« Impeachment » : pourquoi Trump doit se méfier de ses services de renseignements

Outre-Atlantique, les services secrets, placés sous les ordres du président, ne sont pas pour autant ses caniches. Il arrive même qu’ils mordent leur maître, comme Richard Nixon l’a appris à ses dépens lors du Watergate. Donald Trump ferait bien de se méfier.

Allen Dulles, patron de la CIA, en 1960. © Hank Walker/The LIFE Picture Collection/Getty Images

Allen Dulles, patron de la CIA, en 1960. © Hank Walker/The LIFE Picture Collection/Getty Images

Publié le 8 juin 2017 Lecture : 8 minutes.

Entre les présidents et les services de renseignements américains – qui regroupent pas moins de dix-sept agences, dont la CIA et le FBI –, c’est un peu le mariage de la carpe et du lapin. Si le président des États-Unis (« Potus », acronyme de « President of The United States ») a autorité sur ces services, il s’en méfie aussi comme de la peste. Il y a de quoi. N’ont-ils pas mis en difficulté certains des locataires de la Maison-Blanche, voire contribué à leur chute ?

La partie de bras de fer qui se joue aujourd’hui entre Donald Trump et James Comey, l’ancien patron du FBI, qu’il a limogé en mai, en constitue un parfait exemple. Selon le New York Times, Trump lui aurait demandé trois mois plus tôt d’abandonner son enquête sur le général Michael Flynn. Éphémère conseiller à la Sécurité nationale, Flynn, dont Trump a dû se séparer en février, avait en effet dissimulé ses contacts répétés avec de hauts responsables russes.

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Président sous écoute

Ennuyeux, alors que la CIA et le FBI ont acquis la certitude que le Kremlin a tenté d’influencer la présidentielle américaine en faisant trébucher Hillary Clinton au profit de son rival républicain. Ils l’ont écrit noir sur blanc dans un rapport, rendu public en janvier.

Depuis, le Sénat, la Chambre des représentants et le FBI ont diligenté des enquêtes. Toutes s’efforcent de déterminer s’il y a eu collusion entre des proches du Kremlin et l’entourage de Trump. Outre Flynn, Jeff Sessions, le ministre de la Justice, et Jared Kushner, le propre gendre du président, sont visés. À en croire le Washington Post, Kushner aurait établi un « canal de communication secret » avec Sergueï Kislyak, l’ambassadeur de Russie aux États-Unis, peu avant la prise de fonctions de son beau-père.

En limogeant Comey, Trump pensait s’ôter une épine du pied. Mais le chef du FBI, qui se méfiait du nouveau président, a pris soin de rédiger des comptes rendus après chacune de leurs rencontres.

Si ces soupçons se confirmaient, ils pourraient déboucher sur une procédure d’impeachment à l’encontre du président

Ils pourraient très vite ressurgir… Surtout, le ministre adjoint de la Justice, autorité de tutelle du FBI, a nommé un conseiller spécial pour diriger l’enquête du Bureau : Robert Mueller, son ex-patron, une figure unanimement respectée.

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Si ces soupçons se confirmaient, ils pourraient déboucher sur une procédure d’impeachment à l’encontre du président. Rien d’étonnant à ce que Trump s’alarme. C’est, a-t-il twitté, la pire « chasse aux sorcières » de l’histoire des États-Unis. Quant à sa collusion présumée avec la Russie, il la qualifie de « canular total ».

James Comey, l’ex-patron du FBI, auditionné par la commission judiciaire du Sénat, à Washington, le 3 mai. © Kevin Lamarque/REUTERS

James Comey, l’ex-patron du FBI, auditionné par la commission judiciaire du Sénat, à Washington, le 3 mai. © Kevin Lamarque/REUTERS

Un parfum de déjà vu

Le limogeage de Comey fait pourtant irrésistiblement penser au Watergate, puisque le dernier président américain à avoir limogé le responsable d’une enquête qui le visait personnellement est un certain Richard Nixon. En octobre 1973, lors de ce que les Américains appellent le Saturday Night Massacre, « Tricky Dick » avait congédié Archibald Cox, le procureur spécial chargé d’enquêter sur le cambriolage des locaux du Parti démocrate à Washington – ce fait divers fut le point de départ du scandale.

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En 1993, Bill Clinton avait, lui, renvoyé William Sessions, le directeur du FBI de l’époque, mais pour des raisons éthiques (il avait financé des travaux à son domicile avec des fonds publics), et non parce qu’une enquête le visait en particulier. Rien à voir avec le brutal limogeage de Comey, qui en était à sa quatrième année de mandat, sur les dix années prévues afin de le préserver des pressions politiques. Sa parole pourrait peser très lourd.

D’autant que Trump, après l’avoir renvoyé, s’est targué auprès de Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, de s’être ainsi « enlevé de la pression », qualifiant au passage Comey de « dingue »…

L’identité de cette taupe, tenue secrète pendant trente ans, a été révélée en 2005

Mais, comme sous Nixon, le FBI pourrait avoir le dernier mot. Le Watergate éclata en effet grâce aux articles de deux journalistes du Post, Carl Bernstein et Bob Woodward, alimentés par une taupe, la fameuse « Gorge profonde ». L’identité de cette taupe, tenue secrète pendant trente ans, a été révélée en 2005. Il s’agissait de Mark Felt, à l’époque numéro deux du FBI. Ce dernier a ainsi été à l’origine de la chute de Nixon, qui annonça sa démission le 8 août 1974 après qu’une procédure d’impeachment eut été lancée contre lui.

Autre parallèle troublant avec Trump : comme le révélèrent les enregistrements des discussions que Nixon avait eues avec ses collaborateurs, et qu’il réalisait à leur insu, Tricky Dick avait demandé que la CIA et le FBI bloquent l’enquête qui le visait. Trump a-t-il lui aussi enregistré ses conversations avec Comey ? C’est en tout cas ce qu’il a laissé entendre dans un tweet menaçant.

Dans les années 1980, l’administration Reagan s’était également trouvée sur la sellette, lors du scandale de l’Irangate, où des ventes d’armes secrètes à l’Iran – théoriquement sous embargo – avaient servi à financer les Contras, ces opposants nicaraguayens qui voulaient renverser le régime sandiniste. Après enquête du FBI, certains responsables furent condamnés, comme John Poindexter, le conseiller adjoint à la sécurité nationale, et son bras droit, Oliver North. Reagan, lui, maintint qu’il ignorait à qui l’argent était destiné.

Un des principaux protagonistes du Watergate : le procureur Archibald Cox, en 1973. © John Duricka/AP/SIPA

Un des principaux protagonistes du Watergate : le procureur Archibald Cox, en 1973. © John Duricka/AP/SIPA

Jeu dangereux

Bill Clinton eut lui aussi des démêlés avec ses services. D’abord pour de supposées malversations liées au projet immobilier Whitewater – lui et son épouse furent finalement blanchis –, puis dans l’affaire Lewinsky. À l’époque, Louis Freeh, le patron du FBI, apporta une aide précieuse à Kenneth Starr, le procureur indépendant chargé d’enquêter sur la liaison de Clinton avec la pulpeuse stagiaire.

Dans son rapport, Starr conclut que le président avait menti sous serment. Mais il ne vint même pas à l’idée de Clinton de renvoyer Freeh tant le tollé eût été considérable. Il fit face à une procédure d’impeachment à la Chambre des représentants, puis fut acquitté par le Sénat.

George W. Bush a lui aussi senti le vent du boulet. Plusieurs membres de son administration ont ainsi été accusés d’avoir divulgué l’identité d’un agent de la CIA, Valerie Plame, pour se venger des critiques que son mari avait proférées à l’encontre de la politique en Irak. Lewis « Scooter » Libby, un proche du vice-président Dick Cheney, essuya les plâtres et fut condamné pour avoir menti aux agents fédéraux chargés de cette affaire.

Les agissements parfois subversifs des agences de renseignements, couverts par le président, peuvent aussi lui revenir tel un boomerang

La CIA fut également une source d’embarras pour Bush puisqu’elle prétendit faussement, en 2003, que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive. Elle s’était montrée plus clairvoyante lors de la guerre du Vietnam : en 1967, Richard Helms, son directeur, déclara abruptement à Lyndon Johnson que les États-Unis n’étaient « pas en mesure de faire face à une guérilla menée par un opposant déterminé ».

Les agissements parfois subversifs des agences de renseignements, couverts par le président, peuvent aussi lui revenir tel un boomerang. Ce fut le cas sous George W. Bush, après le 11 septembre 2001, lorsqu’on découvrit l’existence de prisons secrètes de la CIA où étaient torturés des jihadistes présumés. Et, sous Obama, du programme d’écoute que la NSA avait mis en place pour espionner les citoyens américains.

Il arrive aussi que la créature échappe à son maître. Lors du second mandat d’Eisenhower, par exemple, Allen Dulles, le directeur de la CIA, « oubliait » d’informer le président des activités de l’agence à l’étranger, comme il avait « oublié » d’informer Kennedy de la mort de Lumumba.

Autre sujet d’embarras pour les présidents : les informations que leurs propres services de renseignements font fuiter dans les médias

Cette absence de contrôle politique fut à l’origine d’échecs retentissants, à l’instar de ces tentatives parfois abracadabrantesques visant à liquider Rafael Trujillo, le dictateur dominicain, ou Fidel Castro, qui survécut à plus de six cents tentatives d’assassinat, allant du cigare piégé au milk-shake empoisonné…

Autre sujet d’embarras pour les présidents : les informations que leurs propres services de renseignements font fuiter dans les médias. Il y a quelques jours, par exemple, la presse américaine a révélé le nom du kamikaze de Manchester (qui, le 22 mai, a causé la mort de 22 personnes) alors que les services britanniques ne l’avaient pas encore rendu public.

Après avoir essuyé la colère de Theresa May, la Première ministre britannique, Trump a qualifié ces fuites de « très troublantes » et de « diablement proches de la trahison ». Ce sont pourtant des fuites similaires qui avaient appris au grand public l’existence des prisons secrètes de la CIA et les programmes d’écoute de la NSA.

Une fois élu, Obama a fait emprisonner plus de lanceurs d’alerte que tous ses prédécesseurs réunis

Obama avait d’ailleurs fait campagne en promettant de limiter les excès de la lutte antiterroriste telle qu’elle était menée sous Bush. Pourtant, une fois élu, Obama a fait emprisonner plus de lanceurs d’alerte que tous ses prédécesseurs réunis. Trump est davantage empêtré dans ses contradictions.

Lorsque les courriels de plusieurs responsables démocrates avaient paru dans la presse, durant la campagne présidentielle, il avait tweeté « I love WikiLeaks ». Maintenant qu’il est président, il fulmine contre les fuites qui évoquent les liens de son entourage avec des responsables russes.

Las, il est lui-même l’auteur de certaines de ces fuites… Peu avant sa visite en Israël, à la mi-mai, le nouveau « Potus » a jeté un froid dans ce pays. La raison ? Il a livré à Sergueï Lavrov des informations ultrasensibles portant sur un projet terroriste de Daesh. Or, les services américains devaient ces informations à leur allié israélien.

Un bavard nommé Donald

De même, lors d’un entretien avec Rodrigo Duterte, le président des Philippines, Trump a mentionné la présence de deux sous-marins nucléaires en Asie, dépêchés pour faire face à la menace nord-coréenne. Tous deux faisaient partie d’une force furtive de la Navy, Silent Service. Cette indiscrétion a provoqué la fureur du Pentagone.

Là encore, comme auprès de Lavrov, Trump n’a pas pu s’empêcher de se vanter. « Nous avons une énorme puissance de feu en Asie », s’est-il exclamé, avant de qualifier ces sous-marins de « meilleurs au monde ». Qui a dit que Donald était bavard ?

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