Burkina Faso – Alpha Barry : « Nos relations avec la Côte d’Ivoire ne peuvent être quelconques »
Après s’être employé à restaurer la confiance des partenaires, le chef de la diplomatie burkinabè, Alpha Barry, continue de les mobiliser autour des défis sécuritaires, démocratiques et économiques que doit relever le pays.
Burkina Faso : l’art du rebond
Les premiers résultats des réformes engagées il y a un an sont plutôt positifs. Pourtant, Roch Kaboré doit encore relever des défis de taille pour répondre aux attentes sociales et rétablir la confiance entre l’État et les citoyens.
Il fut un familier du Guinéen Sékouba Konaté, puis a conseillé son successeur, Alpha Condé, dont il est proche, comme il l’est des présidents togolais et nigérien Faure Gnassingbé et Mahamadou Issoufou… Le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et des Burkinabè de l’extérieur est un homme de réseaux.
Avant de s’engager en politique, Alpha Barry, 47 ans, a fait carrière dans les médias. Diplômé en journalisme et en sociologie de l’université de Ouagadougou, il a intégré l’équipe de la radio privée Horizon FM, puis celle du Journal du soir (1994-2000). Correspondant de Radio France internationale à Ouagadougou de 1997 à 2012, il a collaboré avec plusieurs rédactions panafricaines ou internationales (dont Jeune Afrique, France 24 et Reuters Télévision) et, en 2008, a fondé Radio Oméga, devenue l’une des stations burkinabè les plus suivies pour la qualité de leur information et leur couverture de l’actualité en temps réel.
Il officiait depuis 2011 comme conseiller spécial du président guinéen lorsqu’il a été appelé par le président Roch Kaboré pour prendre la tête de la diplomatie, le 12 janvier 2016. Entre les attentats terroristes perpétrés trois jours plus tard à Ouagadougou et la quasi-crise diplomatique avec le voisin ivoirien due aux mandats d’arrêt lancés contre Guillaume Soro et l’ex-président Blaise Compaoré, les dossiers brûlants ne manquaient pas.
Jeune Afrique : Quel bilan dressez-vous de votre première année d’exercice ?
Alpha Barry : Il est positif, car le Burkina est de retour sur la scène internationale. Dès l’installation du gouvernement, nous avons travaillé à la relance économique, ce qui passait par la remobilisation de certains partenaires occidentaux, arabes et asiatiques : partout où des projets étaient à l’arrêt, nous nous sommes attelés à les redémarrer, en expliquant aux uns et aux autres que le Burkina était un pays auquel ils pouvaient faire confiance.
Ce travail a permis de relancer des projets routiers, la construction d’hôpitaux, les forages, etc. Il a aussi abouti au succès de la Conférence de Paris, en décembre 2016, avec des promesses de financement de 28 milliards d’euros exprimées par les bailleurs traditionnels et le secteur privé international.
En outre, à la fin de la transition politique, le Burkina a été salué comme un modèle pour son insurrection populaire et pour la résistance de son peuple à la tentative de coup d’État du général Diendéré. Nous avons expliqué à nos partenaires que ce modèle démocratique a besoin de soutiens pour prospérer.
Aujourd’hui, le danger est à nos portes, il est même chez nous. Nous devons nous concentrer sur nous-mêmes et sur la sécurisation de notre territoire pour y faire face
Enfin, la sécurité a été l’un des piliers de notre action diplomatique. Nous avons défendu l’idée d’un renforcement de la Mission des Nations unies au Mali [Minusma] et, surtout, du retour du bataillon de la mission de maintien de la paix au Darfour pour renforcer notre dispositif sécuritaire. Nous avons aussi œuvré avec l’ONU pour le redéploiement de nos troupes à l’intérieur du Mali et le repositionnement du G5 Sahel auprès de la communauté internationale.
Le Burkina de Blaise Compaoré s’illustrait par ses médiations. Comment le pays se positionne-t-il aujourd’hui ?
Le contexte a bien changé. Avant, le danger se situait ailleurs, dans d’autres pays où il fallait se rendre pour mener des médiations. Aujourd’hui, le danger est à nos portes, il est même chez nous. Nous devons nous concentrer sur nous-mêmes et sur la sécurisation de notre territoire pour y faire face.
Comment avez-vous contribué à apaiser les rapports qui s’étaient extrêmement tendus avec la Côte d’Ivoire pendant la transition ?
Le réchauffement a été avant tout une volonté de nos deux chefs d’État. Juste après l’installation du gouvernement, fin janvier 2016, ils se sont rencontrés au sommet de l’Union africaine, à Addis-Abeba, et ont décidé de privilégier la diplomatie. Avec le mandat d’arrêt qui venait d’être émis par la justice burkinabè contre le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro, et l’attaque de la poudrière de Yimdi [en banlieue de Ouaga, le 22 janvier 2016] par des soldats de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle [RSP] réfugiés en Côte d’Ivoire, il est évident que les tensions étaient perceptibles.
L’axe Abidjan-Ouaga est comparable au couple Paris-Berlin en Europe
Les deux présidents ont choisi le dialogue, car l’interpénétration est telle entre nos pays qu’il ne pouvait en être autrement. D’autant que Roch Marc Christian Kaboré et Alassane Ouattara entretiennent des rapports privilégiés, qui ont facilité l’apaisement – entre eux, ils s’appellent « neveu » et « tonton » pour plaisanter, parce que le père du président Kaboré était un collègue d’Alassane Ouattara à la Banque centrale [Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest, BCEAO, dont Charles Bila Kaboré a été vice-gouverneur de 1975 à 1982, avant de passer le relais à Alassane Ouattara].
Je pense que, de toute façon, le Burkina Faso, qui compte 4 millions de ressortissants en Côte d’Ivoire, ne peut entretenir avec elle une relation quelconque, et vice-versa. L’axe Abidjan-Ouaga est comparable au couple Paris-Berlin en Europe.
L’affaire des écoutes présumées impliquant Guillaume Soro et Djibrill Bassolé dans le putsch raté de mi-septembre 2015 est-elle définitivement close ?
Cette affaire relève de la justice. Nous n’en avons géré que les conséquences politiques et diplomatiques, mais n’interférons pas dans le dossier lui-même, au nom la séparation des pouvoirs. Nous avons toujours expliqué que ce mandat n’est pas une volonté du gouvernement contre les autorités ivoiriennes, mais la décision d’un juge. Et nous avons été plutôt bien compris par nos frères ivoiriens sur ce point. Cela a dépassionné le débat.
Le Burkina considère-t-il toujours la présence de l’ex-président Blaise Compaoré au bord de la lagune Ébrié comme une source de menace ?
Écoutez… [Silence]. Nous n’avons pas l’intention de nous mêler des affaires de la Côte d’Ivoire. Le fait que Blaise Compaoré y soit réfugié ne nous empêche pas d’avoir d’excellentes relations avec ce pays frère. Nos amis ivoiriens nous ont donné des assurances. Nous nous en tenons à cela.
Ces derniers mois, le pays est confronté aux attaques répétées de groupes terroristes dans le Nord. Comment y répondre ?
Le gouvernement organise la riposte, et les forces de défense se préparent activement pour mener cette guerre asymétrique. Petit à petit, avec les troupes du Mali et du Niger, notre armée met en place la force multinationale de sécurisation des frontières dans la zone du Liptako-Gourma. Cette force composée de 2 000 hommes et placée sous commandement nigérien va mener des opérations conjointes aux frontières des trois pays, à l’image de celles qui sont organisées autour du lac Tchad. Et nous appelons la communauté internationale à coopérer, et à soutenir le G5 Sahel en matière de logistique, d’équipements, de moyens de renseignements et de surveillance.
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