Cinéma : dans « Les Initiés », gros plan sur un tabou sud-africain
Violent rituel de circoncision, homosexualité… Dans un premier film tout en tensions, « Les Initiés », le réalisateur John Trengove lève le voile sur les non-dits de la société sud-africaine.
Difficile de savoir ce qui fait le plus grincer des dents. Qu’un réalisateur blanc se permette de filmer une tradition de l’ethnie xhosa ? Qu’il montre crûment des rapports sexuels entre des hommes noirs ? Qu’il lève le voile sur un rite d’initiation sacré et violent censé rester secret ?
Pour cette dernière raison, plusieurs acteurs ont reçu des menaces de mort… alors même que Nelson Mandela, également xhosa, décrivait cette pratique dans son autobiographie Un long chemin vers la liberté, sortie en 1994. En tout cas, le premier long-métrage du Sud-Africain John Trengove, Les Initiés (The Wound pour le public anglophone), ne veut pas et ne peut pas laisser indifférent.
À l’écran, le rituel de l’ukwaluka
L’intrigue pourrait être celle d’un documentaire ou d’un film à suspense. Xolani (interprété avec intensité par le chanteur gay Nakhane Touré), un ouvrier effacé, se rend comme chaque année dans les montagnes du Cap Oriental. Là, le temps d’un rite d’initiation qui dure plusieurs semaines, l’ukwaluka, il devient le khankatha d’un adolescent, une sorte de mentor qui doit l’aider à devenir un homme.
Le rituel se déroule en groupe, aux côtés d’une dizaine d’autres jeunes de l’ethnie xhosa, crâne rasé, le visage et le corps enduits d’argile blanche, vêtus d’une simple couverture. Mais Xolani cache un secret que le garçon qu’il doit accompagner cette fois-ci, Kwanda, ne tarde pas à découvrir : il est épris d’un autre homme, et profite du temps que lui laisse la cérémonie pour satisfaire son désir. Ces rapports sont évidemment tabous : au terme de l’ukwaluka, les initiés doivent se marier avec des femmes et procréer.
Des hommes noirs qui s’aiment
Homosexuel revendiqué, le réalisateur John Trengove a reconnu vouloir montrer dans son film des hommes noirs qui s’aiment. Son projet rappelle celui d’un autre long-métrage, oscar du meilleur film cette année : Moonlight, du cinéaste américain Barry Jenkins, qui suit le parcours d’un enfant noir de Miami découvrant progressivement son homosexualité.
Mais l’Africain-Américain filmait des rapports pudiques, des frôlements, des regards, des baisers. Le Sud-Africain, en gros plan et caméra à l’épaule, dévoile une sexualité passionnée, des pénétrations brutales, des corps qui se déchirent.
C’est le spectateur qui sort transformé de ce parcours initiatique
Une violence qui répond à celle que subissent les homosexuels dans le pays. L’Afrique du Sud dispose d’une Constitution très libérale sur la question, et le mariage gay est autorisé depuis 2006. Mais une étude réalisée dix ans plus tard montre que si l’homosexualité est tolérée par une majorité de citoyens, elle reste aussi pour eux moralement condamnable.
Dans cette même enquête, 450 000 Sud-Africains admettent avoir attaqué des femmes s’habillant ou se comportant comme des hommes, et 24 000 avoir battu des hommes s’habillant ou se comportant comme des femmes.
Habilement, Les Initiés révèlent les clivages qui persistent dans la société africaine entre Noirs et Blancs, milieux rural et urbain, populaire et aisé. Et pas seulement sur l’homosexualité. Avec le personnage de Kwanda, riche, gay, très critique envers les traditions et l’hypocrisie qui l’entoure, le réalisateur renvoie en fait l’Afrique du Sud à ses dissensions. Et c’est le spectateur qui sort transformé de ce parcours initiatique.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles