Israël-Palestine : le spectre d’une troisième Intifada plane à nouveau dans la région
Près de 1 700 prisonniers palestiniens se montrent solidaires du mouvement de grève de la faim lancé mi-avril par Marouane Barghouti. La popularité de l’ancien chef du Fatah en inquiète plus d’un.
Ils l’ont baptisé le « Salt Water Challenge » (le « défi de l’eau salée »). Devant leur webcam pour la plupart, de jeunes Palestiniens du monde entier versent une cuillerée de sel dans un verre d’eau qu’ils avalent aussitôt d’un trait, avant d’appeler nommément des proches à faire de même. Le concept, viral, n’est pas sans rappeler l’« Ice Bucket Challenge », dont les vidéos avaient inondé les réseaux sociaux pendant l’été 2014. Le but de cette nouvelle campagne : attirer l’attention du monde sur le sort des prisonniers palestiniens en grève de la faim depuis le 17 avril. À défaut de se nourrir, ces derniers s’autorisent un peu d’eau mélangée à du sel pour se maintenir en vie.
« Mon père, au même titre que 1 700 autres détenus politiques, a entamé une grève de la faim pour la liberté et la dignité », clame Arab, 26 ans, fils cadet de Marouane Barghouti, le plus célèbre des prisonniers palestiniens. Condamné à la peine maximale pour avoir été l’instigateur de la seconde Intifada, au début des années 2000, l’ancien chef militaire du Fatah assume sa stature de leader jusque derrière les barreaux. C’est lui qui a rédigé et transmis une liste de revendications à l’administration pénitentiaire israélienne, exigeant, entre autres, l’accès au téléphone et l’augmentation du nombre de visites accordé aux familles des détenus.
Alimentation forcée
Ce mouvement est sans précédent depuis 2013, date à laquelle près de 3 000 prisonniers avaient refusé de se nourrir pendant vingt-quatre heures. Ils protestaient ainsi contre la mort en détention d’un des leurs, Arafat Jaradat, convaincus que celui-ci avait succombé à des actes de torture pendant son interrogatoire. Cette fois, Marouane Barghouti justifie son action au nom des quelque 6 000 « prisonniers sécuritaires » recensés en Israël.
Dans le jargon carcéral, il s’agit de Palestiniens écroués pour « faits de terrorisme ». « Ce sont des assassins qui reçoivent ce qu’ils méritent, et nous n’avons aucune raison de négocier avec eux », affirme Gilad Erdan, le ministre israélien de la Sécurité intérieure. Encore plus inflexible, son homologue à la Défense, Avigdor Lieberman, prône l’approche de l’ex-Première ministre britannique, Margaret Thatcher, qui, en 1981, avait refusé de céder aux revendications de membres de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) en grève de la faim, même après la mort de dix d’entre eux.
Le 20 avril, une poignée de militants nationalistes israéliens sont venus narguer les détenus de la prison d’Ofer, près de Ramallah (Cisjordanie), improvisant un copieux barbecue pour que les grévistes « sentent l’odeur de la viande grillée ». Selon des témoins, les policiers ont assisté à la scène sans broncher et ne sont intervenus que lorsque les provocateurs ont été pris à partie par des contre-manifestants palestiniens.
Les responsables israéliens n’ont pourtant aucun intérêt à laisser la situation s’envenimer et s’attellent à briser ce mouvement par divers moyens. Plusieurs meneurs ont déjà été transférés vers d’autres établissements, et les autorités envisagent d’utiliser une loi de la Knesset – votée en 2015 – permettant le recours à l’alimentation forcée dès lors que l’état de santé d’un prisonnier se dégrade.
Manque de soutien du Fatah
Pour faire monter la pression, des proches de Marouane Barghouti (57 ans) ont laissé entendre que leur protégé montrait des signes d’affaiblissement depuis qu’il avait été placé à l’isolement. « Son niveau de sucre dans le sang est tombé, et il refuse des soins », rapportait fin avril Qadura Fares, directeur du Club des prisonniers palestiniens.
Le Fatah ne cesse de menacer l’État hébreu d’un embrasement des territoires palestiniens si celui-ci s’obstinait encore à faire la sourde oreille.
Les services carcéraux israéliens ne se contentent pas de démentir la nouvelle, potentiellement explosive, ils contre-attaquent. Le 7 mai, la deuxième chaîne de télévision du pays ouvre son JT en présentant des images exclusives du « Mandela palestinien ». Barghouti apparaît dans sa nouvelle cellule, filmé à son insu en train de grignoter des gaufrettes sciemment laissées par ses geôliers. « C’est un montage, une guerre psychologique », s’emporte Qadura Fares, furieux du procédé. Pour les responsables israéliens, le piège a fonctionné : « Barghouti est un hypocrite qui a exhorté ses codétenus à souffrir tout en mangeant derrière leur dos », répond Gilad Erdan.
Qu’importe, le Fatah ne cesse de menacer l’État hébreu d’un embrasement des territoires palestiniens si celui-ci s’obstinait encore à faire la sourde oreille. En guise d’avertissement, l’organisation de Yasser Arafat appelle chaque vendredi à une « journée de la colère ». Ces manifestations n’ont cependant abouti qu’à des heurts sporadiques entre forces de l’ordre israéliennes et jeunes lanceurs de pierres palestiniens.
Si le Fatah peine à entraîner un soulèvement populaire, c’est parce qu’il ne bénéficie que du soutien de façade de ses rivaux islamistes, dont seuls une centaine de membres, incarcérés, participent à la grève de la faim.
Le mouvement de grève de la faim de Marouane Barghouti n’est qu’un écran de fumée visant à le replacer dans un échiquier politique palestinien
Dans les faits, ni le Hamas ni le Jihad islamique ne souhaitent donner au Fatah l’occasion d’accroître sa popularité en Cisjordanie et, dans une moindre mesure, dans la bande de Gaza. « Ils ne lui accordent aucun crédit et ne veulent pas le voir obtenir de résultats tangibles, même s’il est question de problématiques humanitaires et non politiques », explique l’éditorialiste palestinien Monjed Jado.
Succession de Mahmoud Abbas ?
Pour les Israéliens, il ne fait aucun doute que Marouane Barghouti, respecté par les islamistes pour son engagement passé dans la lutte armée, a agi en connaissance de cause. En d’autres termes, que son mouvement de grève de la faim n’est qu’un écran de fumée visant à le replacer dans un échiquier politique palestinien miné par les divisions et dans lequel il apparaît comme l’homme du consensus. Après tout, n’a-t‑il pas été réélu à la tête du comité central du Fatah, en décembre 2016, avec près de 70 % des suffrages ? « Après quinze ans de prison, il a plus d’influence que jamais », martèle son épouse, Fadwa, qui rêve de le voir succéder au président Mahmoud Abbas.
À 82 ans, le vieux raïs préférerait nommer un successeur issu de ses rangs plutôt que d’avoir à subir l’humiliation d’une victoire du Hamas lors d’éventuelles élections générales, dont il ne cesse de repousser l’échéance depuis 2009. Mais Abbas redoute encore plus une implosion de son pouvoir, surtout au moment où il tente d’obtenir les faveurs de l’administration Trump. Quelle ne fut pas sa surprise quand, le 3 mai dernier, à la Maison-Blanche, le président américain exigea qu’il cesse d’accorder des subventions aux familles de prisonniers responsables d’attaques ayant occasionné des victimes israéliennes, relayant ainsi, ni plus ni moins, une lointaine exigence de l’État hébreu.
Dans ce contexte, les appels à la violence des partisans de Barghouti n’aident pas les affaires du président palestinien. En coulisses, il se murmure que Mahmoud al-Aloul, son adjoint, a été appelé à la rescousse afin de calmer les ardeurs des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, la branche militaire du Fatah, restée fidèle à Marouane Barghouti. Le spectre d’une troisième Intifada plane à nouveau dans la région.
Condamnés à la pelle
Dans son rapport annuel publié chaque 17 avril, la commission des affaires des prisonniers de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) affirme que près de 6 300 détenus palestiniens se trouvent actuellement dans les 22 prisons israéliennes, dont une seule se trouve en Cisjordanie. Parmi ces prisonniers, on comptabilise 13 membres du Conseil législatif palestinien, 61 femmes et environ 300 mineurs – depuis 2015, sur fond d’« Intifada des couteaux », le nombre d’adolescents détenus a triplé. En outre, 458 prisonniers purgent des peines de prison à vie et 459, des sentences d’au moins vingt ans de réclusion. Selon le Club des prisonniers palestiniens, sur les 1 700 prisonniers malades incarcérés, 25 seraient dans un état qualifié de « grave » et ne recevraient pas les traitements appropriés.
À ces contingents de prisonniers s’ajoutent 500 Palestiniens placés en détention administrative dans l’attente d’un procès. Selon les autorités israéliennes, il s’agit de « bombes à retardement », autrement dit de personnes suspectées de préparer un attentat et appréhendées juste avant de passer à l’acte. Depuis 1967, près de 850 000 Palestiniens ont été condamnés à des peines de prison. Ce qui concerne pratiquement toutes les familles de la bande de Gaza ou de Cisjordanie.
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