Partenariat : la Caisse des dépôts et consignations française veut imprimer sa marque en Afrique
Les Caisses des dépôts et consignations (CDC), dont cinq ont été créées en Afrique sur le modèle hexagonal, apparaissent comme l’un des outils qui permettraient de réduire la dépendance à l’aide extérieure.
Banques africaines : le tournant de la digitalisation
Menacées sur leur propre terrain par les opérateurs de télécoms, les banques africaines ont entamé une mue numérique depuis trois ans, avec l’aide de nouveaux acteurs pour contourner les difficultés technologiques. Objectif : rationaliser leur fonctionnement et gagner des clients.
Les besoins de financement des 54 pays africains pour la construction des barrages, routes, voies ferrées, lignes électriques, ports, hôpitaux, universités ou encore centres urbains qui leur font défaut restent élevés. En compilant les estimations d’experts, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) est parvenue à les chiffrer à plus de 600 milliards de dollars (536 milliards d’euros) par an !
Peut-on compter sur l’aide publique ? Non, car, même au niveau mondial, elle est quatre fois inférieure à ce montant. Sur les prêts ? Non : ils atteignent en effet déjà un niveau alarmant qui fait craindre un défaut de remboursement de certains pays. Sur les investissements privés étrangers ? Pas davantage, puisqu’ils arrivent au compte-gouttes.
Il faut donc compléter ces fonds par d’autres sources de financement. L’Agenda 2063 adopté le 31 janvier 2015 par l’Union africaine propose que les Africains financent les Africains. Elle prévoit de réduire de moitié la dépendance du continent à l’égard de l’aide extérieure et de doubler la contribution des marchés de capitaux africains au développement du continent.
Modèle à la française
Parmi les nouveaux outils qui pourraient contribuer à cette indépendance figurent les Caisses des dépôts et consignations, dont cinq ont été créées sur le modèle de leur homologue française, au Maroc, en Tunisie, au Gabon, en Mauritanie et au Sénégal. Deux autres sont en cours d’installation, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire.
Pourquoi cet engouement ? « L’accès au financement est l’une de nos principales contraintes, au moment où nous avons besoin d’investissements structurants, explique le premier ministre burkinabè, Paul Kaba Thieba. Il nous faut rentabiliser et protéger les fonds de retraite publics et privés ainsi que l’épargne des travailleurs pour les mettre au service du développement. »
En France, par exemple, les fonds des livrets A sont confiés à la Caisse des dépôts pour financer le logement social. De même, en Tunisie, son alter ego draine les dépôts de la Caisse d’épargne nationale tunisienne. Dans tous les cas, il s’agit de transformer des dépôts à court terme en investissements de long terme.
La plupart des CDC sont utiles pour apporter des capitaux aux entreprises de leur pays et aux grands travaux décidés par le gouvernement
« La Caisse travaille sur plusieurs fronts », explique Mohamed Ben Néji, directeur chargé des partenariats et de la communication de la Caisse tunisienne, citant l’énergie, les forêts, l’économie verte, l’urbanisme et les grands projets structurants. Cela s’effectue « en appui aux politiques de l’État, tout en maintenant son action entamée en matière de soutien aux PME ».
De la doyenne, la Caisse marocaine, aux futures Caisses burkinabè et ivoirienne, les sources d’argent liquide sont comparables : fonds des livrets d’épargne, des caisses de retraite et des notaires, cautionnements, réserves d’établissements publics. La plupart s’en servent pour apporter des capitaux aux entreprises de leur pays et aux grands travaux décidés par le gouvernement. On retrouve les CDC au capital des sociétés qui financent le logement social (Maroc, Sénégal, Mauritanie), des très petites entreprises (Mauritanie, Tunisie) ou des projets industriels (Gabon).
Bras armé
La Caisse sénégalaise a pris des participations dans Air Sénégal. La tunisienne a investi dans les technopoles de Sousse, de Sfax et de Sidi Thabet. La gabonaise est entrée dans le tour de table de la société forestière privée qui réalise des plantations d’okoumés. Elles ont affronté des vents contraires, par exemple dans le secteur immobilier pour la marocaine. Mais aucune n’a jamais fait faillite et toutes affichent des bénéfices.
La CDC a financé des ports, des chemins de fer, des écoles primaires, des villes nouvelles, des stations balnéaires, des stations de ski, le numérique…
Quel est l’apport de leur grande sœur française ? « Comme le libéralisme ne fonctionne pas bien et le dirigisme, plus du tout, les dirigeants africains viennent nous voir, car ils ont entendu parler de la CDC française qui a été, depuis bientôt deux siècles, le bras armé de l’État grâce à l’épargne des Français », répond Laurent Zylberberg, le directeur des relations institutionnelles et internationales. La CDC a financé des ports, des chemins de fer, des écoles primaires, des villes nouvelles, des stations balnéaires, des stations de ski, le numérique…
« Outre des sources durables de recettes et de bons investissements à réaliser, il leur faut trouver les moyens pour que la Caisse inspire confiance aux citoyens et aux épargnants, ajoute-t-il. Cela implique la pérennité de l’État, comme au Burkina Faso, où des chefs d’État de sensibilités très différentes se sont succédé sans renier les engagements de leurs prédécesseurs. Cela exige aussi que la Caisse ne soit ni trop loin ni trop près de l’État. » Trop loin, son action ne s’inscrirait pas dans les stratégies gouvernementales. Trop près, elle risquerait de financer des actions profitant exclusivement aux cercles du pouvoir.
Suffisamment indépendante, la Caisse tunisienne ? Le décret-loi qui l’a créée précise que ses investissements dans le secteur privé comme dans les domaines stratégiques publics doivent être réalisés « tout en veillant à leur viabilité économique », terme qui « est une première dans la législation tunisienne, qui veille à l’indépendance de la Caisse, sachant qu’elle gère les ressources sacrées de l’épargne postale », répond Mohamed Ben Néji.
Echanges
Comment consolider cette indépendance ? La France a choisi pour cela de placer sa CDC sous le contrôle de l’Assemblée nationale. Pour éviter un tête-à-tête exclusif, donc dangereux, entre Caisses et gouvernements, il serait sain « d’ouvrir à des opérateurs étrangers le capital des sociétés auxquelles participent les Caisses », préconise Benoît Chervalier, associé-gérant de la société de conseil One2five et ancien de la Banque africaine de développement, qui ajoute : « Cela suppose des privatisations, mais cela ne pourrait intervenir que dans un deuxième temps. »
L’appui de la CDC française est fourni à titre gratuit et consiste en une transmission d’expériences. « Nous disons à nos interlocuteurs : nous pouvons vous présenter ce que nous avons fait au cours de notre histoire, nos réussites comme nos échecs, raconte Christian Badaut, le directeur du pôle international. Mais c’est à vous de choisir quelle sorte d’institution vous souhaitez créer et pour quoi faire. »
Depuis 2011, ces échanges d’expériences se prolongent, tous les deux ans, à l’occasion d’un Forum mondial des Caisses de dépôts auquel participent la CDC française, la Cassa Depositi e Prestiti italienne ainsi que la Caixa brésilienne. Sa prochaine réunion se tiendra à Rome en septembre. Les groupes de travail s’y pencheront sur le développement des infrastructures, des PME et du développement urbain.
Quelles que soient leur ancienneté et la taille de leur bilan, les Caisses pèsent toutes le même poids dans ce Forum. Elles y rivaliseront d’imagination pour trouver les moyens de relever le défi du financement de la transition énergétique et de l’émergence d’une Afrique de bientôt trois milliards d’habitants.
L’Afrique prioritaire
Les Caisses des dépôts africaines seront les premières bénéficiaires du fonds de 600 millions d’euros de capital en cours de création par la CDC française et l’Agence française de développement, a promis Pierre-René Lemas, le directeur général de l’institution française. Ce fonds investira en priorité dans les infrastructures et sous forme de prises de participation.
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