Maroc : le gouvernement renoue le dialogue avec les syndicats, et après ?
Saadeddine El Othmani a fait des appels du pied aux principaux syndicats du pays, lesquels, encore traumatisés par la méthode Benkirane, apprécient. Cette embellie semble pourtant bien fragile.
«Ce n’est pas un nouveau gouvernement ! C’est toujours l’ancien, mais dans une nouvelle version. » Ces propos un brin désabusés de Miloudi Moukharik, secrétaire général de l’Union marocaine du travail (UMT), l’une des centrales les plus représentatives au Maroc, illustrent parfaitement l’appréhension nourrie par les leaders syndicaux quant à l’exécutif, désormais dirigé par Saadeddine El Othmani.
« Le programme gouvernemental ne contient aucune mesure en faveur des travailleurs. Il ne parle ni de hausse de salaires ni d’amélioration des indemnités. En revanche, il évoque une réforme du code du travail qui risque de rendre l’emploi encore plus précaire », s’époumone Moukharik devant le parterre d’affiliés à l’UMT, réunis pour le traditionnel défilé du 1er Mai.
Une fête du travail où les syndicats ont tous repris en chœur les mêmes revendications : « Amélioration des revenus », « préservation du pouvoir d’achat », mais aussi « institutionnalisation du dialogue social ».
Une approche différente ?
Pendant les cinq années de gouvernance Benkirane, les pourparlers entre l’exécutif et les syndicats ont bien souvent tourné au dialogue de sourds. « L’ancien chef du gouvernement ne négociait jamais avec nous. Il arrivait avec ses propres mesures et voulait nous les imposer, explique l’un des cadors de la Fédération démocratique du travail (FDT). Avec El Othmani, nous espérons que l’approche sera différente. »
Une aspiration envisageable. En effet, Saadeddine El Othmani a montré quelques signes pouvant laisser penser qu’il désirait lui aussi changer d’approche, et donc trancher par rapport à son prédécesseur. Les 24 et 25 avril, le chef du gouvernement a d’ailleurs réuni les centrales les plus représentatives du pays afin de lancer le premier round du traditionnel dialogue social.
« C’était une réunion pour échanger entre nous et expliquer les grandes lignes du programme gouvernemental. Le but n’était pas de débattre sur les revendications précises des partenaires sociaux. Ces discussions, nous les aurons au cours des prochaines réunions », explique Mohamed Yatim, le nouveau ministre de l’Emploi, lui-même ancien syndicaliste.
« Il nous a écoutés, raconte quant à lui un syndicaliste. Il n’a formulé aucun engagement concret, mais au moins nous pouvons dire qu’il y a désormais un chef du gouvernement prêt à écouter, contrairement à Benkirane, qui rompait le dialogue au premier désaccord. »
Pas d’affinités affichées
Tout numéro deux du Parti de la justice et du développement (PJD) qu’il est, El Othmani s’est aussi distingué de son prédécesseur par sa neutralité – et son absence – au cours des cérémonies du 1er Mai.
Alors qu’Abdelilah Benkirane mettait un point d’honneur à assister aux célébrations de la fête du travail aux côtés des responsables de l’Union nationale du travail au Maroc (UNTM), le syndicat proche de son parti, le nouveau chef du gouvernement a soigneusement évité de commettre ce qui, selon son entourage, aurait pu relever d’une certaine maladresse politique.
« Il prend de la hauteur ! Il représente l’ensemble des Marocains. Par conséquent, il n’a pas à afficher publiquement ses affinités avec tel ou tel syndicat », justifie l’un de ses proches.
Les syndicats constituent un partenaire majeur dans la mise en œuvre de la vision stratégique de réforme 2015-2030 pour le secteur
Au-delà des signaux de cordialité, la volonté de dialogue du gouvernement est bien réelle. « C’est un point sur lequel nous avons insisté lors de la déclaration gouvernementale, affirme le ministre de l’Emploi. Nous allons bientôt fixer un agenda de travail et réunir les différentes commissions concernées pour voir de près leur fonctionnement et, au besoin, rectifier le tir pour aller de l’avant. »
Cette volonté se concrétise également au niveau sectoriel. Passé du portefeuille de l’Intérieur à celui de l’Éducation nationale, Mohamed Hassad s’est lui aussi empressé d’envoyer quelques bonnes ondes aux représentants syndicaux relevant de son département.
« Les syndicats constituent un partenaire majeur dans la mise en œuvre de la vision stratégique de réforme 2015-2030 pour le secteur », a-t‑il souligné, au terme d’une réunion tenue le 27 avril, en insistant sur la nécessité d’institutionnaliser le dialogue social.
Combien pèsent les syndicats ?
Cela dit, dialoguer est une chose, négocier en est une autre. En l’occurrence, les syndicats égrènent une liste ambitieuse de revendications : amélioration du revenu, augmentation des salaires et des indemnités de tous les ouvriers, réforme des régimes fiscal et mutualiste, parachèvement des engagements contenus dans l’accord du 26 avril 2011, adoption de la convention 87 de l’Organisation internationale du travail (OIT), abrogation de l’article 288 du code pénal, jugé restrictif aux libertés syndicales…
« C’est le rôle des syndicats de porter ces revendications, reconnaît Mohamed Yatim. Mais il va falloir que le dialogue soit constructif et qu’il concerne des mesures à la fois responsables et réalisables. »
Ouverture au dialogue, d’accord. Signature d’un chèque en blanc à l’intention des syndicats, non. Voilà, en gros, le positionnement du gouvernement. D’autant plus qu’il est parfaitement conscient du fait que les centrales syndicales pèsent de moins en moins lourd.
Les élections professionnelles tenues en 2015 ont notamment démontré la perte de terrain des centrales : près de la moitié des 34 000 représentants élus des salariés du public et du privé sont sans représentation syndicale. Les mouvements de grève qui ont rythmé le quinquennat d’Abdelilah Benkirane n’ont eux-mêmes pas suscité de grande mobilisation.
Cela n’a pas empêché les syndicats de montrer leurs muscles et de faire quelques démonstrations de force. Leur capacité de nuisance a, par exemple, retardé la mise en place de la réforme paramétrique du régime de pension civile des fonctionnaires, entrée en vigueur à la fin de la législature.
Des tensions sociales présentes
Une réforme qui ne passe pas, puisque les centrales ne cessent d’exiger son abrogation. Cette requête, Saadeddine El Othmani n’est pas près d’y répondre, même s’il prend garde à ménager les syndicats. À l’occasion de sa première sortie médiatique, sur la chaîne privée Medi 1 TV, au soir du 29 avril, le chef de gouvernement a annoncé « la relance de la commission technique de la réforme des retraites » (au sein de laquelle les syndicats sont représentés) dans les cent premiers jours de son mandat.
Ce dossier n’est pas le seul sujet susceptible d’opposer son gouvernement aux syndicats, dont la plupart critiquent avec virulence le projet de loi organique sur le droit de grève, déjà soumis au Parlement.
Sans oublier « la-très-attendue » réforme du code du travail, que les syndicats voient évidemment d’un très mauvais œil. Et si, malgré les apparentes bonnes intentions d’El Othmani, ce nouveau quinquennat promettait encore plus de tensions sociales que le précédent ?
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