont 150 semi-remorques, traversent la Mauritanie pour rejoindre le Sénégal, le Mali ou la Gambie. Nous ne les avons pas arrêtés. Nous avons seulement refoulé les véhicules qui font de la provocation avec le drapeau marocain. Le royaume règle ses problèmes économiques en piétinant les accords de 1991 », estime ce diplômé d’une université de La Havane.
La brèche ouverte par le royaume à Guerguerat est illégale. Elle n’existe pas dans le plan de cessez-le-feu.
« Nous n’avons pas positionné nos troupes à cause de Guerguerat seulement, poursuit-il. Cet épisode est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il n’est que la conséquence d’une série de violations. Le Maroc rejette le référendum, empêche la mission de l’ONU de faire son travail, expulse son personnel, refuse de cesser l’exploitation des ressources naturelles du Sahara, et s’est opposé à la visite du représentant des Nations unies, Christopher Ross. Bref, Rabat fait tout pour bloquer le processus onusien. Cela ne peut pas durer. »
En état d’alerte
Le risque d’une reprise du conflit armé n’est pas à écarter, juge Bouchraya Hamoudi Bayoune. « À court terme, les provocations marocaines peuvent mener à une déflagration, soutient-il. La balle est du côté de l’ONU. Si elle ne prend pas ses responsabilités, nous serons dans l’obligation de nous défendre. Nous ne voulons pas de reprise de la confrontation, mais notre armée est en état d’alerte. »
Dans son vaste bureau au ministère des Affaires étrangères, un immense complexe de 70 000 m², un haut responsable algérien estime, sous le couvert de l’anonymat, que la question sahraouie est « un problème de décolonisation ». L’Algérie n’a pas modifié d’un iota sa position : elle continue de réclamer l’organisation d’un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU, comme le Maroc et la RASD en ont pris l’engagement il y a vingt-six ans. « Or il y a une volonté du royaume de ne pas s’y conformer », dit-il.
Soutien indéfectible de la cause sahraouie, Alger est souvent accusé par son voisin de l’Ouest d’être un troisième belligérant dans ce vieux conflit. « L’Algérie n’est pas partie prenante, objecte le diplomate. Jamais elle ne l’a été, jamais elle ne le sera. L’ONU dit qu’il y a deux parties responsables, et non trois, à savoir le Maroc et le Polisario. Pour autant, nous ne nous soustrayons pas à notre devoir de soutenir le peuple sahraoui. L’autodétermination est un principe marqueur de l’identité de notre diplomatie. Que demandons-nous ? Le respect de la légalité internationale. Si à l’issue du référendum, les Sahraouis veulent un État indépendant, tant mieux pour eux. S’ils veulent devenir marocains, grand bien leur fasse. Mais il faut qu’ils puissent décider eux-mêmes de leur destin. »
Il faut que les Sahraouis puissent décider eux-mêmes de leur destin.
Les deux chefs de la diplomatie algérienne n’en disent pas moins. Le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, qui juge que « le territoire du Sahara occidental est distinct et séparé du Maroc », considère que le « droit international et africain doit être appliqué pour parvenir à une solution pacifique à ce conflit qui n’a que trop duré ». Et le ministre des Affaires maghrébines et africaines et de la Ligue arabe, Abdelkader Messahel, en appelle au nouveau secrétaire général de l’ONU, António Guterres, pour « donner un nouvel élan » à un processus agonisant.
Un boulet
Aussi sensible soit-elle, cette affaire n’est pas le seul sujet de crispation entre Rabat et Alger. Près de dix-huit ans après l’accession au trône de Mohammed VI et l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika, les deux pays n’ont jamais été aussi distants, leurs relations aussi fraîches.
Les reproches et les griefs des Algériens contre le Maroc sont multiples : ils dénoncent des discours inamicaux, des attaques et des campagnes jugées « offensantes » contre le président Bouteflika, que certains médias du royaume ont récemment donné pour mort, le cannabis du Rif qui « inonderait » leur pays, les revendications territoriales du chef du parti de l’Istiqlal, Hamid Chabat, sur certaines de leurs régions… « Nos relations ne peuvent redevenir sereines si ces comportements persistent, prévient notre diplomate. Avez-vous déjà entendu un dirigeant algérien attaquer la personne du roi Mohammed VI ? »
Ex-ambassadeur d’Algérie à Madrid, où il lui arrivait de rencontrer Driss Basri, l’ancien homme fort du roi Hassan II, Abdelaziz Rahabi fut l’une des chevilles ouvrières, au ministère des Affaires étrangères, de la reprise, en 1988, des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc. Il se plaît à rappeler le communiqué algéro-marocain du 16 mai 1988, qui « stipule l’appui des deux pays à un référendum d’autodétermination se déroulant dans une sincérité absolue sans contrainte d’aucune sorte ».
Le Maroc doit entreprendre des gestes de bonne volonté sur la question sahraouie.
La reprise des relations entre les deux voisins « s’est justement faite sur la base de l’organisation de ce scrutin, ajoute Rahabi. Or le Maroc refuse de s’y conformer. Le cessez-le-feu de 1991 lui a fait gagner du temps et des positions ». Fin connaisseur du système algérien, l’ex-ambassadeur considère que l’affaire du Sahara constitue « une question de sécurité nationale » pour son pays, dès lors que le différend se déroule au niveau de ses frontières.
Le Sahara occidental, un boulet qui empoisonne les relations entre les deux voisins du Maghreb et obère leur normalisation ? « La question du Sahara était pendante quand l’Algérie et le Maroc ont repris leurs relations diplomatiques en 1988, fait remarquer Rahabi. Elle l’était toujours au moment de la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA). Elle n’a pas non plus empêché la réouverture des frontières en 1989, avant que les autorités algériennes décident de les fermer en 1994, à la suite des accusations des Marocains sur une prétendue implication de l’Algérie dans l’attentat terroriste de Marrakech. » Aujourd’hui, la donne a changé. La question sahraouie est désormais un point clé pour espérer une réouverture des frontières. « Le Maroc doit entreprendre des gestes de bonne volonté », affirme l’ex-ambassadeur.
Soutien français
Depuis des années, ce sujet a, de plus, un impact direct sur les relations entre Algériens et Français. Ramtane Lamamra le dit sans fioritures : « Le Sahara occidental est l’un des principaux désaccords entre nos deux pays en matière de politique extérieure. » Le Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, avoue que le soutien de la France à Rabat et à son plan d’autonomie est « inadmissible ».
Cette position, adoptée par le président Valéry Giscard d’Estaing dès 1975 est régulièrement mise en cause par les responsables algériens devant leurs homologues français.
« Il faut que vous restiez équidistant dans ce dossier, sans pencher ni pour le Maroc ni pour l’Algérie », a affirmé Abdelmalek Sellal à François Hollande lors d’une entrevue entre les deux hommes. « Le soutien de la France aux thèses marocaines est une menace pour les intérêts diplomatiques de l’Algérie », souligne Rahabi.
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