Abdelghani Yalouz, le lutteur à la tête de l’Institut français du sport

Ce natif de Casablanca est devenu en France l’un des meilleurs spécialistes mondiaux de sa discipline : la lutte. À 49 ans, il vient d’être nommé directeur de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep).

L’athlète s’implique aussi dans l’associatif, pour aider des jeunes exclus du système scolaire. © Cyrille Choupas pour JA.

L’athlète s’implique aussi dans l’associatif, pour aider des jeunes exclus du système scolaire. © Cyrille Choupas pour JA.

Alexis Billebault

Publié le 20 avril 2017 Lecture : 4 minutes.

Bernard Amsalem s’en souvient encore. Quand il a proposé au ministère des Sports le nom de Ghani Yalouz pour devenir le directeur technique national de l’athlétisme français, l’ex-président de la Fédération n’a pas échappé aux attaques. « On ne comprenait pas pourquoi je voulais que ce soit un ex-lutteur et pas quelqu’un du sérail. Or j’ai pensé que choisir quelqu’un habitué au haut niveau, mais venant sans a priori, serait une bonne chose pour l’athlétisme français. Je savais également que Ghani était réputé pour sa façon de manager. »

C’était en 2009. Sept ans plus tard, Bernard Amsalem peut se féliciter de son choix : les résultats vont au-delà des espérances. Et le 11 mars, l’ancien lutteur, le plus médaillé des Français de la discipline au niveau international — que la rumeur envoyait dans un ministère —, a été propulsé directeur de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep).

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Au départ, le foot

Malgré des propositions émanant de pays du Golfe, du Maroc – où il n’a « plus trop le temps d’aller » – et de l’Algérie, Abdelghani Yalouz, dit Ghani Yalouz, 49 ans, restera donc en France. La raison ? « J’aime passionnément ce pays, tout simplement. »

Il fallait que je comprenne pourquoi l’athlétisme français n’obtenait plus de résultats malgré son potentiel.

Des clubs français de Ligue 1 ont aussi étudié son profil. Le football était sa première passion, atavisme oblige. Son père y a joué, avant d’entraîner un club à Casablanca. Le petit Ghani, footballeur jusqu’à l’adolescence, s’est orienté comme son frère aîné Abdel vers la lutte, « après avoir été déçu par un entraîneur. Khalid, mon autre frangin, était gymnaste. Oui, peut-être qu’un jour je travaillerai avec un club de foot… »

La page de l’athlétisme est tournée, et l’heure est forcément au bilan, après sept années passées au sein d’une institution souvent comparée à une lessiveuse. « Cette fédération, c’est neuf disciplines. Je suis allé vers les autres, car je suis curieux. J’ai discuté, écouté. Il fallait que je comprenne pourquoi l’athlétisme français n’obtenait plus de résultats malgré son potentiel. On a organisé des stages communs. Pour moi, le rapport humain, l’échange sont essentiels », explique-t‑il entre deux cafés et quelques SMS écrits à des contacts sans doute haut placés.

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Choc culturel

Né à Casablanca, Ghani Yalouz rejoint Besançon en 1973, à l’âge de 6 ans. « Mon père était parti six mois plus tôt, mais on lui manquait trop. » En France, l’ébéniste réputé au Maroc doit se contenter d’un job mal payé dans une fabrique de fenêtres, où il est employé à la chaîne. Sa mère, professeure de français, doit elle aussi abandonner son premier métier. Elle travaille dorénavant dans une horlogerie.

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Le choc culturel et climatique entre le quartier El Hank à Casa et la commune de l’est de la France ne perturbe pas le petit Abdelghani. « À partir du moment où j’étais dans une famille aimante, j’étais bien. » Ses parents (qui vivent toujours à Besançon) sont très à cheval sur les principes. « J’ai été élevé à la vieille école, avec comme bases le respect, la politesse, et j’ai reçu quelques coups de pied au cul quand même », précise Abdelghani Yalouz. Le couple grince un peu des dents quand le petit dernier voit ses rapports avec l’Éducation nationale se dégrader au fil des années, surtout après l’école primaire.

Comme les résultats sont vite arrivés, mes parents ont mieux vécu l’abandon de mes études.

Yalouz, qui prend définitivement ses distances avec les études après avoir décroché un BEP commerce, préfère se consacrer à la lutte, en prenant une licence au Club pugilistique bisontin. « Comme les résultats sont vite arrivés, mes parents ont mieux vécu l’abandon de mes études. » À 20 ans, le jeune Franco-Marocain rejoint l’Insep, l’élite du sport français, à Vincennes.

Médailles

Mais la séparation avec sa famille est plus difficile qu’il ne l’imaginait, et les cadences imposées par son nouveau cadre sont soutenues. Pour ne pas décevoir son père et sa mère, Yalouz s’accroche. Pendant plus d’une décennie, l’athlète squatte les sommets de la lutte mondiale, remportant plusieurs titres nationaux et mondiaux (1992, 1995) et garnissant ses étagères de multiples médailles, dont celle d’argent obtenue aux Jeux olympiques d’Atlanta en 1996.

À son retour de Géorgie, avec cette notoriété grandissante, il prend la grosse tête, dépense sans compter, jusqu’à ce que certains de ses amis le ramènent à la réalité. « Il fallait que j’arrête mes conneries. Après la fin de ma carrière, en 2000, j’ai passé mes diplômes de professeur de sport et intégré la Fédération française de lutte, où j’ai exercé plusieurs fonctions. » Quelques mois plus tard, Yalouz passe à l’athlétisme, se donne sans s’économiser, au point d’être victime de deux burn-out…

Je suis convaincu que le sport peut permettre à des jeunes qui se cherchent de trouver leur voie.

Et cet hyperactif, qui parvient à conserver une vie de famille équilibrée avec sa femme et ses deux filles, a trouvé le temps d’écrire un livre en 2015 (Bleu, blanc, or) et s’implique, via Action Prévention Sport et Impulsion 75, pour aider les jeunes en difficulté à accéder à l’emploi grâce à la pratique sportive. « Si j’ai décidé de rejoindre ces associations, c’est parce que je suis convaincu que le sport peut permettre à des jeunes qui se cherchent de trouver leur voie. » Un peu comme ce gamin passé à côté des études et qui s’est recentré grâce à la lutte.

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