Cet été, je m’habille tunisien
La mode est lancée, cet été les Tunisiennes s’habilleront « tunisien ». Une manière d’affirmer son identité et, pour les stylistes, de revisiter la tradition.
La Tunisie sur le qui-vive
Citoyens, milieux d’affaires, communauté internationale… En Tunisie, alors que les élections locales doivent se tenir d’ici la fin de l’année, l’inquiétude demeure palpable et les défis sont nombreux. Pourtant, lentement mais sûrement, le pays avance.
En quelques mois, « Be Tounsi », le slogan qui invitait à porter un produit de l’artisanat tunisien, a généré un véritable phénomène de société. Rien ne laissait présager un tel engouement quand, en mars 2016, Faten Abdelkefi, une blogueuse passionnée d’artisanat, crée « Cet été je m’habille tunisien », une page Facebook sur laquelle elle diffuse ses coups de cœur et publie des photos d’elle portant une pièce du patrimoine tunisien en signe de soutien à de petits métiers qui périclitent.
L’initiative personnelle lancée comme une boutade est rapidement devenue celle d’un collectif, désormais organisé en une communauté qui dicte ses tendances et compte plus de 35 000 membres, essentiellement des femmes.
« Nous redécouvrons notre patrimoine. C’est rendre hommage à notre passé et à notre tunisianité que de les remettre au goût du jour », assure l’une d’elles. Pourtant, cette « tunisianité » n’a jamais été vraiment oubliée, surtout dans les régions où les fêtes familiales et les mariages sont encore l’occasion d’arborer les tenues traditionnelles locales.
Rouvrir les vieilles malles à vêtements
Les Tunisiennes des villes abandonnent les caftans et autres parures venues d’ailleurs qu’elles avaient adoptés pendant des décennies, certaines ressortent les vêtements de leurs grands-mères, d’autres sont en quête de la pièce à sequins unique, celle qui a déjà « un vécu » et pourrait intégrer leur propre histoire… Au cœur de ce phénomène, la question de l’identité. Comme si la recrudescence du port du voile et l’apparition de tenues afghanes avaient, tel un coup de semonce, sonné le réveil de la préservation du patrimoine et d’un mode de vie à la tunisienne.
L’inconscient collectif a réagi en mettant l’artisanat à l’honneur. Les créateurs aussi. Le jeune designer Sofiane Fantar cherchait une écharpe et ne trouvait rien à son goût, alors il l’a conçue. Depuis, l’Atelier Fantar revisite le patrimoine tunisien et le décline en une gamme d’accessoires en soie, où chaque pièce est unique.
Thouraya Ouahada, promotrice de la marque Samarkand, a suivi le même mouvement et propose moult variations chics et décalées, en séries limitées, pour un monoproduit : l’incontournable et célèbre balgha, la babouche tunisienne.
Privilégier l’artisanat
Le ton est donné et suivi, au point que femmes et hommes politiques ainsi que personnalités en vue prennent grand soin d’arborer une touche tunisienne lors de leurs apparitions officielles. Mais rien de folklorique : on joue sur les matières, les broderies faites à la main avec modernité… C’est le créneau qu’a choisi Sonia Fekih, qui conçoit la ligne de bijoux Habiba Jewellery.
Matières nobles, pierres naturelles et ce qu’il faut de fantaisie, ses créations séduisent et ont même été exposées dans une boutique de la Cinquième Avenue, à New York, tandis que d’autres stylistes partent à la conquête de Dubaï.
Tant qu’il y a création, on ne risque pas la saturation
En Tunisie, ces marques devenues célèbres à travers la valorisation des métiers artisanaux se sont fait une clientèle par le bouche-à-oreille, les réseaux sociaux et quelques rares points de vente. Cela fait partie du phénomène. Leurs adresses, presque confidentielles, s’échangent comme un précieux sésame, pour être dans l’air du temps. Conséquence de cet engouement, les prix s’envolent.
Najib Belhaj, un créateur de Mahdia qui défend le travail des brodeuses mahdoises, se demande quelle durée de vie aura ce marché une fois passé l’effet de mode. « Tant qu’il y a création, on ne risque pas la saturation », rétorque la designer Fatma Sammette (fondatrice de Kerkenatiss, qui valorise le travail des brodeuses et des tisserands de Kerkennah).
Elle s’inquiète surtout de la raréfaction de la matière première et de ses coûts exorbitants. D’autres redoutent les contrefaçons. Car les industriels, qui ont flairé la bonne affaire, commencent déjà à ourdir des collections inspirées de la tradition et de l’artisanat tunisiens… Et produites à la chaîne.
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