Droits des femmes : Africaines du continent et diaspora, même combat ?

Les enjeux sont-ils identiques pour les Africaines du continent et celles qui font partie de la diaspora ? Les armes employées peuvent-elles être les mêmes ? Tour d’horizon.

Une manifestation de féministes au Canada en 1967. © Figure55/CC/Viméo

Une manifestation de féministes au Canada en 1967. © Figure55/CC/Viméo

Clarisse

Publié le 18 avril 2017 Lecture : 7 minutes.

Rokhaya Diallo, militante associative antiraciste. © Cyrille Choupas pour J.A
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Afroféministes et fières de l’être

Elles ne veulent plus que d’autres parlent en leur nom et elles prennent la parole. Pour défendre haut et fort leurs droits et leurs idées. Rokhaya Diallo est l’une de ces voix.

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Contraception, droit à l’éducation, accès aux métiers supposés masculins, code de la famille… Ce sont là quelques-uns des acquis dont bénéficient aujourd’hui les jeunes Africaines, sans savoir qu’ils ont été arrachés de haute lutte par les pionnières du féminisme sur le continent. « Et ce n’était pas gagné », sourit l’une d’elles, la Sénégalaise Marie-Angélique Savané. Selon elle, le mouvement féministe marque aujourd’hui le pas, de nombreuses avancées ayant été enregistrées, notamment en matière de lois. Pourtant, assure-t-elle, les combats féministes existent toujours, même s’ils se font plus individualistes.

Dans la plupart des pays, ils sont portés par diverses associations. Si, au Sénégal, ils sont surtout suivis par des citadines instruites, les habitantes des zones rurales évoluent et n’acceptent plus n’importe quoi, leur priorité étant de subvenir aux besoins de leur famille. Selon Savané, « les changements économiques ont pénétré les villages les plus lointains, et les femmes suivent le mouvement. Elles créent des groupes, prennent des initiatives. Elles savent aussi qu’elles peuvent avoir accès à la terre et que des lois les protègent. Vous seriez étonnés par le nombre de formations que ces femmes suivent afin d’améliorer leur mode de production. Le changement est plus profond qu’on ne l’imagine ».

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L’union comme force

Au Cameroun aussi des femmes se réunissent au sein d’associations diverses pour une multitude de combats (violences faites aux femmes, droit de disposer de son corps, etc.). Elles s’adaptent aux réalités du pays en privilégiant la négociation. « Il y a différentes manières de dire non à la condition qu’on leur impose, y compris l’acceptation de l’idée de se conformer à ce qu’on attend d’elles pour avoir la paix », explique la journaliste et écrivaine camerounaise Suzanne Kala-Lobè.

Cette dernière veut bien être considérée comme une féministe « si cela renvoie à une idéologie permettant de construire l’identité d’un genre humain que l’on a négligé ». Mais elle juge complexes les voies empruntées par les femmes africaines dans leur combat, au fil des années. « Par exemple, elles ne pouvaient pas utiliser un moyen aussi direct que le Manifeste des 343 salopes, ce qui n’amoindrit en rien leur détermination à ne pas être traitées en êtres humains de seconde zone. » Son combat est celui d’une femme privilégiée, car issue d’une famille matriarcale, où on lui a donné confiance en elle, sa mère et sa grand-mère lui enseignant ce qu’est la dignité humaine.

Dans Le Féminisme, fruit de la pensée universelle, Marie-Angélique Savané estimait déjà, en 1985, que le féminisme devait se décliner en Afrique suivant des modes d’expression spécifiques. Inutile, par exemple, d’utiliser les mêmes méthodes que les Femen : elles peuvent choquer. L’essentiel est de créer un espace de dialogue fructueux avec les hommes, bâtir des partenariats gagnant-gagnant, trouver une parité en tout.

Comment développer un pays si on ignore ce qui nous y rattache ?

Pour la Gabonaise Paulette Oyane Ondo, avocate et défenseure des droits de l’homme, être féministe au Gabon, c’est prendre sur soi d’éduquer les gens, de les révéler à eux-mêmes. « Mes compatriotes n’ont plus aucun repère. Certains s’imaginent que leur vie a commencé avec la colonisation, qui les a dépersonnalisés. Ils doivent se réapproprier leur histoire. Car comment développer un pays si on ignore ce qui nous y rattache ? »

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Et dans ce système, dit Oyane Ondo, le pouvoir est entre les mains des hommes. « La femme, considérée comme légère – un préjugé véhiculé en premier par Pierre Savorgnan de Brazza –, reste au bas de l’échelle. Piégée, elle doit accepter nombre de compromissions pour s’en sortir. »

Paulette Oyane Ondo regrette ainsi que les femmes gabonaises ne saisissent pas forcément le sens de son combat, compte tenu de leur faible niveau d’éducation. « Et Dieu gâte tout, souligne-t-elle encore, évoquant l’influence des Églises. Elles sont persuadées que tout ce qui leur arrive est dans l’ordre des choses et qu’il leur faut simplement prier. Elles sombrent avec délectation, puisque c’est la volonté de Dieu. »

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Ce qui la différencie d’une Fatou Sow, féministe africaine classique ? « Rien, dans le fond, si ce n’est l’impatience. Avec l’expérience, Fatou Sow sait sans doute mieux que moi que chaque petit pas compte. J’ai eu le tort, au début, de penser que je pouvais changer le monde d’un coup de baguette magique. »

Chanter ou danser dans des associations est une chose, défendre son point de vue de citoyen dans tous les domaines en est une autre

Les féministes africaines observent avec curiosité les afroféministes de la diaspora. « Il y a chez les afroféministes d’Europe un double positionnement qui se fonde sur leur africanité, explique Marie-Angélique Savané. C’est d’autant plus louable que la France condamne les communautarismes et a tendance à les voir partout, alors que les États-Unis les acceptent. » La militante dit les soutenir « par principe ».

Certes, leurs combats peuvent sembler éloignés de ceux des femmes du continent, mais elle apprécie leur engagement. « Longtemps, les femmes africaines n’ont pas eu d’identité claire, n’ont pas osé s’exprimer et prouver leur existence à la fois sociale, culturelle ou politique. Chanter ou danser dans des associations est une chose, défendre son point de vue de citoyen dans tous les domaines en est une autre. »

Des problématiques différentes selon les sociétés

Paulette Oyane Ondo, qui se définit comme afroféministe « car profondément africaine et féministe », reconnaît ne pas avoir les mêmes problèmes que les afroféministes de France, parce qu’elles évoluent dans des sociétés différentes. « Rokhaya Diallo défend son identité en tant que Française, ce que je n’ai pas à faire. De même, je n’ai pas à m’insurger contre les contrôles au faciès. En revanche, en France, aucune femme ne verrait sa maison brûlée parce qu’elle s’est exprimée ; ça m’est arrivé », sourit-elle amèrement.

L’avocate dit se retrouver en l’écrivaine Léonora Miano, qui n’est pas une militante au poing levé, mais une indignée qui intervient sur des questions de fond et s’insurge contre tous les archaïsmes. Elle a par exemple apprécié qu’elle manifeste sa désapprobation quand l’ex-ministre française de la Justice Christiane Taubira a été insultée.

Pour Suzanne Kala-Lobè, en revanche, le concept d’afroféminisme n’est pas opérationnel en Afrique : « Nous avons nos problèmes, non importés, qui nous touchent directement », assure-t-elle, tout en admettant pouvoir rejoindre les afroféministes sur certaines de leurs revendications.

Ce qui ne l’empêche pas de s’interroger. « Je respecte l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie. Mais je ne retrouve dans son discours un féminisme ni particulier, ni exacerbé, ni même déterminant. Il ne marque pas d’une pierre incandescente l’histoire du féminisme africain. Angela Davis et Benoîte Groult l’ont fait, elles, respectivement aux États-Unis et en France. »

Les jeunes afroféministes disent non aux archaïsmes, mais en adoptant une posture cosmétique

Et Suzanne Kala-Lobè d’enfoncer le clou : « On enferme Chimamanda Ngozi Adichie dans une espèce de tiroir, certes arrangeant sur le plan médiatique ou littéraire ; cela ne fait pas d’elle une féministe au discours très élaboré. Elle n’est ni une théoricienne ni une idéologue du nouveau féminisme africain, mais juste une fille de son temps. »

Pour Suzanne Kala-Lobè, « les jeunes afroféministes disent non aux archaïsmes, mais en adoptant une posture cosmétique. Angela Davis n’était pas isolée. Elle a intégré les Black Panthers et le Parti communiste. Elle ne faisait pas de snobisme de salon. Ce que font Miano, Diallo, Adichie est cosmétique, parce que c’est dans l’air du temps. Ce ne sont pas des femmes engagées dans des organisations pour la transformation et le changement du monde ».

À quand une Internationale afroféministe ?

Paulette Oyane Ondo déplore l’absence de ponts entre les féministes du continent et les diasporas, voire toutes les militantes du monde. Des grands-messes ont bien lieu, comme le Forum régional féministe, mais il n’y a pas de rencontres sur le terrain. La Gabonaise rêve d’une Internationale afroféministe qui se réunirait pour questionner le monde. « Il est impossible à la militante du continent d’agir seule, dit-elle. Quand nous aurons compris la marche du monde, nous prendrons conscience qu’il faut bâtir des ponts partout, fondés sur une vision commune du monde. » Savané précise pour sa part que le leadership ne doit pas nécessairement venir des Africaines établies dans les pays du Nord. « Celles qui viennent d’Occident ont tendance à s’imaginer qu’elles sont plus avancées, qu’elles en savent davantage. Certes, elles ont une liberté de ton, une facilité d’organisation qui font défaut en Afrique. Pour autant, elles ne doivent pas croire qu’elles vont venir porter la bonne parole. Qu’il vienne de Blancs ou de Noirs, le colonialisme, c’est toujours le colonialisme. »

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