Maroc : la méfiance règne au sein du PJD

Des dirigeants qui lavent leur linge sale sur les réseaux sociaux, des manœuvres pour préparer le prochain congrès, des instances qui tournent au ralenti… Le Parti de la justice et du développement semble plus divisé que jamais. Risque-t-il pour autant d’imploser ?

Saadeddine El Othmani (à g.) et Abdelilah Benkirane, le 3 octobre 2016. © Sebastian Castelier/SIPA

Saadeddine El Othmani (à g.) et Abdelilah Benkirane, le 3 octobre 2016. © Sebastian Castelier/SIPA

fahhd iraqi

Publié le 24 mai 2017 Lecture : 5 minutes.

Jamais le Parti de la justice et du développement (PJD) n’a vécu de crise interne aussi aiguë que celle qu’il traverse aujourd’hui. Les suites de la nomination de Saadeddine El Othmani (numéro deux du parti) à la tête du gouvernement, le 17 mars, après l’éviction d’Abdelilah Benkirane (son numéro un), ont finalement eu raison de la discipline et de la solidarité partisane légendaires de la formation islamiste. Et pour cause, le nouveau chef du gouvernement a dû courber l’échine pour réussir là où son prédécesseur avait failli : former une coalition gouvernementale digne d’un cabinet d’union nationale.

Ce qui hérisse le poil des « frères » de Benkirane, c’est surtout l’intégration de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) à la majorité gouvernementale. Quelques jours seulement avant sa destitution, le patron du PJD mettait un point d’honneur à écarter une telle alliance avec le parti de Driss Lachgar : « Si vous voyez l’USFP dans le gouvernement, ne m’appelez plus Abdelilah Benkirane », déclarait-il, loin de se douter qu’il allait être royalement déposé.

La vérité, c’est que l’USFP a été imposée au Dr El Othmani

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Bien plus qu’une de ces déclarations incendiaires auxquelles le tribun en chef du PJD nous a souvent habitués, il s’agissait visiblement d’une condition validée par la direction du parti. Au lendemain de la nomination de Saadeddine El Othmani, le conseil national du PJD a d’ailleurs émis un communiqué dans lequel il affirmait que « les conditions de Benkirane restaient valables dans le processus de négociation ». Sauf qu’El Othmani est passé outre aux consignes et a fini par intégrer la formation socialiste au sein de son cabinet.

Joutes sur Facebook

Lorsqu’il a déclaré, à l’occasion de sa première interview télévisée, le 29 avril, que cette décision avait eu l’aval de la direction du parti, certains PJDistes se sont indignés avec force. Cette affirmation a été aussitôt démentie par Abdelali Hamieddine, membre du secrétariat général du parti. « Le secrétariat général a été mis devant le fait accompli. La vérité, c’est que l’USFP a été imposée au Dr El Othmani. C’est lui seul qui a accepté cette condition, et il a simplement transmis au secrétariat général que “le gouvernement [serait] formé avec l’USFP ou ne [serait] pas” », a écrit le tonitruant élu sur Facebook. Une publication qui a fait jaser.

Toujours sur les réseaux sociaux, d’autres militants du parti ont reproché au nouveau chef du gouvernement, lors de la même intervention sur Medi1 TV, d’avoir critiqué les membres du parti qui regrettaient l’issue des négociations gouvernementales. Parmi eux, on retrouve Bilal Talidi, membre du conseil national, et la députée Amina Maelainine. Cette dernière a également eu un échange houleux, à coups de « joutes Facebook », avec le ministre Aziz Rebbah, passé du portefeuille de l’Équipement, dans le gouvernement Benkirane, à celui de l’Énergie et des Mines dans l’équipe El Othmani. La situation a tellement dégénéré que le secrétaire adjoint du parti, Slimane El Amrani, s’est fendu d’un communiqué pour rappeler ses troupes à plus de calme.

Le « Ben Arafa du PJD »

Si les cadors du PJD en arrivent à étaler leurs désaccords sur la place publique, c’est aussi parce que les instances du parti ont du mal à fonctionner. Dès le lendemain de la formation du nouveau gouvernement, des membres du conseil national ont fait tourner une pétition pour appeler à un conseil national extraordinaire afin de « procéder à une évaluation de la situation du parti ». Une assemblée qui allait forcément tourner au « procès pour traîtrise » du président du conseil, Saadeddine El Othmani.

Lors d’un meeting du parti de la lampe, avant les locales de septembre 2015. © fadel senna/AFP

Lors d’un meeting du parti de la lampe, avant les locales de septembre 2015. © fadel senna/AFP

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D’ailleurs, la presse proche de Benkirane a « gratifié » le chef du gouvernement du sobriquet de « Ben Arafa du PJD », en référence au sultan installé par le protectorat après l’exil de Mohammed V. El Othmani a néanmoins pris soin d’éviter une telle réunion, qui risquerait d’accentuer la crise.

Idem pour le secrétariat général de la formation. Abdelilah Benkirane ne l’a quasiment plus convoqué depuis la fameuse réunion du 25 mars, durant laquelle l’organe directeur du parti a discuté des choix de ses cadres ministrables. Pis encore : après avoir asséné des tacles à ses anciens compagnons de route (notamment à Mohamed Yatim, nouveau ministre de l’Emploi et ex-secrétaire général de l’Union nationale du travail au Maroc), le leader du PJD s’est absenté pour changer d’air, s’accordant un petit congé à La Mecque, histoire d’effectuer une omra (petit pèlerinage).

C’est aller vite en besogne de croire que nous sommes finis

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Le blocage au sein de cette instance est devenu tel que, depuis La Mecque, Benkirane a finalement autorisé son adjoint à réunir le secrétariat général, au soir du 9 mai. Une assemblée qui a été sanctionnée par un communiqué appelant les PJDistes « à faire preuve de responsabilité, à rester attaché à la fraternité sincère, à une bonne gestion des différends pour contrer les détracteurs du parti ». Un aveu à demi-mot de cette guerre fratricide qui secoue les rangs des islamistes.

Mauvaise passe

Pour les observateurs politiques, la crise que traverse le PJD signe purement et simplement le début de la fin de la formation. Certains se fondent sur les résultats de la législative partielle du 4 mai, à El Jadida, pour prédire le futur recul électoral du parti islamiste. En effet, le candidat présenté par le PJD dans cette circonscription s’est de nouveau incliné face à celui de l’Union constitutionnelle, mais en perdant deux tiers des voix par rapport à celles qu’il avait récoltées lors des législatives d’octobre 2016 (moins de 7 400 voix, contre 24 000 il y a sept mois).

« C’est aller vite en besogne de croire que nous sommes finis. C’est une mauvaise passe, une crise à traverser, mais notre parti est capable de la surmonter et même d’en sortir grandi », tient à nuancer un élu PJD, sous le couvert de l’anonymat, alors qu’il ne fait que reprendre un discours policé et rodé par Saadeddine El Othmani. Comme quoi, chez les frères, la méfiance règne.

Bras de fer pour la succession

En mai 2016, une session extraordinaire du congrès national du Parti de la justice et du développement (PJD) a décidé le report du renouvellement de ses instances. À l’époque, personne au sein de la formation islamiste ne doutait du sacre électoral du parti d’Abdelilah Benkirane. Tous voulaient donc accorder au chef du gouvernement sortant la possibilité de conduire à nouveau le parti, en même temps qu’il reprendrait les rênes de l’exécutif.

Pour entériner une telle décision, les statuts du PJD devaient cependant être amendés de manière à permettre au secrétaire général d’enchaîner plus de deux mandats à la tête du parti. Une idée qui avait commencé à faire son petit bonhomme de chemin quand Benkirane avait été nommé chef du gouvernement. Aujourd’hui, alors qu’il n’en fait plus partie, Benkirane lui-même voit cette perspective s’éloigner.

Désormais, il préfère manœuvrer en coulisses pour assurer une passation à l’un de ses fidèles lieutenants. Mais c’est compter sans le clan des ministres qui se forme autour de Saadeddine El Othmani, le numéro deux du parti, qui a succédé à Abdelilah Benkirane à la tête du gouvernement le 17 mars. Dans leurs meetings régionaux, plusieurs membres des instances dirigeantes du PJD appellent à remettre les clés du parti au chef du gouvernement en fonction, lors du prochain congrès (prévu au troisième trimestre de 2017), « afin d’éviter toute incohérence dans la ligne politique ». Un argumentaire qu’avait servi Benkirane lui-même, en 2012, pour s’assurer un deuxième mandat.

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