Maroc : les medersa de Fès s’érigent en remparts contre l’extrémisme
Rénovées et restaurées à l’identique, les medersa de Fès renouent peu à peu avec leur vocation multiséculaire : diffuser un « islam du milieu » et servir de rempart contre l’extrémisme.
Écoles coraniques. De Fès à Marrakech, villes impériales et capitales de dynasties musulmanes qui ont régné sur le Maroc, le concept exhalait ces dernières années des relents d’extrémisme. La faute sans doute à des cheikhs salafistes comme Mohamed Maghraoui, le célèbre prédicateur qui avait autorisé le mariage de fillettes de 9 ans, ou encore son ancien bras droit, Hammad Kabbadj, le salafiste dont la candidature aux législatives (sous étiquette PJD) avait été invalidée en raison de ses prêches haineux.
Leur réseau d’écoles coraniques, placé sous l’égide de l’Association de la prédication pour le Coran et la sunna, avait d’ailleurs été fermé pendant plus de trois ans par le ministère des Affaires islamiques. Le département d’Ahmed Toufiq reprochait, entre autres, à ces établissements d’enseigner le Coran selon plusieurs versions et non une seule, celle notamment de Warch, adoptée au Maroc.
Des pratiques critiquées
Sécuritaires et religieux du royaume s’accordent sur le fait que certaines pratiques au sein de ce genre d’établissements sont telles qu’elles comportent le risque de véhiculer des idées radicales. Pourtant, dans l’histoire du Maroc musulman, les écoles coraniques ont toujours été assimilées à de hauts lieux du savoir, des modèles de tolérance et de cohabitation, comme en témoignent les nombreuses medersa de Fès, construites pour la plupart au XIVe siècle, sous l’ère des Mérinides.
L’histoire glorieuse de ces écoles est aujourd’hui remise au goût du jour pour qu’elle s’inscrive dans la politique religieuse de l’État. En témoignent la présentation, le 23 mai, devant Mohammed VI, du programme de réhabilitation de ces medersa et leur ouverture aux étudiants de l’université Al-Qarawiyyin. « Un signe probant de notre modèle civilisationnel qui participera à l’enrichissement du capital immatériel du royaume et permettra aux générations actuelles et futures de résister à l’extrémisme, à la violence, au désespoir et à l’imposture », soulignait le ministre des Affaires islamiques devant le Commandeur des croyants, qui présidait la cérémonie dans la bibliothèque d’Al-Qarawiyyin, considérée comme la plus ancienne institution d’enseignement supérieur islamique dans le monde. Tout un symbole.
Cohabitation harmonieuse
Dès 2013, Mohammed VI avait pris conscience de l’importance de ressusciter ces medersa de Fès qui ont accueilli au fil des siècles d’illustres savants, comme Ibn Khaldoun, Maïmonide, ou encore le pape Sylvestre II. « Les livres d’histoire décrivent cette cohabitation paisible qu’offrait Fès à sa population, qui ne partageait pas nécessairement la même religion ni les mêmes croyances, mais qui était “habitée” par l’âme de la ville millénaire et son savoir-vivre », explique Fouad Serrhini, directeur général de l’Agence pour le développement et la réhabilitation de la ville de Fès (Ader-Fès). C’est cette âme de la ville édifiée par Moulay Idriss il y a plus de mille deux cents ans qui renaît petit à petit.
En franchissant la porte de la medersa de Seffarine, le visiteur se sent comme téléporté au XIIIe siècle
« Cette place de Seffarine a retrouvé l’ambiance dont nous parlaient nos parents et grands-parents », nous confie Belaziz, qui tient depuis vingt ans une échoppe d’argenterie sur la place. Sa boutique, refaite à neuf aux frais de l’Ader, se trouve face à la bibliothèque d’Al-Qarawiyyin et jouxte la porte de la medersa Seffarine, elle aussi rénovée pour 8 millions de dirhams (environ 726 000 euros) et où logent désormais trente-deux étudiants de l’université. « On voit les étudiants et les oulémas sortir de la medersa et aller à la bibliothèque. On discute avec eux religion et vie quotidienne », ajoute le quadragénaire, qui a toujours habité la médina.
En franchissant la porte de la medersa de Seffarine, le visiteur se sent comme téléporté au XIIIe siècle. Les portes en bois, les luminaires en bronze, les plafonds colorés, le zellige sur le sol et les murs… tout a été refait à l’identique, comme si le temps n’avait laissé aucune séquelle sur ce joyau architectural, la première medersa des Mérinides, construite en 1276 par le sultan Abou Youssef Yaacoub. À l’intérieur de ses vingt-sept chambres, des meubles en kit d’assez bonne facture nous rappellent que nous sommes bien au troisième millénaire. Dans une des grandes pièces de la medersa donnant sur le patio, se déroule un cours de pensée islamique, rétroprojecteur et laptops servant de matériel pédagogique.
Dans cette classe de troisième année d’enseignement traditionnel, une poignée d’étudiants viennent d’Afrique subsaharienne. Parmi eux, Alassane Sagali, un Ivoirien de 22 ans, qui ne tarit pas d’éloges sur les conditions de sa formation. « Il fait bon étudier à Al-Qarawiyyin. Quand on n’a pas cours au sein même de la medersa, l’université et la bibliothèque sont à deux pas. Les gens de la médina sont accueillants, nos chambres sont plus que correctes. Et, surtout, nous avons une équipe d’enseignants de grande qualité qui nous imprègnent des valeurs de l’islam du juste milieu. »
Ijtihad
Cet islam de juste milieu a fait la réputation du modèle marocain, considéré à l’avant-garde de l’ouverture et de l’adaptation ingénieuse des préceptes religieux aux exigences de la vie moderne. Al-Qarawiyyin est ainsi une pierre angulaire de la refondation et de la modernisation du champ religieux. Les quatre établissements sous la tutelle de cette université accueillent plus de 1 700 étudiants et sont souvent sollicités par des pays africains et européens, comme c’est le cas pour l’Institut Mohammed-VI pour la formation des imams. Al-Qarawiyyin continue d’ailleurs d’enrichir ses cursus avec le lancement d’un nouveau master en sciences religieuses et humaines. « Ce type de formation est dans la droite ligne de la vocation d’Al-Qarawiyyin de renforcer les compétences requises pour l’effort d’interprétation [ijtihad] », explique Ahmed Toufiq. Il est même question de créer une chaire de doctorat pour préparer des profils pointus capables de combattre toutes les formes d’intolérance. Et de servir de rempart contre les prédicateurs de la haine…
La médina renaît de ses cendres
Le 15 juin 2016, Mohammed VI arpente pendant deux heures les ruelles de la médina de Fès. Pas moins de 13 des 27 monuments de la capitale spirituelle, recensés dans le programme de rénovation, sont passés au crible par le souverain. C’est que ce projet lui tient à cœur. En 2014, il avait piqué une colère noire en constatant que ce programme patinait. Depuis, les budgets ont été débloqués et les équipes d’artisans se sont relayées jour et nuit pour accélérer la cadence. Aujourd’hui, l’impact est visible dans cet entrelacs de ruelles où tanneurs, potiers et commerçants sont rois. De Tallaa Seghira à Bab Boujloud, les étroites ruelles de ces quartiers médiévaux ont été mises à niveau.
Idem pour les ponts historiques, les borj, mais aussi les nombreuses medersa qui ont retrouvé leur splendeur d’antan. Selon Fouad Serghini, directeur de l’Agence pour le développement et la réhabilitation de Fès (Ader-Fès), un budget de 335 millions de dirhams (environ 30,4 millions d’euros) a été mobilisé pour ce programme de restauration qui a démarré en 2013. Un programme attendu depuis les années 1980, quand cette médina a été classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Il a fallu une véritable impulsion du roi pour que les travaux aboutissent et s’achèvent même avec un peu d’avance. Et le travail continue. « Jusque-là, nous avons restauré les monuments les plus prestigieux, mais il est question d’établir un autre programme de restauration », explique le directeur de l’Ader-Fès.
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