Côte d’Ivoire : l’affaire de trop pour Guillaume Soro ?

Après la découverte d’une cache d’armes chez l’un de ses proches, Guillaume Soro se retrouve une nouvelle fois dans la tourmente. Face aux soupçons, l’entourage du président de l’Assemblée nationale dénonce une manipulation orchestrée par ses rivaux.

Guillaume Soro quitte le palais présidentiel après une rencontre avec  Alassane Ouattara, le 13 mars 2012. © Emanuel Ekra/AP/SIPA

Guillaume Soro quitte le palais présidentiel après une rencontre avec Alassane Ouattara, le 13 mars 2012. © Emanuel Ekra/AP/SIPA

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Publié le 12 juin 2017 Lecture : 8 minutes.

Le président a enfin demandé à le voir ! Ce mardi 16 mai, cela fait plusieurs jours que Guillaume Soro n’a pas rencontré Alassane Dramane Ouattara (ADO). En janvier, lors du soulèvement d’anciens rebelles intégrés à l’armée, il avait été étroitement associé aux négociations. Rien de tel cette fois-ci. Alors que, quatre jours durant, le pouvoir a une nouvelle fois été défié par des mutins déterminés, le président de l’Assemblée nationale n’a pas été consulté. « Il a été mis de côté, tout a été piloté par Amadou Gon Coulibaly depuis la primature », explique un visiteur régulier du palais présidentiel.

Il est près de 20 heures lorsque Guillaume Soro arrive à la résidence du chef de l’État. L’ancien chef de la rébellion des Forces nouvelles (FN) sait qu’il est au centre des rumeurs. Deux jours plus tôt, un important stock d’armes a été retrouvé à Bouaké, dans une maison appartenant à son directeur du protocole, qui, depuis, a été entendu à plusieurs reprises par la brigade de recherche de la gendarmerie du Plateau (Abidjan).

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Guillaume Soro derrière les mutineries ?

La discussion entre les deux hommes est tendue. « Les chefs militaires avaient affirmé au président qu’ils avaient dû céder face aux mutins à cause de cette cache d’armes. Selon eux, cela expliquait toute leur déconvenue militaire », rapporte un proche de Guillaume Soro. « En réalité, ils se cachent derrière cette affaire. Ils tentent de faire oublier leur débâcle ! » s’agace-t-il. Pourtant, il semble bien que cet approvisionnement inespéré, pour des mutins arrivés à court de munitions et sous la menace d’une intervention du Groupement de sécurité du président de la République (GSPR), a été décisif.

À quoi devaient servir ces armes de guerre ? À un coup d’État ? En tout cas, ce n’était pas pour tirer des pigeons !

Pendant de longues minutes, l’ancien chef rebelle tente d’imposer sa version et assure que les armes étaient stockées là depuis la crise postélectorale de 2011. Cela ne suffit pas à convaincre le chef de l’État. Depuis le début de l’année, une partie de l’entourage d’Alassane Ouattara est persuadé que Guillaume Soro est derrière les mutineries. « Il n’y a pas de fumée sans feu », explique un dirigeant du Rassemblement des républicains (RDR), le parti présidentiel.

Pacte d’entraide

« Il est légitime de se demander pourquoi son nom revient toujours lorsqu’il y a de sombres affaires. À quoi devaient servir ces armes de guerre ? À un coup d’État ? En tout cas, ce n’était pas pour tirer des pigeons ! » dénonce-t-il. « De part et d’autre, il y a beaucoup d’intox », met en garde un habitué du palais présidentiel. Mais, « pour Alassane Ouattara, cette cache d’armes a été la goutte d’eau de trop », témoigne-t-il.

J’ai toujours démontré ma loyauté envers le président Alassane Ouattara

Dans l’interview exclusive qu’il a accordée à Jeune Afrique, Guillaume Soro assure au contraire que ses relations avec le chef de l’État sont « bonnes ». « Je ne suis pas un homme qui pourrait poignarder dans le dos. J’ai toujours démontré ma loyauté envers le président Alassane Ouattara », s’est-il défendu ces derniers jours. Entre les deux hommes, l’alliance remonte au début des années 2000. « Ils ont été présentés l’un à l’autre par Téné Birahima Ouattara, le frère d’Alassane », raconte un de ses amis les plus proches. « Je crois que le président a apprécié son courage et sa fougue. De son côté, Guillaume admirait son élégance et son intelligence. Ils se complétaient bien. »

Ouattara estime qu’il n’est plus aussi indispensable qu’avant

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Jusqu’ici, le pacte d’entraide ne s’est jamais démenti. Lorsque, en novembre 2015, le nom de Soro apparaît dans l’affaire des écoutes téléphoniques au Burkina Faso, Alassane Ouattara le soutient. Un mois plus tard, quand, à Paris, il se retrouve sous le coup d’un mandat d’amener après une plainte déposée en 2012 par Michel Gbagbo, le président lui envoie son avion personnel pour qu’il puisse regagner Abidjan sans être auditionné.

Un homme qui divise

Peu à peu, ces derniers mois, le président de l’Assemblée nationale a pourtant été marginalisé. Avec l’avènement de la IIIe République, il a perdu sa place de dauphin constitutionnel et n’est plus que quatrième dans l’ordre protocolaire, derrière le vice-président et le Premier ministre. À la tête de l’armée, l’un de ses proches, Soumaïla Bakayoko, l’ancien chef d’état-major des Forces nouvelles, a été limogé en janvier. « Ouattara estime qu’il n’est plus aussi indispensable qu’avant », analyse un observateur basé à Abidjan. « Certains comzones ne lui sont plus si fidèles. Soro a-t-il encore vraiment la main sur les anciennes troupes rebelles ? » s’interroge-t-il, rappelant que les mutins, s’estimant oubliés, se sont mis progressivement à fustiger leurs anciens chefs.

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Beaucoup continuent pourtant à se méfier de son ambition. Ses détracteurs le dépeignent comme un homme sans scrupule, prêt à user de tous les moyens pour parvenir à ses fins. « Il faut se rappeler de sa rivalité avec Ibrahim Coulibaly et de la lutte féroce qu’ils se sont livrée au sein de la rébellion », rappelle l’un d’entre eux. Pour ses soutiens, il est au contraire « le meilleur de sa génération ».

Au cours d’un meeting sur le campus de l’université de Cocody, en 1997	: le jeune secrétaire général de la Fesci est un vrai tribun. © ISSOUF SANOGO/AFP

Au cours d’un meeting sur le campus de l’université de Cocody, en 1997 : le jeune secrétaire général de la Fesci est un vrai tribun. © ISSOUF SANOGO/AFP

« C’est un homme très intelligent, impressionnant même », reconnaît un diplomate en poste à Abidjan. Lorsqu’il prend la tête de la puissante Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), en 1995, Soro étonne par son charisme. « Nous succombions devant le charme de ce gamin exalté, drôle et téméraire », se souvient un de ses amis de l’époque. Ce jeune militant ancré à gauche est alors surnommé « Le Che ». « La grammaire de Laurent Gbagbo est notre langue, et Guillaume la parle parfaitement », analyse un ancien camarade.

Insaisissable et incontournable

Soro est devenu proche du leader socialiste, mais la rupture idéologique intervient à la fin des années 1990. « Il n’a pas supporté les discours sur l’ivoirité et les dérives identitaires dans l’entourage de Gbagbo », poursuit son vieux camarade. En 1998, Guillaume Soro part pour la France, où il vit plusieurs mois sans papiers. Le jour, il se fait discret ; la nuit, il refait le monde au sous-sol de Chez Georges, un bistrot de Saint-Germain-des-Prés. Un apprentissage de la clandestinité qui lui sera précieux par la suite.

Car, en 2000, Laurent Gbagbo devient président. Et très vite Soro cherche un moyen de le renverser. Avec la bienveillance du président burkinabè Blaise Compaoré, il s’installe dans une maison modeste de Ouagadougou, où, en toute discrétion, il met sur pied une rébellion. En 2002, les Forces nouvelles tentent un coup d’État à Abidjan, mais l’opération échoue. Recherché par les forces de Gbagbo, Soro quitte le pays déguisé en femme.

Quelques jours plus tard, l’ancien leader syndical se dévoile. « Quand j’ai vu que c’était lui à la tête de la rébellion, je suis tombé de ma chaise ! C’est un homme insaisissable », témoigne l’un de ses plus proches amis. Quand les FN prennent le contrôle de la moitié nord du pays, Guillaume Soro devient incontournable. En 2007, en vertu des accords de Ouagadougou, son adversaire Laurent Gbagbo – qu’il appelait « Papa » lorsqu’il était jeune – le nomme Premier ministre. En 2010, face au refus de Gbagbo de reconnaître sa défaite à l’élection présidentielle, les Forces nouvelles marchent sur Abidjan et aident Alassane Ouattara à s’installer au pouvoir.

House of Cards

Élevé par un père ayant milité au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), se revendiquant de gauche et aujourd’hui encarté au RDR, Guillaume Soro reste inclassable. Grand amateur de séries politiques – il dévore House of Cards –, il aime brouiller les pistes. Proche d’Henri Konan Bédié, le président du PDCI, avec qui il aime fumer le cigare, il garde quelques relations au Front populaire ivoirien (FPI), fondé par Laurent Gbagbo. En 2016, son accolade avec Michel Gbagbo, le fils de l’ancien président, a ainsi défrayé la chronique.

Depuis plusieurs années, il a aussi mis sur pied des dizaines de « teams GKS » – pour « Guillaume Kigbafori Soro » –, afin de mailler le territoire. Animés par des jeunes, ces « fan-clubs » sont très actifs, notamment sur les réseaux sociaux. « Guillaume Soro est un électron libre », estime un observateur.

Rêve présidentiel

Une liberté que lui confère son poste de président de l’Assemblée nationale. « Lorsque tu es Premier ministre ou vice-président, tu dois en permanence en référer au chef de l’État. Même pour une rencontre ou un déplacement, il faut son autorisation. Ce n’était pas pour nous », explique un membre de son cabinet. Car depuis son arrivée au perchoir, en 2012 – il y a été réélu en 2017 –, Guillaume Soro voyage beaucoup. À Paris, au Maroc et en Égypte ces dernières semaines, il soigne ses relations, en particulier sur le continent.

La vie de Guillaume n’a été qu’une succession de combats, nous sommes prêts à parer à tous les coups

Proche de longue date du président togolais Faure Gnassingbé ou du Congolais Denis Sassou Nguesso, il fréquente également Teodoro Nguema Obiang Mangue, le fils du président équato-guinéen. En Afrique de l’Ouest, seules ses relations avec le chef de l’État burkinabè, Marc Roch Christian Kaboré, ne sont pas bonnes.

« La vérité, c’est qu’on leur fait peur ! » considère un proche de Soro, assurant être la cible d’un « complot » fomenté par le « clan de Korhogo » – la ville d’où est originaire Amadou Gon Coulibaly. Alors que c’est maintenant le Premier ministre qui est vu comme le dauphin d’Alassane Ouattara pour la prochaine présidentielle, les rivalités entre les deux camps, mais aussi avec celui du ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, sont exacerbées.

« La vie de Guillaume n’a été qu’une succession de combats, nous sommes prêts à parer à tous les coups », poursuit ce proche. Le patron de l’Assemblée nationale s’exprime peu, mais son entourage se charge, sur les réseaux sociaux, de multiplier les attaques contre ses adversaires. Car s’il se garde bien de dévoiler ses ambitions, son rêve présidentiel est un secret de polichinelle. Catholique ayant suivi le petit séminaire dans un Nord majoritairement musulman, Sénoufo de Ferkessédougou marié à Sylvie Tagro, une Bétée du Sud-Ouest, Guillaume Soro se rêve en rassembleur.

Guillaume Soro est un repoussoir. Peu importe le masque qu’il mettra, nous n’oublierons jamais qu’il est l’homme de la rébellion

Dans son équipe, depuis peu, on aime le comparer au nouveau président français, Emmanuel Macron. « Transcender les clivages ? C’est impossible ! Il y a des régions qui ne voteront jamais pour lui », estime pourtant un cadre du PDCI. « Guillaume Soro est un repoussoir. Peu importe le masque qu’il mettra, nous n’oublierons jamais qu’il est l’homme de la rébellion », commente un dirigeant du FPI.

Après avoir échappé à plusieurs attentats – dont celui contre son avion, en 2007, qui a fait plusieurs morts –, Guillaume Soro est persuadé d’avoir un destin. « Alassane Ouattara pense que 2020 est trop tôt pour lui, et que son tour n’est pas encore venu. En 2025, peut-être », confie un proche du pouvoir. Est-il prêt à attendre ? Chef d’une rébellion à l’âge de 30 ans, ministre à 31, Premier ministre à 34 et président de l’Assemblée nationale à 39 ans, Guillaume Soro est un homme pressé.

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