Cinéma : des sorcières africaines au festival de Cannes

La Zambienne Rungano Nyoni était la seule réalisatrice originaire du sud du Sahara présente à Cannes cette année. Elle y a présenté « I Am Not a Witch », un conte moral et poétique.

La cinéaste, accompagnée par la jeune et touchante actrice Maggie Mulubwa. © Cecile Burban/ Quinzaine des Realisateurs

La cinéaste, accompagnée par la jeune et touchante actrice Maggie Mulubwa. © Cecile Burban/ Quinzaine des Realisateurs

Renaud de Rochebrune

Publié le 9 juin 2017 Lecture : 5 minutes.

C‘est son premier long-métrage. Quand nous rencontrons Rungano Nyoni sur une terrasse, au sommet d’un immeuble, à deux pas de la Croisette, I Am Not a Witch est sur le point d’être présenté à la Quinzaine des réalisateurs, la principale « section parallèle » du Festival de Cannes. Le film est très attendu, ne serait-ce qu’en raison de son sujet peu banal : une histoire de sorcières. Stressée à la veille de l’événement ? Très décontractée, toujours souriante, s’envolant à l’occasion dans de grands éclats de rire, la superbe trentenaire aux cheveux tressés de reflets bleus ne paraît guère impressionnée par ce qui lui arrive.

Elle est pourtant la seule cinéaste du sud du Sahara sélectionnée pour participer au Festival de Cannes, représentante d’un pays – la Zambie – où le septième art est pour l’essentiel aux abonnés absents. Il est vrai cependant que la réalisatrice zambienne connaît les lieux : elle y fut invitée en 2013 pour participer à la Cinéfondation, sorte d’incubateur pour jeunes cinéastes préparant leur premier film, et elle y présenta un court-métrage à la Quinzaine des réalisateurs l’année suivante.

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Diplômée du Central Saint Martins College of Art and Design (Londres), la jeune femme a décidé de se consacrer au cinéma après avoir vu La Pianiste, du réalisateur autrichien Michael Haneke, avec l’actrice française Isabelle Huppert. Après quatre courts-métrages et bon nombre de petits boulots, sa détermination est enfin récompensée.

Beaucoup de détermination

Pour réaliser I Am Not a Witch, ce qu’elle n’envisageait pas de faire ailleurs que dans son pays natal, Rungano Nyoni a dû surmonter quantité d’obstacles. Le récit qu’elle fait de ses recherches pour trouver l’actrice principale du film, une fillette accusée de sorcellerie, en donne une idée. C’était il y a deux ans, alors que les préparatifs du tournage avaient bien avancé.

Elle avait auditionné, après avoir formé une débutante à la direction de casting, près de 1 000 filles de 10 ans et moins à Lusaka. Sans réussir à trancher : aucune, à ses yeux, n’était vraiment son héroïne. Elle s’était alors souvenue d’un visage remarqué en regardant des photographies prises par son mari lors de repérages, au nord du pays, à la frontière du Congo.

Elle avait été scotchée par le regard à la fois perçant, farouche et impassible d’une petite fille de 8 ou 9 ans. Mais comment, après avoir exhumé le cliché, retrouver cette anonyme ? Ces repérages ayant eu lieu dans la région d’origine de sa famille, la cinéaste a pu joindre une autorité traditionnelle, le chef Mwewa, en lui demandant de tout faire pour localiser cette inconnue.

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Enfermées dans des camps

Armés du seul portrait de celle-ci, envoyé par WhatsApp, des hommes ont alors parcouru la région pour retrouver le village et l’identité de cette enfant non scolarisée… Emmenée dans la capitale zambienne, la petite Maggie Mulubwa s’est avérée la mieux armée pour le rôle de Shula.

Et voilà comment, fin mai 2017, elle s’est retrouvée sur la scène du Théâtre Croisette, à Cannes, pour présenter en compagnie de Rungano Nyoni I Am Not a Witch lors de la première mondiale du film. Depuis qu’elle y a suivi sa mère à l’âge de 9 ans, la réalisatrice vit en Europe. Autrefois au pays de Galles, aujourd’hui à Lisbonne. D’où lui est donc venu cet intérêt pour les sorcières en Zambie ?

Le sujet permettait d’aborder les thèmes dont j’avais envie de parler, en particulier la condition féminin et le prix de la liberté

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« La situation de ces parias, ces femmes accusées de pratiquer la sorcellerie et enfermées dans des “camps”, n’est pas plus cruciale dans mon pays natal qu’ailleurs en Afrique, dit-elle. Mais il y a quelques années, au cours d’un de mes séjours à Lusaka, où vit toujours mon père et où je vais au moins une ou deux fois par an, j’ai remarqué à quel point il était régulièrement question, dans les journaux, d’histoires les concernant. Je me suis dit que le sujet permettait d’aborder les thèmes dont j’ai envie de parler, en particulier la condition féminine et le prix de la liberté. »

La cinéaste s’est alors documentée plus avant, lisant quantité de textes et visionnant nombre de reportages. Elle a aussi visité un important « camp de sorcières » au Ghana. Un séjour d’un mois, lors duquel, première étrangère à avoir jamais dormi sur place, elle a appris de la bouche même des prétendues sorcières à quel point les accusations les visant étaient fantaisistes et relevaient plus de la vengeance, de la cupidité ou de la misogynie – on parle de chasse aux sorcières, jamais de chasse aux sorciers, relève-t-elle – que de traditions ancestrales ou de croyances liées à une culture.

Des accusations de sorcelleries absurdes

Rungano Nyoni, fascinée par les contes zambiens et européens, n’envisageait pas de tourner un film documentaire ou réaliste. Elle a décidé d’écrire un scénario à la fois édifiant et amusant pour dénoncer sans être moralisante un phénomène qui la révolte.

Son film raconte ainsi comment il peut suffire d’une accusation absurde – une femme qui dit être tombée à cause du regard appuyé d’une enfant – pour qu’une petite fille orpheline se retrouve accusée de sorcellerie. D’autant que le témoignage est corroboré par celui d’un homme qui affirme avoir vu l’enfant en question le menacer d’une hache puis lui couper un bras, lequel a ensuite repoussé…

La fillette, qui doit accepter son sort sous peine d’être transformée en chèvre, sera envoyée dans un camp de sorcières. Un camp très particulier, sorti de l’imagination de la réalisatrice, puisqu’il est itinérant et retient prisonnières ses occupantes : elles sont attachées par un long ruban blanc au camion avec lequel elles se déplacent pour aller travailler dans les champs des puissants.

La carrière de Rungano Nyoni n’en est qu’à ses débuts

Le fonctionnaire de l’État chargé de s’occuper du camp – qu’il considère aussi comme un zoo humain digne d’être montré à des touristes – repère vite que Shula pourrait lui être utile. Il prétend donc qu’elle possède des dons magiques lui permettant d’identifier des délinquants ou de faire tomber la pluie. Ce qui nous vaut, quand ce fonctionnaire monnaye les supposés talents de sa « protégée », quelques scènes dont on ne saurait dire si elles sont plus cocasses que tragiques.

Son film ayant été favorablement accueilli à Cannes, nul doute que la carrière de Rungano Nyoni – dont le prénom signifie « conteur », en langue shona – n’en est qu’à ses débuts. Son prochain film aura certainement des accents féministes. Car, pour s’inspirer, elle entend fouiller ces prochains mois dans les archives de l’association dont s’occupe sa mère en Grande-Bretagne et qui a pour mission principale la défense des femmes dans les régions défavorisées.

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