Tunisie – Ghazi Jeribi : « Les magistrats ont des droits, ils ont aussi des devoirs »

Institutions bloquées, lois obsolètes, juges corrompus… Et si tous ces travers étaient bientôt du passé ? Le ministre de la Justice Ghazi Jeribi dévoile quelques mesures de la refonte, très attendue, du système judiciaire.

Dans son bureau, à Tunis. © Ons Abid pour ja

Dans son bureau, à Tunis. © Ons Abid pour ja

Publié le 14 juin 2017 Lecture : 3 minutes.

Le drapeau tunisien, en mars 2015 à Tunis pendant une éclipse. © Christophe Ena/AP/SIPA
Issu du dossier

La Tunisie sur le qui-vive

Citoyens, milieux d’affaires, communauté internationale… En Tunisie, alors que les élections locales doivent se tenir d’ici la fin de l’année, l’inquiétude demeure palpable et les défis sont nombreux. Pourtant, lentement mais sûrement, le pays avance.

Sommaire

Magistrat, et un temps avocat, Ghazi Jeribi, 61 ans, traite ses dossiers avec minutie et pragmatisme. Il a identifié les leviers indispensables à la refonte de l’institution judiciaire pour que celle-ci puisse œuvrer en toute indépendance, en conformité avec la nouvelle Constitution. L’ancien champion de basket (il fut international dans l’équipe nationale de 1975 à 1985) sait qu’il faudra du souffle, de l’endurance et des accélérations pour venir à bout de cette tâche titanesque, qui repose aussi, dit-il, sur un travail collectif entre ses équipes, les députés et la société civile.

Jeune Afrique : Où en est la réforme ?

la suite après cette publicité

Ghazi Jeribi : La justice, en tant que système qui a la confiance de ses usagers, est une pierre angulaire du développement. Plusieurs commissions travaillent à revoir les textes, mais le diagnostic révèle déjà une chaîne pénale trop longue, avec une moyenne de huit ans pour le traitement des affaires… Ce qui est contraire au principe d’un procès équitable.

Sont en cause le rôle limité du parquet, l’encombrement au niveau de l’instruction, sans compter les procédures complexes pour ce qui est de la corruption et du terrorisme. On prévoit donc d’allouer plus de moyens au parquet, de réduire les maillons de la chaîne et d’« outiller » les magistrats, notamment par de la formation.

La mise en place du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) était bloquée depuis plus d’un an. Comment avez-vous débrouillé cette situation ?

Parachever le processus de la transition et se conformer à la Constitution, c’est-à-dire garantir l’équilibre entre les pouvoirs et les droits et libertés, supposent la mise en place d’institutions constitutionnelles pérennes, dont le CSM et la Cour constitutionnelle.

la suite après cette publicité

C’est un vide juridique qui a créé le blocage : selon la loi, seul le président de l’instance provisoire pouvait convoquer la première réunion du CSM, or celui-ci est parti à la retraite. La solution aurait dû émaner du corps des magistrats, mais, après quatre mois de médiations improductives, le gouvernement – sans ingérence ni dans l’institution judiciaire ni dans le CSM – a proposé d’attribuer cette prérogative au président de l’ARP [Assemblée des représentants du peuple] pour combler la vacance. Au vu des divisions, le projet de loi adopté met également en place le mécanisme des réunions du CSM pour éviter tout blocage.

Y aura-t-il une nouvelle carte judiciaire ?

la suite après cette publicité

Rapprocher la justice des citoyens permet d’accélérer les délais et de la rendre moins coûteuse. Douze chambres régionales du tribunal administratif seront donc installées dans chaque circonscription où opère une cour d’appel. Elles seront l’embryon et le noyau des tribunaux de première instance, qu’il faudra installer dans le cadre de la décentralisation.

Et comment lutter contre la corruption au sein de l’institution ?

L’indépendance et l’efficacité de la justice sont liées à ses moyens. Nous recrutons donc des magistrats supplémentaires, notamment pour le tribunal administratif et la Cour des comptes, ainsi que du personnel pour renforcer le pôle de lutte contre le terrorisme et le pôle financier pour la lutte contre la corruption.

Avec le soutien de l’Union européenne, nous préparons un système d’accès à l’information qui sera opérationnel dans moins de six mois et servira à lutter contre la corruption en limitant les interventions intermédiaires.

Un dispositif de formation des magistrats, pour les faire gagner en compétence et les sensibiliser à l’indépendance, complétera l’ensemble et, loin de tout corporatisme, l’inspection générale jouera également son rôle de contrôle. Enfin, un code de déontologie inscrira l’éthique du métier. Il ne suffit pas de revendiquer des droits, le magistrat doit aussi mettre en avant ses devoirs. Et les accomplir.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image