Afghanistan : face aux talibans, les ex-interprètes de l’armée française livrés à eux-mêmes

Quelque sept cents interprètes ont travaillé pour l’armée française. Après le retrait de celle-ci, ils se retrouvent bien seuls face aux talibans. Qu’attend-on pour les exfiltrer ?

Un soldat de l’armée américaine avec son interprète en Afghanistan en 2010. © Alexander Zemlianichenko/AP/SIPA

Un soldat de l’armée américaine avec son interprète en Afghanistan en 2010. © Alexander Zemlianichenko/AP/SIPA

Publié le 24 mai 2017 Lecture : 3 minutes.

«Je suis loin de mon pays et de mes racines. Mais, surtout, loin de la menace. Tous mes collègues n’ont pas eu cette chance. » Abdul Raziq, 29 ans, se considère comme un rescapé. Arrivé en France en mai 2016, il vit aujourd’hui à Laon (Aisne) avec son épouse et leurs deux fillettes, qui ont elles aussi obtenu un visa. « Une juste récompense », estime-t‑il. En Afghanistan, Raziq était interprète pour l’armée française. Lorsque celle-ci débarque dans le pays en 2001, ce francophone de 16 ans est enthousiaste. Il propose ses services et est aussitôt enggé.

Des cibles privilégiées

Pour les forces françaises et afghanes, les talibans sont l’ennemi commun. « À partir des années 2010, ils n’ont cessé de gagner du terrain et de l’influence. Dans certains villages, des habitants me considéraient comme un traître, un athée. Ils me reprochaient de collaborer avec une force d’occupation. Il fallait sans cesse être sur ses gardes », raconte-t-il.

En 2012 notre contrat de travail a été rompu brutalement. On s’est sentis abandonnés.

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Sa mission ? Elle a consisté, pendant treize ans, à faciliter les échanges de l’armée française avec la population et les services de sécurité afghans. Abdul Raziq comme ses collègues étaient envoyés en éclaireurs, à visage découvert. « On était devenu des cibles privilégiées pour les talibans. Ma tête a été mise à prix », poursuit-il. La présence des Français lui permet cependant de vivre dans une relative sécurité.

En 2012, coup de tonnerre. Le président François Hollande annonce le retrait des troupes françaises. « Notre contrat de travail a été rompu brutalement. On s’est sentis abandonnés. On a fait part de nos craintes à nos supérieurs, qui nous ont promis de ne pas nous laisser tomber. On a été bien naïfs », soupire-t-il.

Jours d’angoisse

Quand les derniers soldats français quittent le pays, en 2014, aucun interprète ne fait partie du voyage… Ce n’est qu’un an plus tard, sous la pression d’un collectif d’avocats, que soixante-treize interprètes sont exfiltrés en France. « J’ai occupé les mêmes fonctions de traducteur et j’ai été exposé aux mêmes menaces que certains de mes collègues qui, eux, ont obtenu un visa. Pourquoi n’y ai-je pas eu droit moi aussi ? Personne n’a été capable de me l’expliquer », s’indigne Assef Adib.

Un jour, j’étais sur le point de craquer et de me rendre au rendez-vous qu’ils me fixaient. Mais ma famille me l’a interdit, car elle savait que je ne serais jamais rentré vivant

Si Assef vit aujourd’hui en France grâce à une seconde vague de relocalisations, dont cent un Afghans ont bénéficié en 2016, il n’oublie pas les jours d’angoisse qu’il a vécus après le départ des Français. « J’ai reçu des menaces téléphoniques. Les talibans connaissaient mon emploi du temps. Un jour, j’étais sur le point de craquer et de me rendre au rendez-vous qu’ils me fixaient. Mais ma famille me l’a interdit, car elle savait que je ne serais jamais rentré vivant. »

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Inquiétude en Irak

À ce jour donc, seuls cent soixante-quatorze interprètes (sur environ sept cents) ont reçu un visa. Et se sont vu attribuer un logement, une carte de séjour de dix ans et des prestations sociales. Un chiffre qui ne devrait pas grossir : le 13 février, les autorités françaises ont fait savoir qu’aucun nouveau dossier ne serait examiné. « J’étais en Afghanistan entre 2007 et 2009. Que ce soit il y a dix ans ou aujourd’hui, on n’a jamais su quoi faire de ces hommes qui nous ont aidés », déplore un militaire français.

Les États-Unis se sont montrés plus généreux avec leurs supplétifs irakiens : depuis 2008, ils en ont accueilli plus de cinquante mille. L’inquiétude a surgi lorsque, en cette fin janvier, Donald Trump a signé un décret interdisant l’accès du territoire américain aux ressortissants de sept pays musulmans (Iran, Libye, Somalie, Soudan, Syrie, Yémen et… Irak).

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Mais ce décret ayant été recalé par la justice américaine, le président a été contraint d’en présenter une seconde version, le 6 mars. Or, dans cette nouvelle mouture, l’Irak a été retiré de la liste au motif (dixit le département de la Sécurité intérieure) que Bagdad s’est engagé à fournir des informations complètes sur ses citoyens demandeurs de visa. Le texte envisage par ailleurs de nombreuses exemptions, notamment pour les étrangers ayant travaillé pour l’armée américaine. Ce dernier point fait référence aux interprètes, dont certains avaient été bloqués dans les aéroports après la signature du premier décret.

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