Maroc – Mustapha Bakkoury : « Il faut réinventer les mécanismes de médiation avec les citoyens »

Développement de la capitale économique, contestation dans le Rif, composition du gouvernement, avenir du PAM… Tour d’horizon de l’actualité avec Mustapha Bakkoury, le président de la région Casablanca-Settat au Maroc.

Le 1er juin, au siège du conseil régional, à Casablanca. © Mohamed Drissi K. pour JA

Le 1er juin, au siège du conseil régional, à Casablanca. © Mohamed Drissi K. pour JA

fahhd iraqi

Publié le 21 juin 2017 Lecture : 6 minutes.

C’est le plus politique des technocrates. Financier de formation, Mustapha Bakkoury n’a pas été coulé dans le moule des hommes politiques de carrière. Issu du microcosme bancaire, il a une fibre politique qu’il a toujours cultivée et revendiquée et qui l’a conduit à s’engager dans le Mouvement pour tous les démocrates, embryon du Parti Authenticité et Modernité (PAM), créé en 2008 autour de l’actuel conseiller royal, Fouad Ali El Himma.

Sa compétence, reconnue par tous, lui a valu d’être appelé à gérer de grands établissements publics, notamment l’Agence marocaine pour le développement des énergies renouvelables (Masen). Mais quand Bakkoury reçoit au siège de la région Casablanca-Settat, dont il a été élu président, il se met en mode politique : verbe mesuré et propos équilibré. Entretien.

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Jeune Afrique : Vous avez été élu en septembre 2015 président de la région Casablanca-Settat. Qu’avez-vous accompli durant ces dix-huit derniers mois ?

Mustapha Bakkoury : Il faut relativiser cette période du fait de son contexte. La première année a été une année électorale, puisqu’il y a eu, après les communales, le scrutin législatif, à la suite duquel il s’est écoulé six mois avant la formation d’un gouvernement.

Nous avons donc bien avancé dans le processus d’intégration des nouvelles provinces rattachées désormais à la région Casablanca-Settat

Mais nous avons mis à profit cette phase pour essayer d’aller au fond des choses, en travaillant sur la manière dont la région doit appréhender ses missions élargies, s’organiser en conséquence et lancer des projets structurants.

Nous avons donc bien avancé dans le processus d’intégration des nouvelles provinces rattachées désormais à la région Casablanca-Settat. C’était un travail administratif fastidieux que de récupérer et de regrouper les dossiers et les engagements de ce nouvel ensemble.

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Il a été réalisé avec soin de manière à assumer et à honorer tous ces engagements. Nous avons également travaillé sur le programme de développement régional [PDR], que nous avons préparé pendant des mois et qui a fait l’objet de débats avant d’être voté par le conseil régional durant sa dernière session de mars.

Ce PDR prévoit des investissements de 115 milliards de dirhams (10,5 milliards d’euros) à l’horizon 2021. Où allez-vous trouver tout cet argent ?

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Plus d’une centaine de projets sont identifiés dans le cadre de ce programme. Chacun fait l’objet d’un montage financier distinct que nous sommes en train de syndiquer avec nos partenaires, qui peuvent être des ministères, des administrations publiques, des acteurs privés de la région ainsi que des collectivités locales.

Une fois ces financements bouclés, nous passerons à la phase de signature de conventions publiques et de contrats spécifiques. Je pense que d’ici à la fin de l’année nous allons pouvoir démarrer une bonne partie de ces programmes.

Au niveau de Casablanca, il s’attelle à améliorer l’attractivité économique de la région et à réduire les disparités

Mais au-delà de son aspect financier, ce PDR est conçu pour structurer le travail de l’ensemble des acteurs régionaux, comme le veut la loi, autour d’une vision et d’objectifs concrets destinés à produire un maximum de synergies et d’effets socio-économiques.

Au niveau de Casablanca, il s’attelle à améliorer l’attractivité économique de la région et à réduire les disparités en travaillant sur la mobilité, le monde rural, l’entrepreneuriat, mais aussi le développement durable.

Pour rester dans l’aspect financement, qu’en est-il du fonds de mise à niveau sociale et de celui de la solidarité interrégionale prévus par la loi ? Sont-ils déjà opérationnels ?

Ce sont malheureusement des structures qui ne fonctionnent pas encore. Il manque toujours des décrets pour déterminer leur mode de financement et définir leurs structures de gestion. Le retard pris dans ce domaine est en revanche lié au long feuilleton de la formation du gouvernement.

Étant issu du milieu des affaires, comment voyez-vous le développement économique de Casablanca d’ici à 2021 ?

La région Casablanca-Settat se voit comme un territoire qui doit rayonner à l’échelle continentale. Pour cela, il faut accompagner les projets déjà engagés, comme Casablanca Finance City et, dans le cadre du programme de développement des infrastructures portuaires, l’extension du port de Jorf Lasfar et le repositionnement de celui de Casablanca.

Il faut également anticiper l’arrivée de nouvelles infrastructures

Il faut également anticiper l’arrivée de nouvelles infrastructures : le TGV nous impose, par exemple, de placer la barre haut pour l’aéroport de Nouaceur afin d’en faire un véritable hub. En parallèle, l’avenir économique de la région est lié à ce qu’elle est déjà. Elle concentre un bon tiers du PIB national, 40 % de l’industrie nationale et plus de 60 % des activités commerciales du pays.

C’est pour cela que notre PDR met l’accent sur l’attractivité, que ce soit à travers la réhabilitation ou à travers la création de nouvelles zones d’activités. C’est notre responsabilité envers nos concitoyens et notre jeunesse. Il faut savoir qu’il y a actuellement 200 000 jeunes dans les universités de la région qui, demain, seront sur le marché du travail.

En parlant de jeunes, de quel œil voyez-vous le Hirak du Rif et la tension qui règne depuis des mois dans cette région ?

Il faudrait tirer les enseignements de ce qui se passe dans le Rif, même s’il est difficile de le faire à chaud. Je pense qu’il y a sûrement des attentes légitimes. Il faut apprendre à les anticiper et à les satisfaire en trouvant les réponses adéquates.

Le Maroc a déjà fait beaucoup, mais il lui reste encore du chemin pour dépasser toutes les disparités. Celles-ci ne concernent pas seulement le volet infrastructures, mais touchent aussi la formation.

Il faut garder le cap afin de traiter ces inégalités, qui existent partout, tout en permettant aux gens de s’exprimer afin de les associer du mieux possible à ce long processus et préserver nos instances de médiation, d’encadrement et d’intermédiation.

Un des enseignements de la « crise d’Al Hoceima » est justement que les partis politiques ont perdu toute crédibilité pour jouer ce rôle de médiation…

L’intermédiation traditionnelle doit évoluer. Cela s’impose à tous, partout dans le monde. Ce que la Guyane a vécu récemment, c’est aussi une situation sociale qui, au bout d’un moment, était devenue insupportable. Il faut donc revoir les mécanismes de fonctionnement de cette médiation.

Aujourd’hui, tout le monde peut se sentir dépassé, et il faut probablement réinventer le modèle d’intermédiation et faire en sorte que les citoyens soient mieux associés au processus décisionnel.

Le président de cette région du Rif n’est autre que le secrétaire général de votre parti, Ilyas El Omari. Pensez-vous qu’il gère bien la situation ?

Le conseil régional ne peut être tenu pour seul responsable dans la manière de gérer cette colère. Il y a plusieurs parties concernées, gouvernement en tête. Il serait plus constructif de se demander comment on peut agir ensemble pour être à la hauteur des attentes légitimes de la population.

Quelle appréciation portez-vous sur la composition actuelle du gouvernement ?

Je suis déçu. Nous avons encore quarante ministres, ou presque, et cela n’envoie pas le meilleur des messages en matière de cohésion et d’efficacité.

Mais qu’attendez-vous alors concrètement de ce gouvernement ?

Au niveau des régions, pour ne parler que de cela, nous attendons un geste concret en matière de décentralisation. Les responsables régionaux des ministères devraient par exemple avoir de vraies prérogatives. Ce n’est pas encore le cas.

Pensez-vous que le PAM peut sortir indemne de cinq nouvelles années dans l’opposition ? Ne risque-t‑il pas de perdre de son poids électoral au profit de nouveaux partis qui montent ?

Le PAM a depuis longtemps décidé de rester dans l’opposition le temps de se construire. Si les résultats des dernières élections avaient été encore meilleurs, nous n’aurions pas renoncé à prendre nos responsabilités. Mais à partir du moment où les résultats étaient insuffisants, il fallait rester cohérent et se maintenir dans l’opposition, avec l’ambition de faire mieux la prochaine fois.

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