Interview : Albert G. Zeufack, « l’investissement privé doit devenir la clé de la croissance »

Pour l’économiste en chef de la Banque mondiale pour l’Afrique, l’aide publique au développement doit servir de levier pour attirer d’autres capitaux, notamment dans le financement des infrastructures.

Albert Zeufack (Cameroun), chef économiste pour la région Afrique à la Banque Mondiale. A RFI, le 1er juiller 2016. © Vincent Fournier/JA © Vincent Fournier/JA

Albert Zeufack (Cameroun), chef économiste pour la région Afrique à la Banque Mondiale. A RFI, le 1er juiller 2016. © Vincent Fournier/JA © Vincent Fournier/JA

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Publié le 1 juin 2017 Lecture : 4 minutes.

Dans sa dernière étude, publiée à l’occasion des réunions de printemps des institutions de Bretton Woods qui se sont tenues du 17 au 19 avril à Washington, la Banque mondiale pronostique un rebond de la croissance africaine, attendue à 2,6 % en 2017 [contre 1,3 % en 2016], dans la foulée de l’amélioration des prix des matières premières et de la reprise de la croissance mondiale.

Alors que les niveaux d’investissements publics ne devraient remonter que progressivement, l’économiste en chef de l’institution pour l’Afrique, le Camerounais Albert G. Zeufack, insiste sur la nécessité de mobiliser l’investissement privé pour en faire le moteur de la croissance en Afrique. Pour ce faire, de nombreuses réformes sont espérées pour développer les marchés locaux de capitaux, renforcer l’efficacité des services publics et accroître la quantité et la qualité des infrastructures.

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Jeune Afrique : Face à la crise, de nombreux pays africains doivent procéder à des ajustements budgétaires. Que préconise la Banque mondiale ?

Albert G. Zeufack : Les ajustements fiscaux réalisés dans les années 1980 ont provoqué une forte baisse des taux d’investissement, limitant la croissance du continent. Pour éviter de répéter ce type d’erreur, nous devons développer de nouveaux outils qui garantissent l’investissement privé tout en réduisant le risque.

Nous voulons inciter les investisseurs privés, étrangers et locaux, à s’engager dans les projets d’infrastructures

De quels instruments s’agit-il ?

Nous voulons inciter les investisseurs privés, étrangers et locaux, à s’engager dans les projets d’infrastructures. En collaboration avec la Société financière internationale (SFI), nous travaillons pour atteindre, à travers les fonds de notre Agence multilatérale de garantie des investissements (Miga), les couches du secteur privé auxquelles nous n’avons pas encore accès.

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Le but, c’est que les financements concessionnels accordés par les institutions servent de levier pour attirer les investisseurs. Nous visons en particulier les fonds de pension des pays avancés, qui placent aujourd’hui plusieurs centaines de milliards de dollars en Europe et aux États-Unis, à des taux extrêmement bas. Moins de 1 % de ces fonds apporteraient déjà une contribution extraordinaire au financement des infrastructures à travers le continent.

Quelles sont ces couches du secteur privé que vous comptez toucher ?

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La SFI prête une attention soutenue au développement du secteur privé local, pour que se multiplient les joint-ventures entre investisseurs étrangers et locaux, qui donnent d’excellents résultats. Les uns apportent les financements, les autres leurs connaissances du terrain. En Afrique, le problème ne vient pas du rendement des projets, qui est aussi élevé que dans le reste du monde, mais des risques qui leur sont liés. Et, sur ce point, les garanties que nous apportons peuvent aider.

Même si le prix des ressources naturelles restait élevé, se contenter d’exporter des matières premières brutes n’est pas une stratégie sur le long terme

Ce risque n’est-il pas lié aux incertitudes économiques et politiques ?

Nous travaillons avec les gouvernements pour stabiliser les cadres macroéconomiques, en réduisant l’inflation, en stabilisant les taux de change, en s’assurant que les pays lèvent suffisamment de ressources domestiques pour pouvoir créer les coussins de sécurité nécessaires pour faire face aux chocs.

Qu’avez-vous appris, à la Banque mondiale, du ralentissement économique qu’a connu l’Afrique à la suite de la baisse des cours des matières premières ?

La croissance africaine, ramenée à 1,3 % en 2016, est inférieure à l’augmentation de la population sur le continent. Ce qui signifie que le PIB per capita a reculé. Pour éviter de tels chocs, il faut multiplier les sources de croissance. Même si le prix des ressources naturelles restait élevé, se contenter d’exporter des matières premières brutes ne constitue pas une stratégie sur le long terme.

C’est particulièrement vrai pour le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola, qui représentent à eux trois 60 % du PIB continental. Largement dépendantes des matières premières, ces trois économies noient les efforts du reste de l’Afrique et empêcheront le continent de retrouver les taux de croissance d’avant la crise tant qu’elles n’auront pas développé des secteurs autres que pétrolier ou minier.

il faut approfondir le commerce à l’intérieur du continent, qui représente aujourd’hui moins de 15 % des échanges

D’où l’importance de développer le marché intra-africain, encore balbutiant ?

Il faut défricher de nouveaux marchés internationaux, s’intéresser à l’Asie, devenue aujourd’hui le deuxième moteur de la consommation mondiale. Il ne s’agit pas de regarder ce continent comme une destination pour nos matières premières non transformées, mais bien pour nos produits à forte valeur ajoutée. Ensuite il faut, bien sûr, approfondir le commerce à l’intérieur du continent, qui représente aujourd’hui moins de 15 % des échanges.

Le potentiel est énorme, mais nécessite d’importants investissements en matière d’infrastructures, à l’échelle régionale. Je ne parle pas seulement d’infrastructures physiques, mais également réglementaires : il faut mettre en place les cadres juridiques nécessaires pour réaliser ces investissements, notamment lorsqu’il s’agit de PPP.

Ces contrats se négocient aujourd’hui de pays à pays, alors qu’un cadre régional, type Uemoa et EAC, pourrait favoriser l’implantation des entreprises à une échelle plus vaste. Ces cinquante dernières années ont montré qu’aucune région, aucun pays ne s’est développé de façon soutenable sans intégration des chaînes de valeurs régionales et mondiales. Pas l’une ou l’autre, mais les deux.

Pensez-vous que la vision du développement économique de l’Afrique a changé ces vingt dernières années à la Banque mondiale ?

La façon dont nous concevons les financements a évolué. Nous avons compris que l’Aide publique au développement ne suffit pas. Après de gros efforts, le groupe Banque mondiale a pu mobiliser 57 milliards de dollars (52 milliards d’euros) pour l’Afrique sur les trois prochaines années. Or, il faudrait 48 milliards par an pour couvrir le manque d’infrastructures du continent.

Nous devons donc apprendre à travailler ensemble pour apporter les outils qui favoriseront l’investissement privé et institutionnel, en complément des financements concessionnels. Aux pays africains de se positionner rapidement et de lancer les réformes nécessaires pour attirer ces montants.

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