Burkina Faso : Roch Kaboré peut-il changer le Burkina ?

Les premiers résultats des réformes engagées il y a un an sont plutôt positifs. Pourtant, Roch Kaboré, président du Burkina Faso doit encore relever des défis de taille pour répondre aux attentes sociales et rétablir la confiance entre l’État et les citoyens.

Le président du Burkina Faso nouvellement élu, Roch Marc Christian Kaboré, salue la foule rassemblée devant son quartier général après que les premiers résultats des élections le donnent vainqueur du scrutin. © Theo Renaut/AP/SIPA

Le président du Burkina Faso nouvellement élu, Roch Marc Christian Kaboré, salue la foule rassemblée devant son quartier général après que les premiers résultats des élections le donnent vainqueur du scrutin. © Theo Renaut/AP/SIPA

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Publié le 11 mai 2017 Lecture : 6 minutes.

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Burkina Faso : l’art du rebond

Les premiers résultats des réformes engagées il y a un an sont plutôt positifs. Pourtant, Roch Kaboré doit encore relever des défis de taille pour répondre aux attentes sociales et rétablir la confiance entre l’État et les citoyens.

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Ses proches assurent qu’il n’a pas changé. Qu’il est toujours resté le même, malgré le poids de la fonction. Qu’il n’a pas modifié ses habitudes. Il continue ainsi à résider dans sa demeure personnelle, se rend au palais de Kosyam chaque jour avec une escorte restreinte et aime aller à la messe avec les siens, tous les dimanches, comme il l’a toujours fait. S’il est resté ce personnage rond et affable, dont les qualités humaines sont louées même par ses plus farouches adversaires politiques, Roch Marc Christian Kaboré n’en est pas moins devenu le président d’un pays, et surtout d’un peuple, assoiffé de changement.

Le 29 novembre 2015, son élection dès le premier tour de la présidentielle soulevait une vague d’espoir, après quasi trois décennies sous la férule de Blaise Compaoré et douze mois d’une transition éprouvante.Près d’un an et demi plus tard, l’euphorie est retombée. Roch Kaboré est le chef d’un État confronté à de multiples défis. C’est désormais à lui, et à lui seul, que l’on demande des comptes. Difficile de trouver des excuses ou de pointer du doigt tantôt les pro-Compaoré, tantôt les responsables de l’ex-transition – comme son entourage a parfois eu tendance à le faire.

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Inquiétude post-attentat

Quelques jours seulement après sa prise de fonctions, le nouveau président fut confronté à ce qui sera probablement l’un des principaux enjeux de son quinquennat : la lutte contre le terrorisme. Le 15 janvier 2016, pour la première fois dans l’histoire du Burkina, un commando d’Aqmi assassinait 30 personnes dans le centre de Ouagadougou. Depuis, les attaques terroristes contre les forces de sécurité sont régulières dans le Nord. En particulier dans la province du Soum, frontalière du Mali, où le groupe Ansarul Islam, dirigé par Ibrahim Malam Dicko, un prédicateur peul radicalisé, fait régner la terreur.

Le président gère ce contexte sécuritaire tendu avec expérience et sérénité. Nous avons rapidement entamé la riposte, et des troupes supplémentaires ont été déployées sur le terrain

Le 16 décembre 2016, ses hommes tuent douze soldats lors d’une attaque contre le camp militaire de Nassoumbou, au nord de Djibo, provoquant un nouvel électrochoc à Ouagadougou. Un renforcement du dispositif sécuritaire dans le Nord est décidé. Le général Pingrenoma Zagré est remplacé au poste de chef d’état-major général des armées par le colonel-major Oumarou Sadou, originaire de cette région. « Le président gère ce contexte sécuritaire tendu avec expérience et sérénité. Nous avons rapidement entamé la riposte, et des troupes supplémentaires ont été déployées sur le terrain », assure l’un de ses collaborateurs.

Depuis l’attentat de Ouaga, rien n’a été fait. Nous n’avons pas reçu de moyens supplémentaires.

Il n’empêche. Une inquiétude certaine est aujourd’hui palpable au Burkina, longtemps épargné par le terrorisme et les groupes jihadistes. Plusieurs gradés ne cachent pas leurs craintes concernant la menace actuelle. « Depuis l’attentat de Ouaga, rien n’a été fait. Nous n’avons pas reçu de moyens supplémentaires. Nous avons surtout l’impression qu’il n’y a pas de volonté politique, voire que le problème n’est pas encore suffisamment grave pour être traité », confie un officier.

Une impatience palpable

Par chance, cette dégradation sécuritaire n’a pas eu d’impact sur la croissance économique. En 2016, le PIB a crû de 6,2 % – plus que prévu. Une bonne performance qui n’a pourtant pas enrayé la montée de la grogne sociale, ni empêché des grèves dans différentes branches du secteur public ces derniers mois : santé, médias, inspecteurs des impôts et des finances…

Il est encore trop tôt pour évaluer l’œuvre de “Roch”, mais, pour l’instant, il ne se passe quand même pas grand-chose

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Dans la rue, au quotidien, les Burkinabè ne perçoivent pas encore de changement concret et commencent à s’impatienter. La seule mesure saluée par tous est la mise en place de la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans – une promesse de campagne de Kaboré.

Après la victoire électorale, le 1er décembre 2015, dans les rues de Ouaga © ISSOUF SANOGO / AFP

Après la victoire électorale, le 1er décembre 2015, dans les rues de Ouaga © ISSOUF SANOGO / AFP

Pour le reste, les avis divergent. « Il est encore trop tôt pour évaluer l’œuvre de “Roch”, mais, pour l’instant, il ne se passe quand même pas grand-chose », déplore un habitué du sérail ouagalais.

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Même tonalité du côté de l’opposition. Son chef de file et président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), Zéphirin Diabré, considère que « 2016 a été une année perdue pour le Burkina ».

Début février, pour le premier anniversaire du nouvel exécutif, il a publié un mémorandum acerbe. « Demandez aux commerçants et aux travailleurs, ils vous diront que 2016 n’a rien apporté de significatif dans leur quotidien », déplore le président de l’UPC.

Le grand artisan du PNDES

Dans le camp présidentiel, on rétorque qu’il faut du temps et que le vrai bilan de Kaboré devra être dressé à la fin du quinquennat, en 2020. On rappelle aussi qu’en décembre 2016, à Paris, lors de la conférence des partenaires pour le financement des projets du Plan national de développement économique et social (PNDES) 2016-2020, le gouvernement est parvenu à récolter 12,2 milliards d’euros de promesses de dons de la part des bailleurs de fonds, auxquels s’ajoutent 16 milliards d’euros d’engagements d’investissement de la part du secteur privé. Un succès qui doit maintenant se concrétiser sur le terrain.

Grand artisan du PNDES, le Premier ministre, Paul Kaba Thieba, a été confirmé à la tête du gouvernement par le chef de l’État lors du remaniement du 20 février. Quelques jours plus tard, ce technocrate intégrait le bureau politique national du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le parti présidentiel, renforçant les critiques sur la mise en place d’un « État-MPP » façonné par Roch Kaboré et ses deux compagnons de route : Salif Diallo, le président de l’Assemblée nationale, désormais officiellement à la tête du parti, et Simon Compaoré, le ministre de la Sécurité, premier vice-président du mouvement.

Les fondateurs du MPP entendent aussi tourner définitivement la page du régime de Blaise Compaoré – dont ils ont tous été des cadres importants avant de basculer dans l’opposition – en promulguant une nouvelle Constitution. Élaborée par une commission idoine, cette nouvelle loi fondamentale, hautement symbolique, devrait être soumise à référendum d’ici à la fin de l’année. La question de la réconciliation nationale, thème porté par les partis de l’ex-majorité aujourd’hui réunis au sein de la Coalition pour la démocratie et la réconciliation nationale, sera un autre grand enjeu du quinquennat.

Relations rétablies avec la Côte d’Ivoire

À l’international, le président burkinabè, réputé pour son sens du consensus, a globalement su séduire ses pairs, tant sur le continent qu’en Occident. « Il a surtout réussi à rétablir des relations apaisées avec la Côte d’Ivoire, ce qui est fondamental pour le Burkina Faso », explique Cynthia Ohayon, analyste au sein d’International Crisis Group pour ces deux pays.

Toujours exilé à Abidjan, son prédécesseur, Blaise Compaoré, doit être jugé par contumace par la Haute Cour de justice depuis le 4 mai [le procès a été plusieurs fois reporté, NLDR] pour son rôle dans la répression de l’insurrection populaire d’octobre 2014, la première audience, fixée au 27 avril, ayant été repoussée. L’ouverture de ce procès rappelle que deux autres dossiers judiciaires majeurs sont à l’arrêt, malgré la volonté affichée par Kaboré de les « solder » rapidement : celui du putsch manqué de septembre 2015 et celui, plus sensible, de l’assassinat de Thomas Sankara, il y a trente ans, qui sera commémoré le 15 octobre.

Peur sur Le Soum

Attaques régulières contre les forces de sécurité, assassinats de civils suspectés de collaborer avec les autorités, populations menacées et terrifiées… Depuis la fin de 2016, les hommes d’Ansarul Islam, le groupe d’Ibrahim Malam Dicko, ont transformé la province du Soum, frontalière du Mali, en zone de non-droit. La situation y est aujourd’hui très préoccupante. Des écoles ont fermé, nombre d’enseignants ont fui, et les services publics de certaines localités tournent au ralenti – rappelant parfois la situation de certaines communes du centre du Mali voisin.

« Le mal est profond, et le ver est déjà dans le fruit », s’inquiète le directeur d’une école primaire, qui évoque un « sentiment d’abandon » au sein de la population. Début avril, Simon Compaoré, le ministre de la Sécurité, a effectué une tournée dans la province, au cours de laquelle il a tenu à rassurer les habitants en garantissant que « les choses [étaient] en marche » pour améliorer la situation. Des moyens humains supplémentaires ont été déployés le long de la frontière, et des postes avancés ont été établis. La coopération avec la force française Barkhane a aussi été renforcée, comme l’a montré, début avril, une opération transfrontalière menée conjointement par des militaires français, burkinabè et maliens.

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