Aide au développement en Tunisie : sur les pas des bailleurs

Depuis 2011, les institutions internationales suivent le pays de près, jusque sur le terrain. Reportage à Sidi Bouzid, en compagnie de l’ambassadeur de l’Union européenne, Patrice Bergamini.

Au centre de l’image, Patrice Bergamini, diplomate européen. © Union Européenne

Au centre de l’image, Patrice Bergamini, diplomate européen. © Union Européenne

Publié le 14 juin 2017 Lecture : 4 minutes.

Le drapeau tunisien, en mars 2015 à Tunis pendant une éclipse. © Christophe Ena/AP/SIPA
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La Tunisie sur le qui-vive

Citoyens, milieux d’affaires, communauté internationale… En Tunisie, alors que les élections locales doivent se tenir d’ici la fin de l’année, l’inquiétude demeure palpable et les défis sont nombreux. Pourtant, lentement mais sûrement, le pays avance.

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À la fin de mars, sur le marché central de Sidi Bouzid, la présence de Patrice Bergamini, ambassadeur de l’Union européenne (UE) en visite en Tunisie, attirait une foule de badauds. Un étranger accompagné du gouverneur et des dignitaires de la région suscite forcément la curiosité dans cette ville du centre du pays où la révolution a démarré, en décembre 2010. Même si elle n’est désormais plus une étape obligée des officiels tunisiens en tournée à l’intérieur des terres.

Le diplomate français – natif de Marseille, il a effectué son service national au sein de l’ambassade de France à Tunis en 1995 – ne semble aucunement gêné par ces attroupements. Au contraire, c’est l’occasion pour lui d’entendre les populations locales. « Je ne viens pas jouer l’inspecteur des travaux finis, explique-t-il. Je suis là pour voir comment je peux rectifier et améliorer l’apport de l’Union, car les relations ne sont pas uniquement économiques et commerciales. » Une manière de s’assurer sur le terrain que les 800 000 euros de dons octroyés à la ville par l’UE ont bien été employés, et à de bonnes fins.

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Le marché central de Sidi Bouzid, le plus grand du pays, est justement financé par ces fonds. Ce qui n’empêche pas une marchande de quatre-saisons de se plaindre d’un loyer trop cher, en vendant au passage quelques fruits à l’ambassadeur.

« Notre quotidien est meilleur »

Belles histoires. Passage obligé par l’hôpital et par l’école, où l’UE a fourni des équipements et financé des rénovations. Dans les quartiers populaires de Frayjia et d’Ouled Chalbi, restaurés par l’Agence de réhabilitation et de rénovation urbaine (Arru) et l’UE, on le remercie. « Avec un environnement et une voirie remis à neuf, notre quotidien est meilleur ! » se réjouit le patron d’un salon de coiffure.

Patrice Bergamini dit être chaque fois « épaté » par les gens et par leur détermination à s’en sortir. « Ils ont la capacité de produire de vraies belles histoires. La difficulté est de donner les moyens de générer une attitude positive, avec les bons relais sur le terrain. »

Nous ne sommes pas là pour nourrir la corruption locale

Il se souvient d’un vieil homme, à Sfax, qui avait dénoncé l’utilisation de coudes en cuivre – moins onéreux, mais plus polluants que ceux en PVC – dans les évacuations d’eau qui venaient à peine d’être installées. Et il disait vrai. « Je dois démontrer aux députés européens que l’argent de l’UE investi à l’extérieur est utile et permet de faire la différence, et aux partenaires publics comme privés, hommes d’affaires et ONG, que nous ne sommes pas là pour nourrir la corruption locale », résume Patrice Bergamini.

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Fausse bonne idée. L’UE sait qu’elle a des cartes à jouer dans des pays en pleine reconstruction tels que la Tunisie et a pour cela mis en place des leviers économiques et financiers importants. Sur la durée de son mandat, jusqu’en 2020, Patrice Bergamini dispose de 1,2 milliard d’euros de dons et de 3,2 milliards de crédits, soit 4,6 milliards, qui correspondent à la moitié des besoins de la Tunisie sur trois ans.

Nous avons une obligation de résultat

Pour 2017, 300 millions d’euros seront ventilés, pour moitié en appuis budgétaires et pour l’autre en appels à projets. « La Tunisie est le seul pays de la région sur lequel tous les pays de l’UE partagent une unité de vue et un même diagnostic. Nous avons une obligation de résultat, ou plutôt un impératif de non-échec immédiat, et devons constater que l’investissement est bien orienté et que l’on n’est pas dans la fameuse “fausse bonne idée” », rappelle l’ambassadeur.

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Le dialogue comme mot d’ordre

Il travaille en concertation avec le gouvernement tunisien. Il écoute les voix des moins favorisés. Il entend aussi le monde des affaires. À Henchir el-Fendri, exploitation agricole tenue par le groupe Sadira, on lui expose les difficultés rencontrées à l’exportation. La Tunisie n’ayant pas ratifié, comme le Maroc, les accords agricoles avec l’Europe en 2014, la cagette de fruits est taxée de 5 euros de droits de douane supplémentaires… C’est trop pour l’exploitant, qui se voit privé de l’accès à un marché de proximité important.

Les femmes et les jeunes, eux, sont les gardes-fous, les forces de rappel et les piliers de cette démocratie

Les déplacements en région, les réalisations depuis 2011 et les rencontres, aussi bien avec les responsables locaux qu’avec les représentants de la société civile, ont affiné l’approche de l’UE, qui cible de manière transversale le développement des régions intérieures ainsi que la consolidation de la protection des droits des femmes et des jeunes. Ce sont eux que Bergamini rencontre, en cette fin de journée à Sidi Bouzid, pour des échanges hors de la présence des notables.

« Les régions intérieures sont le levier qui obligera le littoral, qui reste immobile, à faire partie du changement. Les femmes et les jeunes, eux, sont les garde-fous, les forces de rappel et les piliers de cette démocratie. Ils ont plus de convictions que d’ambitions personnelles, et il faut mettre en lumière ces sources de lumière », conclut l’ambassadeur, sous le ciel virant au bleu nuit de Sidi Bouzid.

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