Guinée : le livre comme prisme de développement

Capitale mondiale du livre 2017, Conakry est la première ville africaine francophone à accueillir l’événement. La société civile entend en profiter pour défendre un projet de développement.

Sansy Kaba Diakité, dans sa librairie. © Hugo Hosegourd et Faustine Sappa pour ja

Sansy Kaba Diakité, dans sa librairie. © Hugo Hosegourd et Faustine Sappa pour ja

Publié le 8 mai 2017 Lecture : 6 minutes.

Au milieu des livres, rangés selon un classement approximatif, Sansy Kaba Diakité est chez lui. La librairie de L’Harmattan Guinée, maison d’édition dont il est le directeur fondateur, est située dans une petite rue de Kaloum, l’une des cinq communes de Conakry. Dans les rayons qui s’élèvent jusqu’au plafond trônent L’Avenir de l’industrie minière en Guinée, d’Ibrahima Soumah, Sékou Touré, président de la Guinée, d’André Lewin, ou encore le recueil Ébola, réunissant les quinze textes des lauréats du Prix du jeune écrivain 2015. Celui qui est aussi le commissaire général de Conakry, capitale mondiale du livre (CCML) parle avec emphase de la candidature de sa ville, qu’il a portée pendant dix ans. « Quand j’ai présenté ce projet au gouverneur de Conakry, il m’a dit : “Mais Sansy, tu es fou, pas dans un pays où il n’y a quasiment pas de bibliothèques, ce n’est pas raisonnable” », s’amuse-t-il.

Je veux que, dans dix ans, Conakry soit directement associé au livre, comme Ouagadougou l’est au cinéma ou Bamako à la photographie

Ranimer la flamme

Mais la passion aura finalement eu raison… de la raison : le coup d’envoi de CCML a été donné le 23 avril. Au programme, des salons, des formations, des présentations d’ouvrages… Mais, surtout, l’installation de 180 points de lecture dans le pays, comme autant de petites graines pour que, demain, la Guinée retrouve son rang d’acteur culturel majeur en Afrique.

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« Je veux que, dans dix ans, Conakry soit directement associé au livre, comme Ouagadougou l’est au cinéma (via le Festival panafricain du cinéma et de la télévision) ou Bamako à la photographie (via les Rencontres africaines de la photographie). » Le défi est de taille dans un pays qui compte près de deux tiers d’analphabètes*. « C’est bien pour cela que ce projet a du sens, plaide Sansy Kaba Diakité. Il y a tout à faire et nous voulons créer une dynamique vertueuse pour ranimer la flamme. »

L’histoire de la bibliothèque scolaire du collège de Coleah en est une belle illustration. En 2013, grâce au Programme des volontaires des Nations unies (PVNU) en Guinée, avec les organisations de jeunesse, ce local a été imaginé avec les moyens du bord. « Nous n’avions ni budget ni partenaire, se souvient Hassane Ide Hawidabou, chargé du PVNU en Guinée. Nous avons organisé une collecte de livres et de vieux meubles pour les transformer en étagères. »

Le résultat ? Une bibliothèque riche de 2 000 ouvrages, qui accueille plus de 3 500 élèves, et 2 000 autres livres, distribués auprès de cinq établissements scolaires du pays. Pour Afiwa Mata Ahouadjogbe, présidente de l’Association des femmes journalistes de Guinée, qui s’est investie dans l’aménagement du lieu, ce premier pas a permis de rendre crédible CCML : « C’est une grande fierté que d’y être parvenu et de voir que la société civile s’est mobilisée autour de cet objectif important. »

Médiathèque

Et ce n’était que le début car, depuis, les forces vives de Conakry fourmillent d’idées. Il en va ainsi de Diaka Camara, productrice et journaliste qui anime l’émission musicale Top 10 sur la chaîne privée Espace TV. Nommée ambassadrice de CCML, elle voit les choses en grand. Elle a ainsi le projet démesuré de construire une bibliothèque, « telle que j’ai pu en connaître pendant mes études aux États-Unis ». L’Unesco lui offre deux millions de livres et la commune de Matoto le terrain. « Nous prévoyons trois niveaux : un pour les enfants, un pour les adultes, et une médiathèque avec, sur le toit, un cinéma de plein air », s’enthousiasme-t-elle.

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À l’écouter, on s’y voit déjà. Sauf qu’il faudrait débloquer un budget de cinq millions d’euros pour transformer le rêve en réalité. Mais pas de quoi effrayer cette femme de caractère qui se dit prête « à en passer par un emprunt personnel s’il le faut ». En attendant, elle s’efforce de sensibiliser la jeunesse à la culture via son émission musicale, l’un des programmes les plus regardés de la télévision guinéenne.

« Je travaille à promouvoir l’intelligence, l’éducation et l’intégrité. Ce sont des valeurs importantes à inculquer, et je le fais par le biais de la musique, qui est au cœur de notre culture. Si j’avais proposé une émission directement politique, le message se serait perdu », affirme-t-elle.

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Études

Une ligne de conduite reproduite par la jeune garde, dont la star montante du R’n’B Soul Bang’s, lauréat du prix RFI Découvertes 2016. Ce jeune homme de 24 ans écrit ses morceaux aussi bien en soussou qu’en malinké et en poular, « afin de ne laisser personne sur le bord de la route », et insiste sur la nécessité, pour ses fans, de bien veiller à « poursuivre leurs études ».

Le livre, c’est la culture. La culture, c’est l’éducation. L’éducation, c’est l’émancipation

On retrouve le même souci d’exemplarité dans les propos de Keyla K, jeune rappeuse de 21 ans, titulaire d’une licence en communication : « Quand je veux aborder des sujets graves, comme l’excision, je slame. Le rythme est plus lent, la diction plus claire, c’est plus efficace pour faire passer mon message. »

Dans l’esprit de toutes les bonnes volontés ainsi impliquées, CCML doit avoir une portée bien plus grande que sa seule acception peut le laisser supposer. Le livre, c’est la culture. La culture, c’est l’éducation. L’éducation, c’est l’émancipation. « Il nous faut prendre les problèmes à bras-le-corps, et cesser de toujours tout attendre des autres, soutient Diaka Camara. C’est à nous d’agir et de prendre notre destin en main. »

Binta Ann. © Hugo Hosegourd et Faustine Sappa pour ja

Binta Ann. © Hugo Hosegourd et Faustine Sappa pour ja

Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si parmi les plus volontaires se trouvent des femmes et, qui plus est, des femmes issues de la diaspora, revenues au pays pour participer à son développement. Binta Ann est professeur d’anglais au lycée français de Conakry. Partie étudier en France et aux États-Unis, où elle a travaillé, elle est rentrée en Guinée il y a trois ans. « C’était pour moi une évidence, déclare-t-elle. Nourrie de toutes ces expériences à l’étranger, je me devais de revenir, pour être utile à mon pays. » Membre du comité d’organisation de CCML et à la tête de sa fondation pour les enfants et les femmes (Fonbale), elle accueille de jeunes enfants pour du soutien scolaire et les invite à apprendre à lire, car « qui a le savoir a le pouvoir », martèle-t-elle.

Ce n’est pas Hakim Bah, jeune auteur lauréat du prix RFI Théâtre l’année dernière, qui dira le contraire. S’il n’y avait pas eu un petit point bibliothèque chez lui, à Labé, jamais il n’aurait pu découvrir l’ivresse de la lecture, qui l’a poussé à l’écriture. Faulkner, Beckett, Thomas Bernhard : il a, entre ces murs, tout dévoré. Sept pièces écrites plus tard, il est désormais directeur artistique du festival de théâtre Univers des mots à Conakry, qui, pour sa quatrième édition, s’apprête à prendre une nouvelle dimension en se rattachant à CCML.

« Cette manifestation ne concernait jusqu’à présent que des auteurs africains, mais je veux l’ouvrir à l’international pour créer des ponts entre artistes africains et européens », souligne-t-il. Citons encore le cinéma avec le Festival de la création cinématographique de Guinée (Feccig), qui, début avril, a choisi pour thème « littérature et cinéma »… On comprend alors que CCML se veuille le catalyseur de tout le foisonnement culturel de la Guinée, entraînant avec lui, pour le meilleur, l’ensemble du pays.

Lire pour grandir

Depuis trois ans, Binta Ann accueille 200 enfants pour du soutien scolaire et des moments de lecture dans le centre financé par ses fonds propres, à Ratoma. « Je ne supportais plus de voir tous ces enfants laissés pour compte, au bord de la route. Un jour, je me suis arrêtée et je leur ai dit : “Venez, ne restez pas là, je vais vous donner des cours gratuits.” » Cinq permanents et une foule de volontaires œuvrent tous les jours pour rendre ce petit miracle possible.

« Le grand problème de la Guinée, c’est le déficit d’éducation. Il faut que les enfants grandissent avec le livre pour pouvoir sortir de la pauvreté. » Dotée d’une « plume sociale », elle est l’auteure d’une série de dix ouvrages destinés aux petits et répondant à leurs questions les plus courantes. Elle a contribué à l’ouverture de deux points de lecture, à Kipé et à Matam, parmi les 180 prévus dans le cadre de Conakry, capitale mondiale du livre. Le prochain s’installera dans les locaux de sa fondation, dans un conteneur qu’elle vient d’acquérir.

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