Maroc : déjà 10 millions de bénéficiaires de l’Initiative nationale pour le développement humain

Lancée par Mohammed VI en mai 2005, l’Initiative nationale pour le développement humain a permis de réduire considérablement le taux de pauvreté. Mais son mode opératoire est parfois l’objet de critiques. Revue de détail.

Le roi posant au milieu de jeunes lors de l’inauguration d’un terrain de sport de proximité, le 30 mars,à Casablanca. © MAP

Le roi posant au milieu de jeunes lors de l’inauguration d’un terrain de sport de proximité, le 30 mars,à Casablanca. © MAP

fahhd iraqi

Publié le 16 juin 2017 Lecture : 6 minutes.

Tout a commencé à la faveur d’une royale colère. Le 2 avril 2005, Mohammed VI visite l’orphelinat d’Aïn Chock, géré à l’époque par l’Association musulmane de bienfaisance de Casablanca. Feu Abderrahim Harouchi, alors ministre du Développement social, fait une entorse au protocole et entraîne le roi hors du circuit balisé pour lui faire découvrir un bâtiment isolé. Sur place, le souverain découvre des dizaines de jeunes entassés dans des conditions insalubres.

Un tableau de misère humaine insoutenable qui le bouleverse. Il prélève aussitôt sur sa cassette personnelle 5 millions de dirhams pour remédier immédiatement à la situation des pensionnaires, mais ordonne aussi l’ouverture d’une instruction judiciaire… L’affaire aurait pu s’arrêter là. Sauf que l’incident est le déclic qui provoquera le lancement de l’un des chantiers les plus importants du règne de M6.

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Le 18 mai 2005, le roi, qui généralement ne s’adresse aux Marocains que quatre fois par an, prononce un discours exceptionnel où il annonce le lancement de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). « Ce n’est ni un projet ponctuel, ni un programme conjoncturel de circonstance. C’est un chantier de règne ouvert en permanence », affirme alors Mohammed VI.

40 milliards de dirhams investis

Dès lors, toute la machine étatique se met en branle pour concrétiser un programme destiné à « arracher les catégories et les régions défavorisées à l’emprise de la pauvreté, de l’exclusion et du sous-développement ». Douze ans plus tard, les résultats sont assez probants.

Près de 40 milliards de dirhams d’investissements mobilisés, plus de 44 000 projets réalisés, 10 millions de bénéficiaires… Les chiffres de l’INDH depuis son lancement témoignent de l’ampleur des actions sur le terrain, qui ont porté sur une vingtaine de secteurs d’activité, allant de l’éducation à la santé en passant par le tourisme ou la formation professionnelle, sans oublier le soutien aux activités génératrices d’emplois.

Les projets, qui ont ciblé plus de 1 100 communes rurales et près de 800 quartiers urbains identifiés sur la base de critères sociodémographiques, ont permis la construction de centres de soins, d’éducation ou socioculturels.

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Mais au-delà de ce bilan quantitatif (voir tableau),  l’Initiative a également permis de faire évoluer quelque peu le mode de gouvernance locale. « L’INDH a non seulement changé la vie de millions de Marocains, mais nous a aussi permis de développer une véritable ingénierie sociale pour identifier et mener à bien les projets voulus par les populations et qui répondent au mieux à leurs besoins et attentes », souligne Nadira El Guermaï, gouverneure coordonnatrice de l’INDH.

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En effet, pour la mise en œuvre de cette politique de proximité, la gouvernance de l’Initiative a été conçue selon une approche participative. Représentants de la société civile, élus et fonctionnaires des différentes administrations siègent dans des comités locaux de développement humain pour établir un diagnostic et identifier les projets prioritaires. Ce comité local a également pour tâche de défendre les projets au niveau d’un comité provincial (qui se réunit tous les deux mois) avant d’assurer leur réalisation et leur suivi.

Une « planification ascendante qui permet le renouveau de l’action publique »

« Cette planification ascendante a permis le renouveau de l’action publique à travers une gouvernance basée sur un mode organisationnel spécifique, un ciblage territorial rationnel et des outils de gestion scientifiques », soutient celle qui dirige la coordination nationale de l’INDH depuis 2009.

Le rôle de cette administration de mission, placée sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, se résume au niveau central à normaliser les modes d’intervention, à coordonner les montages financiers avec les partenaires publics ou les bailleurs de fonds internationaux, mais aussi à s’assurer que les fonds mobilisés sont utilisés à bon escient à travers un système de suivi et d’évaluation.

« Tous nos projets font l’objet d’audits annuels de la part des autorités compétentes, assure la coordonnatrice en chef de l’INDH. Il y a aussi les audits réalisés par nos partenaires internationaux comme l’Union européenne ou la Banque mondiale, qui contribuent au financement de certains projets. C’est un gage supplémentaire de l’efficience de notre travail, et cela renforce la confiance de la population dans nos actions et permet de créer une adhésion autour des projets. »

Malgré ses résultats concrets, la perception de l’INDH par la population reste assez mitigée. Alors que la coordination nationale de l’institution soutient que « la communication autour de l’INDH a permis une forte imprégnation de la population par les valeurs et principes de l’Initiative et a assuré une appropriation des réalisations par les bénéficiaires », les résultats d’un sondage réalisé par l’Observatoire national du développement humain (ONDH) démontrent que l’INDH est encore loin d’être un « carrefour d’une multitude d’actions et de volontés ».

Déficit d’image

« Si 64,1 % des sondés estiment que l’INDH est à même d’améliorer la situation des plus pauvres, cette perception positive ne va pas sans susciter de grandes attentes sociales. Lesquelles deviennent sources de frustration dès qu’on se place au niveau de la concrétisation des projets. Lorsqu’on passe du concept de l’INDH, qui est perçu positivement, au choix des projets et à leur qualité, la tendance s’inverse et devient plus négative pour les sondés », peut-on lire dans une enquête de l’ONDH réalisée auprès d’un échantillon de 2 278 personnes.

L’INDH souffre également d’un déficit d’image. Sa mise sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, pourtant justifiée par la compétence territoriale transversale des walis et des gouverneurs, est vue dans certains milieux des droits de l’homme comme un dévoiement de la vocation initiale de l’initiative.

Il faut parfois montrer patte blanche

« Pour bénéficier du programme de l’INDH, il faut parfois montrer patte blanche aux autorités locales, explique un militant associatif sous le couvert de l’anonymat. Et il faut souvent renvoyer l’ascenseur quand on est estampillé INDH, par exemple grossir les rangs des participants à des manifestations servant parfois maladroitement la propagande officielle. »

D’autres reprochent à l’Initiative de ne pas avoir réussi à permettre au royaume de progresser dans le classement selon l’indice de développement humain (IDH) – calculé sur la base de critères comme la durée de vie, l’éducation et le revenu par habitant – réalisé annuellement par le Pnud. Depuis le lancement de l’INDH en 2005, le royaume fait presque du surplace, coincé en 2016 entre le Cap-Vert et le Nicaragua (123e sur 188 pays).

L’INDH intervient en complémentarité

« Le rôle de l’INDH n’est pas de se substituer à des départements ministériels comme la Santé ou l’Éducation, mais seulement d’agir en concertation et en complémentarité avec eux dans les zones où les besoins sont les plus urgents », se défend Nadira El Guermaï.

Pour elle, l’une des plus importantes réalisations de l’Initiative royale est d’avoir drastiquement réduit le niveau de pauvreté. En effet, le taux de pauvreté dans les communes rurales ciblées par l’INDH est passé de 28,4 % à 12,3 % entre 2004 et 2014, selon la carte de la pauvreté au Maroc récemment actualisée par le Haut-Commissariat au plan (HCP).

Le même document indique aussi que seuls 2,2 % des communes et centres urbains marocains affichent désormais des taux de pauvreté dépassant 30 %, alors qu’un tel taux était enregistré dans une commune sur cinq en 2004.

Au niveau national, le taux de pauvreté a été également réduit de moitié, passant de 8,9 % à 4,8 % en dix ans. L’INDH a ainsi fortement contribué ces douze dernières années à réduire la précarité des Marocains, mais pour leur assurer un véritable développement humain, il reste encore du chemin à parcourir.

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