Télécoms : le sud-africain MTN à l’heure du rebond ?
Fragilisé par une série de déconvenues, dont une amende record infligée par le Nigeria, le géant africain tente de se relancer. Avec à sa tête un nouveau dirigeant, Rob Shuter, recruté en Europe.
Sa mission à la tête du groupe sud-africain MTN a pris fin le 10 mars. Depuis, Phuthuma Nhleko, président du conseil d’administration du premier opérateur africain de télécoms, a retrouvé un rôle non opérationnel. Le poste de directeur général est désormais occupé par Rob Shuter, recruté en Europe, où il dirigeait neuf filiales du concurrent Vodafone.
Mais on ne décroche pas aussi facilement quand on a tenu le gouvernail d’un géant comme MTN en pleine tempête pendant seize mois. De passage à Genève le 21 mars à l’occasion du Africa CEO Forum (coorganisé par le groupe Jeune Afrique), Phuthuma Nhleko a chamboulé son programme pour échanger longuement avec la délégation de Macky Sall.
Le président sénégalais suit avec intérêt la recomposition du secteur des télécoms entamée dans son pays au début de 2017 par la vente de la filiale locale du luxembourgeois Millicom à l’homme d’affaires Kabirou Mbodje. Le groupe Sudatel, présent sous la marque Expresso, chercherait lui aussi à quitter le territoire. Selon le quotidien sénégalais L’Observateur, MTN est sur les rangs.
Séisme
L’arrivée du groupe sud-africain au Sénégal serait cependant une surprise tant il est apparu ces derniers mois occupé à gérer la pire année de son histoire. À la fin d’octobre 2015, le régulateur nigérian (Nigerian Communications Commission, NCC) lui a infligé une amende de 5,2 milliards de dollars (4,8 milliards d’euros) pour ne pas avoir déconnecté 5,1 millions de cartes SIM non identifiées. Prévue à partir de 2010, cette mesure était devenue obligatoire en 2012 afin de lutter contre les organisations criminelles, à commencer par la secte Boko Haram, à laquelle Abuja mène une guerre sans merci.
« Nous aurions dû être plus réactifs », a reconnu début mars Phuthuma Nhleko dans les colonnes du journal en ligne sud-africain Tech Central, lors de l’une des rares interviews qu’il accorde. Mais c’était une mesure difficile à respecter car les Nigérians ne sont pas tous détenteurs d’une carte d’identité, précise le président du conseil d’administration de MTN, qui admet cependant de graves dysfonctionnements internes.
La décision de NCC a provoqué un séisme qui a été fatal au directeur général du groupe à l’époque, Sifiso Dabengwa, contraint à la démission deux semaines après l’annonce de la sanction. Le dirigeant avait déjà été fragilisé à la mi-2015 par un mouvement social inédit de deux mois en Afrique du Sud. Une minicrise au regard de ce qui a suivi, mais qui avait déjà poussé vers la sortie Ahmad Farroukh, un des barons de la compagnie.
Réduire notre exposition au marché nigérian
Dans l’urgence, Phuthuma Nhleko, président du conseil d’administration non opérationnel depuis 2013, est revenu aux affaires. Nommé une première fois PCA en 2001, il avait ensuite été PDG de MTN, de 2002 à 2011, s’imposant comme l’architecte du développement international du groupe. En quelques années, sous son commandement, l’opérateur avait multiplié les acquisitions de licences. Il est aujourd’hui présent dans vingt-deux pays en Afrique et au Moyen-Orient (contre six en 2001) et réalise un chiffre d’affaires annuel de 10,2 milliards d’euros.
À la fin de la dernière décennie, Phuthuma Nhleko avait même entamé des discussions pour une fusion avec l’indien Bharti. L’opération avait été bloquée par Pretoria, poussant Sunil Mittal à jeter son dévolu sur les opérations africaines du koweïtien Zaïn pour créer Airtel. « Même si en Inde la concurrence est rude, cela aurait réduit notre exposition au marché nigérian », regrette encore aujourd’hui le PCA de MTN. Le leader sud-africain compte en effet 62 millions d’utilisateurs dans la première économie du continent, soit 25 % de la totalité de ses clients.
Enquête
Face à l’ampleur de la sanction prononcée par le régulateur et à ses conséquences potentielles, MTN a rapidement pris le parti de négocier. À l’initiative de Phuthuma Nhleko, le groupe a fait appel à l’avocat Eric Holder, ancien procureur général des États-Unis, dont l’administration avait infligé en 2012 une pénalité de 4,5 milliards de dollars au pétrolier BP après l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique. Ramenée à 1,7 milliard de dollars en juin 2016, que MTN s’est engagé à payer en trois ans, l’amende a fortement pesé sur les résultats du groupe.
Ce dossier clos, l’opérateur n’a pas eu le temps de souffler. Trois mois plus tard, en septembre, le Sénat nigérian – soupçonnant le groupe sud-africain, malgré les dénégations du directeur général de la filiale, d’avoir rapatrié sans autorisation de la Banque centrale 13,9 milliards de dollars entre 2006 et 2016 – ordonnait l’ouverture d’une enquête.
Au sein du gouvernement, on dément avoir voulu affaiblir l’opérateur au point de le pousser au départ. Cela aurait été « irresponsable », a répondu le ministre de tutelle du régulateur, Adebayo Shittu, cité par le Financial Times. Et cela n’a pas été le seul obstacle auquel a dû faire face l’opérateur, dont le dernier exercice affiche une perte de 108 millions de dollars, ce qui ne lui était pas arrivé depuis vingt-deux ans.
Récession, dépréciation du naira et déconnexion des clients non identifiés ont fait baisser son chiffre d’affaires de 1,4 % au Nigeria. Dans le même temps, MTN a dû s’engager dans un important programme d’investissement (604 millions d’euros) pour déployer ses réseaux 3G, et surtout 4G, et améliorer la qualité de ses services. À l’heure des comptes, sa rentabilité a fortement reculé.
Sa marge Ebitda a chuté de 6,6 points par rapport à 2015, pour s’établir à 46,4 %, sans même compter l’impact de l’amende. Après avoir accepté, sous la pression du gouvernement, de coter sa filiale à la Bourse de Lagos, MTN ne semble pas pressé de s’exécuter. En revanche, le groupe devrait sauter le pas à la fin de 2017 au Ghana, où ses résultats sont satisfaisants.
Résilience
Le marché sud-africain a lui aussi montré des signes d’essoufflement. Si le chiffre d’affaires a augmenté de 4,7 %, porté par la vente de smartphones au second semestre de 2016, la marge Ebitda a reculé de 0,5 %. Là encore, les investissements consacrés au réseau (764,4 millions d’euros), mais aussi des dépenses de marketing en hausse expliquent cette mauvaise performance.
Le seul rayon de soleil de l’année pour MTN est venu d’Iran, d’où le groupe a pu rapatrier près de 900 millions d’euros, dont la moitié représente le remboursement d’un prêt accordé à cette filiale pour l’achat de la licence en 2005.
Même si le cours de l’opérateur à la Bourse de Johannesburg a baissé de 35 % ces dix-huit derniers mois, les analystes soulignent sa capacité de résilience. « Le groupe est assis sur un pactole d’environ 2,7 milliards de dollars et, même dans les moments difficiles, il génère entre 2 et 3 milliards de dollars de flux de trésorerie disponibles chaque année. La question est de savoir comment les utiliser pour créer davantage de valeur », estime Guy Zibi, fondateur du cabinet Xalam Analytics.
MTN est la vitrine de la réussite de la politique du Black Economic Empowerment [BEE]. Beaucoup de managers s’étaient endormis sur leurs lauriers. La nomination pour la première fois d’un Sud-Africain blanc à la tête du groupe marque une véritable évolution de la culture de l’entreprise
Dominant sur de nombreux marchés, MTN a adopté sous le règne de Sifiso Dabengwa une stratégie centrée avant tout sur les attentes financières des actionnaires et, finalement, peu portée sur l’innovation. En Afrique du Sud, les services traditionnels (voix, SMS…) ont représenté, sur le premier semestre de 2016, 70 % de ses revenus, contre seulement 52 % pour son rival Vodacom.
L’opérateur n’est pas encore véritablement entré dans l’ère du numérique, si l’on excepte ses prises de participation dans Africa Internet Holding et dans Middle East Internet Holding, deux filiales du spécialiste de l’e-commerce allemand Rocket Internet. Des investissements qui ont cumulé environ 24 millions d’euros de pertes l’an dernier.
Pour repartir à l’offensive, le conseil d’administration a donné carte blanche à Rob Shuter, avec à la clé un grand ménage de printemps au sein de l’état-major du groupe. « MTN est la vitrine de la réussite de la politique du Black Economic Empowerment [BEE]. Beaucoup de managers s’étaient endormis sur leurs lauriers. La nomination pour la première fois d’un Sud-Africain blanc à la tête du groupe marque une véritable évolution de la culture de l’entreprise », estime un consultant, ancien salarié du groupe.
Rob Shuter doit permettre à MTN d’anticiper l’évolution des télécoms grâce à son expérience sur des marchés bien plus matures que l’Afrique du Sud
Au total, une dizaine de cadres dirigeants ont été recrutés par MTN pour redonner du souffle à son management. Trois d’entre eux siègent au comité exécutif : Ralph Mupita en tant que directeur financier, auparavant numéro un de la branche marchés émergents de l’assureur Old Mutual ; Godfrey Motsa comme directeur général de MTN en Afrique du Sud, ancien directeur de la division grand public au sein du rival Vodacom ; et Stephen van Coller, vice-président chargé de la stratégie, des fusions et acquisitions, ex-patron de l’activité banque d’affaires de Barclays Afrique.
Sous surveillance
Cette nouvelle équipe aura pour mission de réaffirmer les règles de bonne gouvernance et de conduire la mutation du groupe. « Nous avons l’occasion de devenir Verizon [opérateur américain] et Alibaba [numéro un chinois du commerce en ligne] réunis », estime Phuthuma Nhleko. Dans cette perspective, « Rob Shuter doit permettre à MTN d’anticiper l’évolution des télécoms grâce à son expérience sur des marchés bien plus matures que l’Afrique du Sud », juge Dobek Pater, directeur général du cabinet de consulting Africa Analysis.
À court terme, la relance de la croissance passe par l’application du plan Ignite, dévoilé fin 2016. L’Afrique du Sud et le Nigeria se retrouvent placés sous surveillance. L’objectif est d’augmenter leur Ebitda de 15 % à 20 % d’ici à la fin de 2018 en renforçant le contrôle des coûts et en développant de nouvelles sources de revenus.
Bien sûr, des opérations de consolidation, voire d’acquisition de licences ou de concurrents sur de nouveaux marchés ne sont pas à exclure. Mais il s’agira surtout pour MTN de trouver la meilleure stratégie pour approvisionner en contenus et en services sa plateforme de 240 millions de clients. L’expérience du nouveau patron à la tête de la banque de détail de Nedbank pourrait le pousser à miser davantage sur les services financiers mobiles. Partenariats, co-investissement ou acquisitions, tous les scénarios sont envisageables.
Reste à Rob Shuter à assumer le rôle de l’homme providentiel pour que le numéro un africain des télécoms referme définitivement le plus sombre chapitre de son histoire.
Le choix contesté d’un Sud-africain blanc
Dès l’annonce de la nomination de Rob Shuter à sa tête, MTN a fait l’objet de critiques pour avoir recruté pour la première fois depuis sa création un Sud-Africain blanc comme directeur général. Le Black Management Forum, qui milite pour l’inclusion des Sud-Africains noirs dans le milieu des affaires, a immédiatement dénoncé une mesure rétrograde qui illustre la baisse du nombre de dirigeants noirs à la tête des entreprises cotées à la Bourse de Johannesburg.
L’entreprise s’est défendue quelques jours plus tard en réaffirmant sa participation à la transformation de l’économie nationale. MTN a notamment rappelé que 5 de ses 9 directeurs généraux sud-africains de filiales étaient issus du groupe des populations historiquement désavantagées (noires, métisses, indiennes…). L’opérateur a en outre défendu son choix en mettant en avant le CV de son nouveau patron, passé par Nedbank et Vodafone, dans une période de profonds changements.
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