États-Unis – Bernard Madoff : il était l’escroc du siècle

Un téléfilm, The Wizard of Lies, retraçant la vie de Bernard Madoff, l’homme qui extorqua 65 milliards de dollars à des milliers d’infortunés gogos, est sorti le 20 mai aux États-Unis. Avec Robert De Niro dans le rôle de l’antihéros.

Michelle Pfeiffer et Robert De Niro sont Ruth et Bernard Madoff dans le téléfilm The Wizard of Lies. © Craig Blankenhorn/HBO

Michelle Pfeiffer et Robert De Niro sont Ruth et Bernard Madoff dans le téléfilm The Wizard of Lies. © Craig Blankenhorn/HBO

Publié le 25 mai 2017 Lecture : 8 minutes.

C’est l’escroc du siècle, le Mozart de l’arnaque, le véritable « loup de Wall Street » ! Un génie de la soustraction qui a délesté ses victimes – dont certaines étaient loin d’être des enfants de chœur – d’une montagne de billets verts : près de 65 milliards de dollars en une vingtaine d’années !

Pour incarner un personnage aussi démesuré que Bernard Madoff, il fallait bien une légende du cinéma. C’est Robert De Niro, l’inoubliable taxi driver du film de Martin Scorsese, qui s’y est collé dans The Wizard of Lies (« le magicien des mensonges »), un téléfilm diffusé le 20 mai aux États-Unis sur la chaîne HBO. Avec Michelle Pfeiffer dans le rôle de Ruth, l’épouse de l’antihéros, et Barry Levinson (Rain Man, Good Morning, Vietnam) derrière la caméra. Au départ, l’œuvre devait être projetée dans les salles obscures, avant que les producteurs décident de réduire la voilure.

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Aujourd’hui âgé de 78 ans, Madoff purge une peine de cent cinquante ans de réclusion dans une prison fédérale de Caroline du Nord. Rejeton d’une modeste famille du Queens, à New York, il a commencé sa fascinante carrière comme… surveillant de piscine à Long Island. Parfait autodidacte, il crée son premier fonds d’investissement avec 5 000 dollars en poche – il n’a alors que 22 ans –, fait son chemin dans la communauté financière et, en 1990, est nommé à la présidence du Nasdaq, la Bourse des valeurs technologiques.

C’est aussi une figure de la communauté juive fortunée. De New York à Palm Beach (Floride), il multiplie les activités caritatives et culturelles, siège au conseil d’administration de l’université Yeshiva, à New York, et distribue des dons (plus de 230 000 dollars) à divers groupes et organisations, parmi lesquels le Parti démocrate.

Près de 13 500 victimes

Bernard L. Madoff Investment Securities, dont le siège se trouvait dans le Lipstick Building, sur la IIIe Avenue, à New York (le gratte-ciel ressemble à un tube de rouge à lèvres, d’où son nom), recevait des capitaux qu’il investissait dans des hedge funds (fonds d’investissement à risque) dont la rentabilité était réputée supérieure à la moyenne. Le problème est que Madoff n’investissait jamais rien. Au lieu de cela, il avait monté une chaîne de Ponzi (du nom d’un escroc italien des années 1920), une pyramide financière consistant à rémunérer les investisseurs avec l’argent déposé par de nouveaux clients. De la cavalerie considérée comme l’un des beaux-arts !

À l’automne 2008, la crise boursière éclate. De nombreux investisseurs demandent à récupérer leur mise, que Madoff est naturellement bien incapable de restituer. Acculé, il en informe ses deux fils, qui décident sagement de prévenir les autorités. Le 11 décembre 2008, le financier véreux est arrêté par le FBI, à son bureau, devant ses employés ébahis.

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Le monde découvre avec stupéfaction son sourire matois qui rappelle celui du chat du Cheshire dans Alice au pays des merveilles. Madoff a fait près de 13 500 victimes : riches particuliers, grandes institutions financières, fondations comme celle du Prix Nobel Elie Wiesel ou du cinéaste Steven Spielberg, vedettes de cinéma comme Zsa Zsa Gabor ou John Malkovich, petits épargnants… Nullement sectaire, il escroquait équitablement parfaits inconnus et intimes.

Ce sociopathe diabolique venait dans notre petite communauté, souriait à tout le monde et serrait des mains, alors qu’il était en train de nous voler notre argent

Il n’a par exemple pas hésité à dépouiller Sheryl Weinstein, sa maîtresse – qui se vengera en publiant un livre croustillant dans lequel elle se montre peu impressionnée par la virilité de son ex-amant –, ni à faire main basse sur les 150 000 dollars d’héritage que lui avait confiés Eleanor Squillari, sa secrétaire depuis plus de vingt ans. Cette dernière racontera dans Vanity Fair que Madoff avait la main volontiers baladeuse et qu’il voyait des masseuses chaque après-midi ou presque.

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« C’est un psychopathe qui aurait volé sa propre mère », commente quant à lui Ronald Weinstein, le mari de l’amante. Opinion confirmée par un membre du Country Club de Palm Beach : « Ce sociopathe diabolique venait dans notre petite communauté, souriait à tout le monde et serrait des mains, alors qu’il était en train de nous voler notre argent. »

Fatal engrenage

Madoff avait une technique bien rodée. Pour attirer les investisseurs, il savait créer l’illusion d’une rentabilité exceptionnelle et insistait pour que, au début, ses nouveaux clients ne lui confient que des sommes relativement modestes, sans se douter qu’ils mettaient ainsi le doigt dans un fatal engrenage. « Bernie me disait : laissez-les commencer petit. S’ils sont contents après un an ou deux, ils investiront davantage », a expliqué au Wall Street Journal l’analyste financier Richard Spring, qui lui avait confié 95 % de sa fortune. Il ferrait ses plus gros poissons en feignant d’abord de refuser leur argent, puis en l’acceptant en rechignant, comme s’il leur faisait une faveur.

Alors que les résultats obtenus par Madoff défiaient toute logique, personne n’a vu venir le désastre, pas même les autorités boursières américaines. En huit ans, la Securities and Exchange Commission a diligenté trois enquêtes, sans résultat. Seul Donald Trump avait semble-t-il pressenti le danger.

À la tête d’une fortune estimée à 130 millions de dollars, les Madoff menaient grand train : penthouse dans l’Upper East Side, à New York (valeur estimée : 7 millions de dollars), résidences secondaires à Palm Beach et à Cap-d’Antibes, sur la Côte d’Azur française, yacht dont le nom, Bull, était à lui seul tout un programme… En anglais, le terme signifie en effet « taureau », mais désigne aussi un cours boursier à la hausse.

Et lorsque la fusée Madoff a fini par exploser, toute sa famille, qui travaillait à ses côtés, est restée sous le choc, comme tétanisée. Selon toute apparence, l’escroc avait caché ses coupables activités à sa femme et à leurs deux fils. « La seule chose dont je sois convaincu, c’est qu’il ne les avait pas mis au courant », a commenté Robert De Niro lors d’une récente conférence de presse.

« Je lui faisais confiance, sa réputation était exceptionnelle, pourquoi aurais-je soupçonné quelque chose de pas net ? » expliquait d’ailleurs Ruth en 2011. Quelques jours après l’arrestation de Bernie, le FBI a tout de même surpris les Madoff très occupés à envoyer à des proches des bijoux et des montres d’une valeur totale de 1 million de dollars.

Suicides

L’épouse doublement trompée a obtenu 2,5 millions de dollars lors de la liquidation judiciaire des biens de son ménage, mais sa vie ne sera jamais plus comme avant. Elle conduit désormais une modeste Toyota Prius et a été aperçue dans un magasin Ikea près de Greenwich, dans le Connecticut, où elle réside. À des années-lumière des virées shopping avenue Montaigne à Paris ou sur Madison Avenue…

Je sais que mes deux fils ne m’ont jamais pardonné d’avoir trahi leur amour et leur confiance…

Les deux fils, en revanche, ne se relèveront jamais du scandale. Mark, l’aîné (46 ans), s’est pendu à son domicile de Manhattan en 2010, pour le deuxième anniversaire de l’arrestation de son père. Stephanie, sa veuve, tient son beau-père pour responsable du drame et fait savoir qu’elle lui cracherait au visage si elle venait à le croiser de nouveau.

Andrew, le cadet, est mort d’un cancer en 2014, à l’âge de 48 ans. En janvier 2015, dans un e-mail adressé depuis sa prison à la chaîne NBC, leur père écrivait : « Je sais que mes deux fils ne m’ont jamais pardonné d’avoir trahi leur amour et leur confiance… » Un acte de contrition rare pour un homme qui n’a jamais manifesté le moindre remords à l’endroit de ses victimes.

Il faudrait inventer un nouveau mot pour décrire la manière dont vous avez réinventé la trahison

Autre mort liée à l’escroquerie, celle de René-Thierry Magon de La Villehuchet, un homme d’affaires français qui avait confié à Madoff 1,4 milliard de dollars pour le compte de divers clients comme Liliane Bettencourt, l’héritière de L’Oréal, le leader mondial des cosmétiques. Onze jours après l’arrestation du sinistre « Bernie », Villehuchet a avalé des somnifères et s’est tailladé les veines au cutter, laissant derrière lui ce simple message : « Si vous ruinez vos amis et votre famille, vous devez en payer le prix. » En 2012, Peter, le frère de Madoff, qui travaillait avec lui, a été condamné à dix ans de réclusion pour complicité.

Scandale au sein de la communauté juive

La communauté juive américaine, dont de très nombreuses victimes étaient issues, a été frappée de plein fouet par le scandale. Certains de ses membres sont allés jusqu’à comparer Madoff à Hitler ! Dans une lettre publiée par Newsweek, le rabbin Marc Gellman a apostrophé l’escroc en ces termes : « Il faudrait inventer un nouveau mot pour décrire la manière dont vous avez réinventé la trahison. » Sous-entendu : celle de votre communauté.

L’an dernier, Me Irving Picard, l’avocat nommé par la justice américaine pour veiller au dédommagement des victimes, estimait que 11 milliards de dollars, sur les 17,5 milliards confiés à Madoff, avaient été récupérés. Au bout du compte, 63 cents pourraient être récupérés sur chaque dollar extorqué.

En prison, Madoff n’a pas changé. S’il souffre de problèmes de cœur et n’a plus aucune nouvelle de son épouse, il est devenu une star chez ses codétenus. Il aurait même fait main basse sur l’approvisionnement de l’établissement en chocolat en poudre, qu’il revendrait ensuite au prix fort. On ne se refait pas !

Non, Bernie n’a pas berné Donald !

Dans le magazine Vanity Fair, en 2009, le journaliste Mark Seal se faisait l’écho d’une conversation avec Donald Trump à Palm Beach, en Floride. « Madoff m’a dit un jour : “Pourquoi n’investiriez-vous pas dans mon fonds ?” explique le futur président des États-Unis. C’était bien différent de ce que j’avais entendu à son propos. On disait qu’au début il avait au contraire coutume d’expliquer aux gens qu’ils ne pouvaient pas investir dans son fonds… » ­

Trump précise que « Bernie », natif comme lui du Queens, jouait au golf dans son club de Palm Beach – plutôt bien, paraît-il –, mais qu’il avait néanmoins décliné son offre : « Beaucoup de gens ont donné la totalité de leur fortune à ce fou, et qu’est-ce qu’ils ont eu en retour ? Rien […]. Pour les riches, ce type était un Svengali [l’escroc d’un roman aux relents antisémites de l’écrivain britannique George du Maurier (1834-1896)]. Il a pris leur argent comme s’il s’agissait de bonbons, il l’a mâché et l’a recraché. » Bien vu.

Mais dans le marigot new-yorkais, tout le monde n’est pas dupe. Ainsi, lors de la convention du Parti démocrate, en juillet 2016, le milliardaire Mike Bloomberg, ancien maire de New York, avait ainsi déclaré à propos de Trump : « En tant que New-Yorkais, je sais parfaitement reconnaître un arnaqueur quand il m’arrive d’en croiser un ! »

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