Exposition : Trésors de l’Islam en Afrique, ou la magie de l’écriture
Jusqu’au 30 juillet 2017, l’Institut du monde arabe, à Paris, invite ses visiteurs à partir à la découverte des Trésors de l’Islam en Afrique, de Tombouctou à Zanzibar.
Combien de chemins possibles quand il s’agit d’explorer les relations entre le monde arabo-musulman et l’Afrique subsaharienne ? Combien de silences à combler et d’idées préconçues à dépasser ?
Avec « Trésors de l’Islam en Afrique, de Tombouctou à Zanzibar », l’Institut du monde arabe (IMA, Paris) propose une exposition ambitieuse qui entend à la fois interroger « les processus de transmission et d’appropriation de l’islam par les peuples africains » et « déconstruire les préjugés qui ont façonné notre vision de l’histoire de [ces] relations ». Face à l’ampleur de la tâche, les deux jeunes commissaires Nala Aloudat et Hanna Boghanim ont proposé non pas un chemin tout tracé, mais une multitude de routes que chacun peut emprunter à sa guise, en fonction de ses goûts pour la pratique religieuse, la calligraphie, l’architecture, le vêtement, la création plastique…
La circulation des idées et des formes remet en question la conception d’une Afrique figée dans des traditions locales ethnocentrées
Si la structure même de l’exposition revêt au premier abord une dimension très scolaire, elle a l’avantage de poser des bases claires. La première partie s’attache à la diffusion de l’Islam en Afrique à partir du VIIIe siècle (Les chemins de l’Islam), la deuxième se concentre sur la diversité des pratiques religieuses (Les gestes du sacré), quand la dernière s’ouvre sur la grande variété des créations dans les sociétés musulmanes d’Afrique de l’Ouest (Les arts de l’Islam au sud du Sahara).
Dès les premières salles, le présupposé tenace d’une Afrique coupée en deux par le désert est battu en brèche. « La circulation des idées et des formes remet en question la conception d’une Afrique figée dans des traditions locales ethnocentrées et où la mobilité des hommes aurait été contrainte par la présence du Sahara », écrivent les commissaires. Mieux – en particulier dans un pays qui a la vilaine habitude de lorgner uniquement du côté de l’Afrique de l’Ouest –, l’exposition ne se contente pas de raconter comment les routes marchandes passant par le Sahel et Tombouctou ont permis l’expansion de la parole du Prophète. Portant leur regard jusqu’à Zanzibar, les commissaires se sont aussi intéressées à la haute vallée du Nil, à la Corne de l’Afrique et à toute l’aire swahilie. Ouverte sur l’ensemble des aires géographiques de diffusion de l’Islam, l’exposition n’est pas figée dans le temps, s’attachant à faire dialoguer œuvres anciennes et contemporaines…
Faire dialoguer œuvres anciennes et contemporaines
Une visite rapide peut donner une impression – n’ayons pas peur du cliché ! – de caverne d’Ali Baba où le visiteur se trouve tour à tour confronté à des manuscrits anciens, des bijoux, des photos, des peintures, des vêtements. Mais dans ce capharnaüm, il est possible de s’inventer son propre chemin et de pousser des portes rarement entrouvertes. Et si les différentes pistes ouvertes se perdent parfois un peu dans les sables, comme celle qui aurait pu éclairer la question de l’esclavagisme musulman, le thème de l’écriture est en revanche exploré jusqu’au bout, depuis la révélation coranique jusqu’à nos jours. Pourquoi ne pas choisir de suivre ce fil rouge ?
« L’islamisation est partout indissociable d’une arabisation linguistique, à des niveaux divers, dans la mesure où les textes sacrés et toutes les sciences religieuses subséquentes ont été rédigés, récités, étudiés en langue arabe », souligne Constant Hamès, chercheur en anthropologie de l’Islam. Ceux qui imaginent encore que l’Afrique serait le continent de l’oralité y apprendront que les premières œuvres écrites d’auteurs autochtones datent de la fin du XVIe siècle, avec notamment les chroniques d’Ibn Furtu sur le royaume du Kanem-Bornou, ou celles plus connues de Mahmoud Kati sur l’Empire du songhaï, au Mali (Tarikh el-Fettach).
« La première grande figure d’auteur africain en langue arabe apparaît aussi à la même époque : Ahmed Baba de Tombouctou (1556-1627), qui donnera son nom à la plus grande bibliothèque actuelle de cette ville », poursuit Constant Hamès. Une alcôve est donc spécifiquement réservée aux célèbres manuscrits de Tombouctou, dont on estime que seuls 5 % ont été étudiés à ce jour.
La notion de jihad dans l’Histoire
Une occasion, pour l’IMA, de préciser la notion de jihad dans l’Histoire : « Au XVIIIe et au XIXe siècle, les mouvements jihadistes visent à restaurer un islam “pur” dans des zones considérées comme politiquement instables, et ce notamment par l’étude des textes, précise Hanna Boghanim. Une situation très différente de celle d’aujourd’hui, où le jihadisme se manifeste par la destruction. »
Quoique très axée sur la fonction religieuse de l’écrit, l’exposition va beaucoup plus loin en montrant la révolution que suscite, en Afrique, la diffusion d’un alphabet permettant d’échanger différemment, de rédiger toutes sortes de documents commerciaux, d’actes notariés, de chroniques historiques, ou autorisant la retranscription de langues comme le swahili, le haoussa, le peul ou le wolof.
Un des recueils médico-magiques dits sorabe, du XVIIe siècle, ouvre une fenêtre sur le royaume antemoro, à Madagascar, où des musulmans venus du port de Vohémar se sont constitués en aristocratie et ont apporté des manuscrits utilisant une écriture arabe adaptée à la langue malgache, au XVIe siècle. « Le contenu des sorabe est d’abord “magico-religieux”, écrit l’anthropologue Philippe Beaujard. Outre des textes de prédication ou des histoires édifiantes, qui disparaissent en partie après le XVIIe siècle, les manuscrits renferment des formules qui permettent de composer des charmes, utilisant des prières doha, des prières coraniques, des invocations adressées à des anges, des signes ésotériques, des lignes de lettres et de chiffres, et des carrés magiques. »
Objets magiques traditionnels
De l’écrit à la magie, il n’y a donc qu’un pas, que l’exposition franchit allégrement avec une salle consacrée aux talismans, qu’il s’agisse de manuscrits, de tuniques ou d’amulettes. Les objets magiques traditionnels sont renforcés par le pouvoir des écritures. Des mots, des extraits du Coran sont intégrés dans des masques ou bien dans des vêtements, des grigris, des étuis que l’on porte sur soi. « Le texte écrit à l’encre peut aussi être délavé dans un liquide ad hoc que le patient devra boire ou avec lequel il devra se frictionner pour incorporer les vertus des signes sacrés », affirme même Constant Hamès.
Au-delà, la circulation du Coran en Afrique pourrait même être à l’origine de la naissance de l’écriture bamoune, inventée par le roi Njoya (1860-1933) et ses proches vers 1894, dans l’ouest du Cameroun. « L’idée même de l’écriture vient probablement d’exemplaires du Coran qui circulent dans le royaume dans la seconde moitié du XIXe siècle grâce aux marchands haoussas, et aussi de l’introduction de l’islam vers 1894, bien que l’influence de l’écriture vaï (Liberia) ait quelquefois été évoquée », soutient l’anthropologue Alexandra Galitzine-Loumpet.
Le pouvoir de libération de l’écriture
Cette écriture, qui ne reprend pas le sens de l’écriture arabe et emprunte de nombreux signes à l’iconographie bamoune, sera rapidement fonctionnelle et le restera jusqu’à son interdiction en 1924 par l’administration coloniale française. Le pouvoir de libération de l’écriture a toujours effrayé ceux qui entendent imposer leur domination…
La puissance de l’écriture est ici abordée dans toutes ses manifestations, anciennes comme contemporaines. Passage incontournable, la calligraphie tisse entre le religieux et l’artistique des liens indissociables, comme le montrent notamment les bannières en coton de l’artiste algérien Rachid Koraïchi en hommage aux maîtres soufis (Maîtres invisibles), des œuvres à la fois réalistes et abstraites du Soudanais Ibrahim el-Salahi (Calligraphic Forms III), ou les signes envahissant les œuvres du Sénégalais Mbaye Babacar Diouf (Trois maîtres, Inoubliable).
L’aboutissement de cette longue route ?
Sans doute le moment où l’artiste se fait lui-même prophète en créant son propre alphabet pour dire le monde. Comme le fit à sa manière l’artiste ivoirien Frédéric Bruly Bouabré, décédé en 2014, dont sont présentées les séries Les Poids à peser, de 1988, et Signes relevés sur des oranges, de 1998. Et comme le fait actuellement le Nigérian Victor Ekpuk en créant lui aussi ses propres signes (State of Beings [Totem]) à partir du nsibidi, le système de communication de la société secrète ekpe…
Sacrée architecture !
Qui, interrogé sur l’architecture religieuse en Afrique subsaharienne, citerait autre chose que la grande mosquée de Djenné ? Pas grand monde à vrai dire. L’exposition « Trésors de l’Islam en Afrique » propose de sortir des sentiers battus et de découvrir, en photos, quelques mosquées rurales de la boucle du Niger, des mausolées du Soudan, des lieux de prière de Harar, en Éthiopie. Une manière de dire toute la variété et la richesse des formes produites, sans perdre de vue le présent. Le Dome, de l’Égyptien Moataz Nasr, et les Minarets Hats, de l’Italienne Maïmouna Gueresi, perpétuent l’écho d’une créativité toujours vive, malgré la poussée des obscurantismes.
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