Capital-investissement : le private equity bientôt à maturité en Afrique ?

Réunis à Abidjan en avril, bailleurs de fonds et gestionnaires d’actifs se sont penchés sur l’avenir du private equity en Afrique. Une activité encore peu connue sur le continent, qui doit améliorer son image auprès des chefs d’entreprise et, demain, de l’opinion publique.

Cacao ivoirien (photo d’illustration) © Jacques Torregano pour JA

Cacao ivoirien (photo d’illustration) © Jacques Torregano pour JA

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Publié le 8 mai 2017 Lecture : 6 minutes.

Ni la brusque réduction du prix du cacao ivoirien, ni la déflagration causée par la dégradation de la note souveraine de l’Afrique du Sud, ni même les difficultés économiques du Nigeria ne semblaient troubler l’enthousiasme des 400 gestionnaires d’actifs réunis au début d’avril à l’hôtel Ivoire d’Abidjan pour la 14e conférence annuelle de l’Association africaine du capital-investissement et du capital-risque (Avca).

« C’est la meilleure édition à laquelle j’assiste depuis plusieurs années, avec celle de Lagos, en 2014 », s’enthousiasme Visseho Thierry Gnassounou. Ce Togolais, cofondateur d’Adiwale Partners, a multiplié les rencontres avec les bailleurs de fonds en marge d’une conférence dont les participants représentaient 15 milliards de dollars d’actifs.

La récession nigériane est une source d’opportunités, parce que les prix des actifs sont désormais raisonnables

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Le PIB du continent a beau n’avoir connu en 2016 que 2,2 % de croissance, sa plus faible progression depuis 1994, le private equity africain s’est rarement aussi bien porté. Signe de la bonne santé de ce secteur encore jeune sur le continent, pas moins de 145 deals ont été enregistrés l’an dernier, représentant 3,8 milliards de dollars (3,5 milliards d’euros) investis dans les entreprises africaines, soit la troisième meilleure performance depuis 2009.

Et 2,3 milliards de dollars ont été mobilisés par les fonds africains en 2016. Pour Akintoye Akindele, associé de Synergy Capital Managers, qui gère 100 millions de dollars, la récession nigériane est même « une source d’opportunités, parce que les prix des actifs sont désormais raisonnables ».

L’optimisme affiché par les gestionnaires de fonds d’investissement découle de l’expérience acquise après des premières années difficiles, dont ils ont su tirer les leçons. Les exemples d’« accidents industriels » datant du début de la décennie ne manquent pas. Ainsi, l’égyptien Qalaa Holdings, arrivé en fanfare il y a six ans aux commandes de l’opérateur ferroviaire ougando-kényan Rift Valley Railways (RVR), cherche désespérément depuis un an à vendre la société, qui accumule les pertes. De même, le géant américain Carlyle avait investi 147 millions de dollars en 2014 pour acquérir 18 % du nigérian Diamond Bank. Depuis, la valeur du titre à Lagos a été divisée par six.

Arrivée à maturité du secteur et des professionnels en Afrique

« Les années de forte croissance et les discours très optimistes ont attiré beaucoup d’investisseurs naïfs, qui ont parfois fait grimper les prix des actifs à des niveaux absurdes », reconnaît un manager basé à Londres, qui assure que « les montages financiers sont désormais plus sophistiqués, les opérations plus diversifiées ». Pour parer aux risques de change, les gestionnaires de fonds – levés généralement en euros et en dollars – structurent davantage leurs investissements : recours à des véhicules offshore, déboursement par étapes, endettement en monnaie locale.

Même dans les pays à faible croissance, il y a des industries qui sont en forte progression

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En outre, les deals multirégionaux, moins exposés à la conjoncture défavorable d’un seul pays, ont le vent en poupe. Ils ont représenté 36 % du total des transactions africaines entre 2011 et 2016, contre 9 % entre 2007 et 2010. Et les fonds misent beaucoup sur le recrutement des meilleurs gestionnaires. « Il nous est crucial de trouver les experts clés, qui peuvent faire la différence et améliorer l’efficacité opérationnelle. De sorte que même si les choses vont mal, nous arrivons toujours à accroître la rentabilité des firmes », fait valoir Antoine Delaporte, qui a mobilisé l’an dernier 199 millions de dollars pour son fonds panafricain Adenia Capital IV.

Les fonds spécialisés – notamment dans les infrastructures, l’agriculture, la santé et l’énergie – se sont multipliés. « Même dans les pays à faible croissance, il y a des industries qui sont en forte progression », fait valoir Sofiane Lahmar, associé de Development Partners International (DPI), qui gère 1,1 milliard de dollars d’actifs. Le manager franco-algérien pointe notamment la santé robuste de l’électroménager et de l’électronique grand public en Égypte, où DPI a investi 35 millions de dollars pour acquérir un tiers du leader local B.Tech.

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Autre signe de maturité, « des investisseurs africains de plus en plus pointus, tels que les fonds souverains [étatiques] et les fonds de pension [gérant l’épargne salariale, de retraite ou de prévoyance], apparaissent », note Michelle Kathryn Essomé, directrice générale de l’Avca, l’organisatrice de la conférence d’Abidjan. La Caisse nationale de prévoyance sociale de la Côte d’Ivoire (CNPS) a récemment investi aux côtés d’AfricInvest et d’Amethis Finance et prépare une prise de participation dans Eranove, filiale d’Emerging Capital Partners, le spécialiste des concessions de services publics en Afrique.

Des prises de choix encore peu nombreuses

Cependant, même s’ils sont désormais aguerris, les professionnels du secteur ont encore de nombreux défis à relever. En premier lieu, les prises de choix restent peu nombreuses et âprement disputées, ce qui fait craindre une nouvelle vague de valorisations excessives. En 2015, Amethis Finance et son partenaire Banque nationale du Canada se sont imposés après une âpre bataille face à Swiss Re pour le rachat d’un quart du groupe ivoirien de bancassurance NSIA. Réputé pour son efficacité, Helios Investment Partners a essuyé plusieurs échecs dans sa tentative de rachat du distributeur panafricain CFAO et d’entrée au tour de table de CDCI, coleader historique de la grande distribution en Côte d’Ivoire.

Sur le continent, les entreprises sont en grande majorité familiales. L’arrivée d’un étranger dans le cercle fermé où se prennent les décisions stratégiques est difficile à faire admettre

« Ces difficultés naissent des fortes réticences des entrepreneurs africains à ouvrir leur capital », expliquait un avocat d’affaires lors du Africa CEO Forum de mars, à Genève. « Sur le continent, les entreprises sont en grande majorité familiales. L’arrivée d’un étranger dans le cercle fermé où se prennent les décisions stratégiques est difficile à faire admettre, d’autant plus que cela expose au grand jour le mode de redistribution des richesses de la société, encore opaque dans de nombreux cas », regrette l’Algérien Slim Othmani, patron du groupe agro-industriel NCA Rouiba, qui a franchi le pas en 2006 en ouvrant son capital à AfricInvest.

Des patrons sceptiques

Les réserves observées chez certains patrons africains tiennent aussi aux méthodes souvent musclées et aux changements radicaux qu’imposent les fonds de private equity pour atteindre leurs objectifs de rentabilité. Or la plupart des success-stories emblématiques du secteur privé africain se sont faites sans recours à ces fonds : le sud-africain MTN et le kényan Safaricom dans la téléphonie, l’algérien Cevital dans l’agroalimentaire et la distribution ou encore Ethiopian Airlines dans l’aérien.

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Si le magnat nigérian Aliko Dangote a ouvert le capital de son groupe de cimenterie au fonds Investment Corporation of Dubai, la part de ce dernier est infinitésimale (1,4 %). À la fin de mars, le tycoon égyptien Naguib Sawiris exhortait les patrons de PME africains « à ne pas rester assis et […] à contacter les entreprises de capital-risque » pour faire grandir leurs entreprises. Tout le long de leur développement, le groupe familial fondé par son père tout comme son propre conglomérat (télécoms, médias, mines…) se sont pourtant bien gardés de suivre cette voie.

Dernier défi à relever, celui de l’image du capital-investissement dans les opinions publiques africaines. Encore peu connu sur le continent, ce métier financier échappe – pour l’instant – à l’opprobre et aux critiques adressées à ceux qui le pratiquent aux États-Unis et en Europe à cause de leurs profits faramineux et souvent peu taxés, et de leur indifférence au sort des salariés. Mais cela ne saurait tarder. Souvent domiciliés à Maurice, pour y bénéficier d’une fiscalité favorable, les fonds d’investissement consacrés au continent ne sont pas à l’abri d’une fronde semblable, alors que les critiques contre les inégalités émanant de la société civile se multiplient.

Un métier financier à plusieurs facettes

Le capital-investissement consiste à prendre des participations minoritaires ou majoritaires dans des entreprises, le plus souvent non cotées en Bourse, afin de favoriser leur développement. Les gestionnaires des fonds revendent leurs parts au bout de trois à douze ans avec l’objectif de faire une substantielle plus-value, soit par une introduction en Bourse, soit par une vente de leur part de capital à la direction de l’entreprise ou à un tiers.

Il se décline en quatre segments : le capital-risque (création-premiers pas des entreprises), le capital-développement (accompagnement des entreprises à fort potentiel de croissance), le capital-transmission (reprise d’une entreprise à maturité) et le capital-retournement (acquisition d’entreprises en difficultés).

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