Algérie : comment réformer le système d’aides sociales mis à mal par la chute des cours du pétrole ?
Avec la chute des cours du pétrole, l’État ne peut plus supporter le coût de son onéreux système de subventions. Et doit avoir le courage politique de le réformer en profondeur.
Réinventer l’Algérie
Tarissement de la manne pétrolière, crise financière, désenchantement, lourdeurs administratives… La liste des difficultés qui empêchent le pays d’exploiter tout son potentiel est longue. Pourtant, les idées ne manquent pas. Tour d’horizon de ces solutions qui pourraient le faire redécoller.
Quel est le point commun entre un ministre, un chômeur, un milliardaire, un retraité et un ambassadeur étranger accrédité à Alger ? Tous achètent la baguette au prix de 10 dinars (0,08 euro), se soignent gratuitement dans les hôpitaux publics, font le plein d’essence et paient le litre de lait au même tarif. Ce système de subventions directes et indirectes pour les produits de première nécessité et les secteurs dits névralgiques, comme la santé, le logement ou l’éducation, a été mis en place à l’époque du régime socialiste.
Depuis, il a été perpétué, amélioré et consolidé par tous les responsables qui se sont succédé à la tête de l’État dans un souci d’équité et dans le but de garantir la paix sociale. Confronté à des émeutes au lendemain des révoltes arabes de 2011, le président Bouteflika a largement renforcé cette manne en procédant notamment à des hausses de salaires avec un effet rétroactif de deux ans. La rente pétrolière qui se déversait sur le pays – cette année-là, les rentrées en devises atteignaient 73 milliards de dollars – autorisait les responsables à maintenir ce système d’aides étatiques extrêmement coûteux pour le Trésor public.
Mais avec la chute des cours du pétrole et la crise financière qui vide peu à peu les caisses de l’État, les autorités ne peuvent plus s’offrir le luxe de dépenser quelque 20 milliards de dollars par an, presque 13 % du PIB, au risque de connaître une faillite financière.
Les autorités piégées par le système
Les autorités se retrouvent piégées par ce mécanisme qui menace la stabilité sur laquelle s’articule le quatrième mandat de Bouteflika. Si elles taillent dans les subventions et libèrent les prix, elles prennent le risque de provoquer la colère de la rue, protestant contre l’inflation, l’érosion du pouvoir d’achat et la paupérisation. Elles continuent donc de dépenser ces 20 milliards de dollars et sont contraintes de recourir à des prêts internationaux pour payer les fonctionnaires ou financer le train de vie de l’État.
Ce système de subsides, qui profite plus aux riches qu’aux pauvres, doit être réformé.
Les dirigeants en sont conscients, le FMI et la Banque mondiale le soulignent, ce système de subsides, qui profite plus aux riches qu’aux pauvres, doit être réformé. Comment ? Les experts du Fonds et de la Banque mondiale recommandent de supprimer graduellement ces subventions généralisées et de les remplacer par des programmes de transferts monétaires et de compensations qui ciblent les couches les plus nécessiteuses.
« En augmentant les prix de l’énergie, les pouvoirs publics ont pris une première mesure courageuse, juge Andrew Jewell, économiste principal au département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI. Mais il reste beaucoup à faire pour trouver une solution plus juste et plus efficace pour venir en aide aux personnes vulnérables. »
Besoin de courage politique ?
Certaines subventions sont contre-productives, admet Jewell : « Les prix bas de l’énergie ont entraîné une progression rapide de la consommation. Par conséquent, l’Algérie exporte moins de pétrole et de gaz. Cela provoque une diminution des recettes budgétaires et une aggravation de la pollution et des embouteillages. » Des spécialistes jugent même, dans un scénario catastrophe, que la production en hydrocarbures suffirait à peine à couvrir les besoins nationaux pour une population de 50 millions d’habitants à l’horizon 2030.
Un ministre qui a récemment quitté le gouvernement, et qui s’exprime sous couvert d’anonymat par devoir de réserve, a élaboré un plan pour démanteler ce système. Sauf que son initiative n’a pas été suivie par les autorités. « Le courage politique manquait pour en finir avec cette rente, dit-il. Pensez que l’État finance un logement à hauteur de 6 millions de dinars, alors qu’il le cède aux acquéreurs pour moitié prix. Être ainsi la vache à lait, c’est intenable à long terme. Nous n’avons plus les moyens de maintenir ce modèle d’État généreux, protecteur mais dispendieux. »
Notre expert préconise un système semblable à celui mis en place pour la délivrance des visas pour le compte du consulat de France en Algérie. Sélectionnée après un appel d’offres, une entreprise privée sera chargée de gérer un fichier national des personnes nécessiteuses avec le concours étroit des organismes publics. Un recensement annuel, un fichage et un suivi de proximité permettraient d’actualiser ce fichier. « Il faut un an pour installer ce dispositif », assure cet ex-ministre. Plutôt que de dépenser des milliards en aides sociales directes et indirectes, le gouvernement verserait ainsi une allocation mensuelle de 15 000 dinars pour les personnes dont le revenu est inférieur à 20 000 dinars.
Il faut d’abord de l’audace politique pour s’attaquer aux rentiers et aux lobbies, ensuite une campagne de sensibilisation de l’opinion autour des enjeux de cette réforme
Grâce à ce passage graduel de la rente à la régulation, le gouvernement ferait des économies substantielles qui pourraient être allouées à des projets d’infrastructures générateurs d’emplois et de croissance. « Nous pourrions diviser le budget des subventions par trois pour le ramener à 7 milliards de dollars par an, explique notre économiste. Il faut d’abord de l’audace politique pour s’attaquer aux rentiers et aux lobbies, ensuite une campagne de sensibilisation de l’opinion autour des enjeux de cette réforme. Le temps presse. »
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