États Unis - Mexique : Donald Trump va droit dans le mur !

Le président américain n’a pas renoncé à ériger une barrière pour contenir l’immigration clandestine en provenance d’Amérique latine. Mais les difficultés de tous ordres s’accumulent. Et le doute s’insinue.

La frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, le 29 mars 2017 © Rodrigo Abd/AP/SIPA

La frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, le 29 mars 2017 © Rodrigo Abd/AP/SIPA

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Publié le 3 mai 2017 Lecture : 5 minutes.

« Si vous voulez savoir comment fonctionne un mur, demandez aux Israéliens. Ils en ont construit un, et ça marche.

– Ça ne les empêche pas de recevoir des roquettes !

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– C’est un autre problème. Pour répondre à ce type de menace, il faut un vrai mur. Or ils n’en ont pas vraiment un. Enfin, pas un qui soit efficace. »

Sur le coup, les journalistes du New York Times qui interviewaient Donald Trump quelques semaines avant son élection n’accordèrent pas trop d’importance à ces propos, tant le fantasque milliardaire semblait voué à une inéluctable défaite. Sauf qu’il a été élu. Et que le désormais président des États-Unis persiste et signe : il veut bel et bien construire un mur le long de la frontière mexicaine afin d’endiguer l’immigration illégale.

« Long d’au moins 1 000 miles [1 600 km] et construit en panneaux de béton préfabriqué, l’ouvrage sera magnifique », avait-il précisé dès l’annonce de sa candidature, en juin 2015. Quant à sa hauteur supposée, elle a beaucoup varié au fil de la campagne : de 9 m à 15 m, en fonction de… son auditoire et de sa position dans les sondages.

Un mur made in America

Pourtant, dès le 25 janvier, le décret officialisant ce qui n’était encore qu’« une vague promesse électorale lui permettant surtout de se différencier de ses concurrents », comme le dit notre confrère Mark Seibel, à Washington, a été adopté. C’est que Trump a fort bien compris que le sujet était très, très porteur dans son électorat.

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Le 18 mars, un appel d’offres détaillé a été lancé par le département de la Sécurité intérieure et l’autorité fédérale des douanes. L’ouvrage fera entre 5,5 m et 10 m de hauteur ; sa partie enterrée mesurera au moins 2 m pour empêcher le creusement de tunnels ; et il sera suffisamment large pour ne pas pouvoir être percé en moins d’une heure. Enfin, comme l’exige le président, il sera entièrement made in America. Plusieurs centaines d’entreprises de travaux publics ont déjà envoyé leur dossier. Verdict début juin.

En théorie, rien ne s’oppose donc au démarrage des travaux. En pratique, c’est plus compliqué. Même dans le camp républicain et au gouvernement, certains en viennent à douter. Secrétaire à la Sécurité intérieure – et, à ce titre, chargé du dossier –, John Kelly a, lors de son audition devant le Sénat, le 5 avril, jugé « très improbable qu’[ils construisent] un mur ou une barrière physique d’un océan à l’autre ». Des obstacles à la fois géographiques, politiques et financiers s’y opposent.

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Une facture (très) salée

Trump n’est pas le premier à vouloir ainsi murer la frontière. Deux de ses prédécesseurs, Ronald Reagan et George W. Bush, s’y sont déjà essayés. Trois mille kilomètres séparent le golfe du Mexique de l’océan Pacifique. En Californie, en Arizona et au Nouveau-Mexique, la frontière est depuis 2009 hérissée de longues barres d’acier sur plus de 1 000 km.

« S’ils ne sont pas allés jusqu’au bout, c’est qu’ils ont été confrontés à des difficultés juridiques, explique Marina Whitman, de l’université du Michigan. Le gouvernement fédéral ne possède qu’un tiers des terrains bordant la frontière. Pour poursuivre les travaux, il va lui falloir négocier avec les propriétaires privés. Comme il a déjà dépensé 78 millions de dollars en indemnisations diverses et que le prix des terrains en Californie est vertigineux, la facture risque d’être salée ! »

Donald Trump risque de devoir lancer des procédures longues et coûteuses

Au Texas, Trump peut quand même difficilement menacer d’expropriation des gens qui ont pour la plupart voté pour lui à la présidentielle ! « Il risque de devoir lancer des procédures longues et coûteuses », estime encore Whitman. D’autant qu’il lui faudra compter avec les nations indiennes de la région (notamment les Tohono O’odham, en Arizona), notoirement hostiles à la construction d’un mur sur leurs terres ancestrales. Pour les y contraindre, le Président devra convaincre le Sénat de rompre unilatéralement un traité conclu il y a plus d’un siècle !

Même dans le cas de terrains fédéraux, les difficultés ne sont pas minces. Le Rio Grande marque la frontière avec le Mexique sur une distance d’environ 1 500 km. Or une convention internationale impose le libre accès à ses deux rives. En admettant même que Trump n’en tienne aucun compte, restera la question de savoir où construire physiquement le mur. « Les Mexicains n’autoriseront certainement pas qu’il soit édifié sur leur territoire. Va-t-on alors leur abandonner l’usage exclusif du fleuve ? » s’interroge Ryan Zinke, le secrétaire à l’Intérieur.

Le président mexicain resté chez lui

Seule certitude,  Les Mexicains n’envisagent pas une seconde de consacrer ne serait-ce qu’un peso à l’opération, contrairement à ce que Trump continue de promettre à ses compatriotes. La question était censée être au menu de la rencontre avec Enrique Peña Nieto, le président mexicain, en janvier. « Dans le cas contraire, ce n’est même pas la peine qu’il se déplace », avait commenté Trump, toujours aussi diplomate.

Peña Nieto est donc resté chez lui. Et il menace aujourd’hui de limiter les importations agricoles américaines, tandis que l’antiaméricanisme s’accroît dans son pays. Ironie de la situation, les seules entreprises de la région capables de fournir les 10 millions de mètres cubes de ciment nécessaires à l’édification du mur sont… mexicaines.

Si elle a lieu, l’opération devrait coûter aux États-Unis, selon les estimations les plus sérieuses, entre 31 milliards et 67 milliards de dollars (entre 28 et 32 milliards d’euros). Soit bien plus que les 10 ou 12 milliards annoncés par Trump.

C’est que le Président a tendance à prendre ses désirs pour la réalité. Son estimation ne prend en compte ni le coût des indemnisations ni celui de la maintenance de l’ouvrage…

Les démocrates du Congrès, refusant de lui accorder ce budget pharaonique, avaient menacé de ne pas voter le budget fédéral si la loi budgétaire présentée le 1er mai mentionnait des fonds consacrés au mur. Pour éviter le shutdown − la paralysie des administrations − le budget finalement présenté ne mentionne pas le mur si cher à Trump. Mais qu’en sera-t-il en octobre, quand les Parlementaires devront voter le budget fédéral de l’année 2018 ?

Les chiffres de l’immigration en déclin

En tout cas, l’évolution des flux migratoires ne justifie pas un tel investissement. Depuis la crise de 2008, le nombre des migrants illégalement installés aux États-Unis est passé de 12,2 millions à 11 millions. Le Pew Research Center, un organisme spécialisé dans la démographie, a calculé que, depuis 2012, 58 % des clandestins ne le deviennent qu’après l’expiration de leur visa.

« Pas sûr qu’un mur les incite beaucoup à rentrer chez eux », ironise la chercheuse D’Vera Cohn. Le vieillissement de la population mexicaine (et latino-américaine) pourrait en outre inciter la jeunesse à rester au pays plutôt que d’entreprendre une hasardeuse aventure américaine. Quant à l’efficacité du mur dans la lutte contre le narcotrafic, elle prête à sourire tant les cartels font preuve d’ingéniosité pour contourner les obstacles qu’on prétend leur opposer.

Après l’échec de sa réforme de la santé et celui de l’interdiction du territoire américain aux ressortissants de certains pays musulmans, Trump est donc à nouveau au pied du mur. Jusqu’à présent, ses échecs à répétition « ne semblent pas avoir affecté sa popularité », constate Mark Seibel. Sera-ce toujours le cas s’il est contraint de renoncer à l’une des promesses phares de sa campagne ?

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