Mobutu : la descente aux enfers

Il y a vingt ans, le président du Zaïre était chassé du pouvoir par la rébellion de Laurent-Désiré Kabila, après plus de trois décennies de règne. Retour sur une descente aux enfers qui a durablement marqué l’Afrique contemporaine.

Une affiche représentant le président zaïrois jetée dans les flammes, fin 1996, à Goma. © CHALASANI/SIPA

Une affiche représentant le président zaïrois jetée dans les flammes, fin 1996, à Goma. © CHALASANI/SIPA

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Publié le 30 mai 2017 Lecture : 3 minutes.

Une affiche représentant le président zaïrois jetée dans les flammes, fin 1996, à Goma. © CHALASANI/SIPA
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Mobutu : la fin d’un monde

Il y a vingt ans, le président du Zaïre était chassé du pouvoir par la rébellion de Laurent-Désiré Kabila, après plus de trois décennies de règne. Retour sur une descente aux enfers qui a durablement marqué l’Afrique contemporaine.

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En cette nuit du 16 au 17 mai 1997, vue de la rive droite du grand fleuve d’où je l’observe, fasciné, Kinshasa est un Moloch à l’agonie. Abandonnée par son géniteur, livrée aux règlements de comptes meurtriers entre spadassins clochardisés d’une armée en déroute, la métropole frelatée de tous les plaisirs, Kin la belle, Kin la jouisseuse, s’apprête à accueillir les kadogos de Kabila, ces martiens venus de l’est, comme une prostituée à bout de souffle s’offre à son dernier client.

À la lumière des salves de roquettes et des balles traçantes, on perçoit les silhouettes sombres des vedettes rapides et des pirogues motorisées qui font d’ultimes traversées entre le beach de Kinshasa et celui de Brazzaville, le ventre bourré de militaires en fuite flanqués de leurs familles, juchés sur des cantines de billets de zaïres tout juste bons à emballer le manioc au marché.

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Jusqu’à la catastrophe finale, Mobutu se sera donc ingénié à déconstruire d’une main ce qu’il avait bâti de l’autre, menant à son terme une descente aux enfers unique dans l’histoire de l’Afrique contemporaine. À sa chute, après trente-deux ans de pouvoir, dont une moitié au faîte de sa gloire et une autre passée à glisser inexorablement jusqu’au fond du trou, il laisse un pays dans une situation pire que celle dont il avait pris prétexte pour s’emparer de la présidence en 1965.

Nostalgie de l’ère Mobutu

Aux yeux de l’Histoire, ce simple constat vaut jugement et condamnation. Pourtant, nombreux sont encore les Congolais à nourrir à l’égard du maréchal défunt des sentiments ambigus. De lui, ils ne retiennent, ne veulent retenir, que les années 1970-1980, qu’ils ont vécues ou qu’on leur a racontées. Lorsque l’argent du cuivre, dont la production rivalisait avec celle du Chili, coulait à flots et autorisait tous les éléphants blancs.

Années de fierté, d’estime de soi après une colonisation infantilisante, années d’espoir et de nationalisme, quand l’authenticité cimentait le sentiment patriotique. Années de corruption galopante certes, mais de corruption démocratisée jusqu’au dernier échelon de la société et qui permettait à chacun d’espérer gagner sa vie sans travailler. Années d’essor du lingala, langue reine, langue de voyous et de naissance de l’identité kinoise.

Capitale phare pour tous les politiciens qui s’y précipitaient comme des lucioles, Kinshasa était le vrai Versailles de Mobutu – Gbadolite n’étant qu’une pacotille dans la jungle –, dont la fonction consistait à accaparer les richesses des provinces sans rien leur rendre en retour. Qui tenait Kin tenait le pays tout entier.

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La spirale du déclin

Mais le vers était dans le fruit, et sous le culte du Chef absolu au nom de la tradition perçait l’habit du roi Léopold. Mobutu pensait qu’au Zaïre la nation procédait de l’État, et non l’inverse. Certes. Mais quand, à partir de la fin des années 1980, les cours des minerais s’effondrent, que l’argent ne rentre plus, l’État entame un processus accéléré de dépérissement, et la nation se disloque au même rythme.

Dévalué sur la scène internationale après la fin de la guerre froide, rongé par le cancer, Mobutu assiste passivement à l’interminable Conférence nationale et au dépeçage de ses prérogatives. Désindustrialisation, déliquescence des voies de communication, de l’agriculture et du pactole forestier, effondrement d’une Gécamines ponctionnée de toutes parts : le grand Zaïre, hier si courtisé, s’engouffre dans la spirale du déclin, y compris son armée, minée par l’affairisme de ses officiers supérieurs et incapable de soutenir le moindre effort de guerre.

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En 1996, quand les rebelles commencent leur inexorable progression, il ne reste plus à Mobutu et à ses proches que l’orgueil. Orgueil dérisoire et suicidaire qui les conduira à mépriser jusqu’au bout un ennemi porté à bout de bras par un voisin – le Rwanda – microscopique aux côtés du géant zaïrois. Vingt ans plus tard, par bien des traits, la RD Congo doit encore à Mobutu ce qu’elle a de meilleur et ce qu’elle a de pire. Celui qui apparaissait au creux des nuages dans les spots télévisés à sa gloire n’a pas fini de hanter l’imaginaire collectif de son peuple.

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