Elhadj Touré, un jeune Franco-Guinéen qui donne de la voix

Après des années de galère et de silence, ce Franco-Guinéen de 26 ans a pris sa revanche, en se hissant sur le podium d’un grand concours d’éloquence.

Elhadj Touré : « le problème, c’est que les jeunes ne sont pas écoutés. » © DR

Elhadj Touré : « le problème, c’est que les jeunes ne sont pas écoutés. » © DR

Publié le 2 juin 2017 Lecture : 4 minutes.

Longtemps, Elhadj Touré est resté sans voix. Persuadé que sa parole n’avait aucune valeur. Il a 15 ans lorsqu’un incendie ravage l’appartement HLM de banlieue parisienne où il vit avec sa mère, venue de Guinée, et ses quatre frères et sœurs. Ils n’ont pas de papiers, ils ne seront pas relogés, annonce le représentant du bailleur social. « Ça te fait tellement flipper, tu es tellement en colère, qu’il n’y a rien qui sort, se souvient Elhadj. Mais si j’avais eu les bons mots au bon moment, j’aurais été capable de lui faire comprendre certaines choses. Il a limite brisé des vies sans s’en rendre compte. La parole, c’est ce qui m’a manqué quand j’étais gosse. »

La famille se réfugie dans des chambres d’hôtel, que sa mère s’endette pour payer. Convaincu qu’il n’est pour elle qu’un fardeau, le jeune homme prend son sac et s’enfonce dans un monde de silence. « Quand on vit dans la rue, on ne peut plus s’exprimer. Le plus dur ce n’est ni la faim ni le froid, c’est l’absence de dialogue… Ces milliers de personnes qui ne vous adressent pas un mot », se remémore-t-il.

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Retour à l’école

Véritable rescapé, il parvient à retrouver sa mère deux ans plus tard, grâce à une association, et reprend le chemin de l’école, puis de l’université Paris-8, en Seine-Saint-Denis. Il décroche un diplôme en musicologie avant de s’orienter vers la sociologie, entamant des recherches sur le génocide rwandais, l’ethnicisme et le contrôle au faciès. Mais il reste persuadé qu’il n’aura jamais voix au chapitre. Alors à quoi bon tenter sa chance à Eloquentia Saint-Denis, comme le suggère Ibrahim Bechrouri, le président de son club de football américain ? Ce concours d’éloquence n’est pas pour lui. Mais son coéquipier sait convaincre : il était finaliste lors de l’édition précédente.

Le sportif en lui finit par relever le défi. Et il se lance dans une préparation intensive de six semaines. Très vite, Elhadj doit se jeter à l’eau face à une classe de vingt-huit camarades et à la caméra de Stéphane de Freitas. Le réalisateur et créateur du concours veut retracer leur parcours jusqu’au grand oral pour le documentaire À voix haute, la force de la parole, actuellement en salles. Grâce aux méthodes musclées de l’avocat Me Bertrand Périer, à la poésie du slameur Loubaki ou à une rencontre avec l’ex-ministre français de la Justice Robert Badinter, ce grand gaillard de 24 ans apprend à articuler ses idées, à poser sa voix, à occuper la scène.

« Le rêve vaut-il mieux que la réalité ? »

Peu à peu, l’étudiant indécis gravit les étapes du concours et se hisse en demi-finale. Le sujet ? « Le rêve vaut-il mieux que la réalité ? » La réponse, Elhadj la puise dans son expérience : « J’ai essayé de faire comprendre que le rêve a failli me faire sombrer, car je me reposais beaucoup trop dessus en attendant que quelqu’un vienne me sauver. Finalement c’est en acceptant la réalité et en luttant que j’ai réussi à sortir de la rue. » Dans l’amphithéâtre, ce n’est pas sa carrure de quarterback mais ses punchlines qui impressionnent. De sa voix grave et forte, il raisonne, bataille, étonne, tentant de rallier le jury et le public à sa cause.

Au bout de cette plaidoirie très personnelle, la troisième place du concours. Et la certitude que « la parole est une arme ». Elhadj aimerait que les jeunes en prennent conscience, des ghettos de la Seine-Saint-Denis à Conakry. « En Guinée, la nouvelle génération reste neutre, elle n’est pas encore entrée dans le jeu politique, elle peut donc faire changer les choses. Les jeunes doivent prendre conscience qu’ils peuvent avoir bien plus d’impact qu’ils ne le pensent », s’enthousiasme-t-il.

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Naïf ? « Non, résolument optimiste. » Mais encore faut-il que leurs opinions soient respectées, entendues. « Le problème, c’est qu’ils ne sont pas écoutés. La parole des anciens a toujours plus de valeur. »

Des projets dans la région de Boké

Quand il n’est pas retenu par ses travaux d’assistant-chercheur – il a été recruté dès la fin de ses études par son ancien professeur Nicolas Jounin – ou par la promotion d’À voix haute et d’Eloquentia dans les cinémas, les écoles et sur les plateaux de télévision, Elhadj rentre au pays. Il en est tombé amoureux dès sa première venue, à 8 ans, et s’y rend trois à quatre mois chaque année, pour des séjours qu’il décrit comme des respirations.

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Mais le flot de ses paroles est continu quand il parle de ses projets dans la région de Boké, souvent imaginés avec son père. Des programmes agricoles pour lutter contre la malnutrition. Une bibliothèque avec l’association des jeunes de Kakandé. Une marque de vêtements équitables, Panam’freeK. Et, surtout, un groupe scolaire créé en 2009 à Kamsar et qui accueille près de 600 élèves. Elhadj le sait : le savoir, c’est la clé. C’est grâce à lui qu’il a trouvé sa voix.

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