Série TV : Black Crows, une immersion dans le quotidien de Daesh

La chaîne de télévision saoudienne MBC tente un pari osé à l’occasion du mois de ramadan : la diffusion d’un feuilleton qui plonge le téléspectateur dans le quotidien barbare de l’organisation terroriste.

Une scène de Black Crows confronte la riche femme d’un émir à sa prisonnière yazidie. © MBC

Une scène de Black Crows confronte la riche femme d’un émir à sa prisonnière yazidie. © MBC

FARID-ALILAT_2024

Publié le 26 mai 2017 Lecture : 3 minutes.

Scène première, intérieur chambre. En débardeur blanc échancré, Malika, épouse de l’émir Abou Talha, s’ennuie dans sa suite luxueuse. Entre sa femme de ménage, une prisonnière yazidie. En tenue vert kaki, elle passe nonchalamment un coup de balai, frotte les meubles avec un chiffon. La détenue dit qu’elle n’est pas autorisée à adresser la parole à l’épouse de l’émir.

Sors un peu, tu verras assez d’horreurs pour expurger l’ennui et la solitude

Pour tuer l’ennui et la solitude, celle-ci lui propose alors de manger une pomme ou de regarder un film. Délaissée par son mari, Malika ignore quand celui-ci sera de retour. La prisonnière : « Il reviendra quand il aura terminé d’exterminer le reste de mon clan. Je suis écœurée par la vie et toi tu me suggères de voir un film ? Sors un peu, tu verras assez d’horreurs pour expurger l’ennui et la solitude qui oppressent ton cœur. »

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Scène deux, extérieur jour. Sur un champ de tir cerné de barbelés, un combattant de Daesh, cheveux longs et barbe noire jusqu’au buste, forme trois enfants au maniement de la kalachnikov. Deux autres combattants, tout aussi menaçants et lugubres, supervisent l’initiation.

Il t’en reste deux pour le tuer, ensuite tu iras voir ta maman

Le front ceint du fameux foulard noir de Daesh, les gamins tirent sur leurs cibles vivantes. Blessée, l’une d’elles se met à l’abri. L’émir crie « Allah Akbar ! » (« Dieu est grand »). Puis il chuchote à l’oreille d’un petit : « Tes balles sont plus rapides que lui. Fais vite avant qu’il ne t’échappe. Il t’en reste deux pour le tuer, ensuite tu iras voir ta maman. » Les balles crépitent, les cibles tombent comme des mouches. Un des trois garçons se redresse et jubile : « J’ai tué trois… »

Ces deux scènes ne sont pas extraites d’un film de propagande dont l’organisation État islamique s’est fait une spécialité, mais d’une série télévisée produite par MBC (Middle East Broadcasting Center), chaîne de télévision à capitaux saoudiens basée à Dubaï.

Intitulée Black Crows (« corbeaux noirs ») et réalisée en collaboration avec des producteurs et des scénaristes américains, la fiction a été tournée à grands frais avec des acteurs saoudiens, libanais, égyptiens ou tunisiens. Elle sera diffusée durant le mois de ramadan qui débutera le 26 mai.

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Black Crows, 30 épisodes

Séquencée en 30 épisodes, elle a comme trame principale deux histoires parallèles qui se ressemblent, s’imbriquent et se télescopent : une mère part à la recherche de son fils qui avait rejoint les rangs de Daesh en Syrie, tandis qu’une journaliste est en quête de son fiancé dans ce vaste territoire contrôlé par le groupe terroriste.

Massacres, décapitations, attentats, viols, esclavage et traite de femmes, enrôlement d’enfants, Black Crows est une immersion dans le quotidien barbare dans lequel Daesh a fait plonger cette région du Moyen-Orient.

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« Nous croyons que l’EI est une épidémie, nous devons rassembler notre courage afin d’affronter cette maladie, explique Ali Jaber, le directeur des chaînes de télévision du groupe MBC. Nous croyons que la seule manière de combattre cette idée est d’en créer une autre, meilleure, plus attrayante et progressiste. »

L’EI est une épidémie, nous devons rassembler notre courage afin d’affronter cette maladie

Journaliste et producteur à la réputation fondée, Jaber avait été invité en mars par le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, à prendre la parole à Washington lors d’une réunion de la coalition internationale pour évoquer les voies et les moyens d’éradiquer Daesh. Cette série, la première du genre depuis l’avènement de l’organisation État islamique en juin 2014, peut-elle en faire partie ? Voire.

Diffuser une fiction sanguinolente est un pari doublement osé pour MBC. Non seulement celle-ci s’expose aux représailles de Daesh, mais elle pourrait indisposer son grand public. Durant le mois de jeûne, les téléspectateurs sont traditionnellement plutôt friands de romances ou de feuilletons divertissants.

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