Macron, les kwassa-kwassa et le cheval blanc d’IBK
Un « trait d’humour malheureux » soluble dans « l’esprit d’apaisement et de confiance mutuelle » et un coup de fil de l’offenseur à l’offensé, avec ses regrets mais sans excuses : ainsi l’Élysée a-t‑il soldé le compte de la (petite) vague d’indignation née de la blague sinistre d’Emmanuel Macron sur les kwassa-kwassa, ces canots rapides à fond plat qui « ramènent du Comorien » comme d’autres des crevettes, mais qui, surtout, en précipitent dans les abysses du canal du Mozambique, entre Anjouan et Mayotte, au rythme de cinq cents par an.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 12 juin 2017 Lecture : 4 minutes.
Entendons-nous bien : le nouveau président français n’est pas raciste, encore moins nostalgique de l’époque où les navires négriers « ramenaient de l’Africain » sur les côtes d’Amérique. Il a même été le seul candidat à oser qualifier la colonisation de « crime contre l’humanité » avec un courage que nous avons ici salué. Mais cet homme de 39 ans qui évolue avec aisance dans un écosystème mental où les médias, le marketing et le tout-image sont rois et dont l’entourage flatte à l’infini la maîtrise communicationnelle a commis une blague qui, elle, était raciste. Ainsi va cette maladie contre laquelle nul n’est immunisé et qui sommeille au fond de chacun d’entre nous : elle surgit au détour d’une phrase, perçant le plus épais des blindages, au moment où l’on s’y attend le moins.
En la matière, les prédécesseurs d’Emmanuel Macron ont, il est vrai, montré l’exemple, souvent en pire. François Hollande, « Monsieur Petites Blagues », saluant le retour de son Premier ministre Manuel Valls d’un voyage en Algérie « sain et sauf, et c’est déjà beaucoup ». Nicolas Sarkozy, à propos des campements de migrants : « Le changement climatique a eu des conséquences, on a maintenant une jungle à Calais ! » Jacques Chirac, brocardant devant des militants hilares l’immigré africain « avec trois ou quatre épouses et une vingtaine de gosses », qui gagne « 50 000 francs de prestations sociales sans naturellement travailler », puis insiste : « Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, eh bien le travailleur français il devient fou ! » François Mitterrand, l’insoupçonnable, développant dans un entretien enregistré (puis radiodiffusé) avec Marguerite Duras une étrange conception éthnologico-religieuse du racisme « enraciné dans l’espèce humaine », avant de conclure qu’« il y a quand même quelque chose de logique dans tout cela ». Valéry Giscard d’Estaing expliquant doctement que « les origines orientales » d’Édouard Balladur (né à Izmir, en Turquie) induisant « un côté incertain », il a préféré voter Chirac en 1995 parce que « Chirac, c’est le Limousin, la France du Centre ». Et de Gaulle, ah, de Gaulle ! Objet d’une sempiternelle béatification médiatique, que n’a-t-il pas dit sur les Arabes et surtout sur les Africains, comme le rapporte Jacques Foccart dans ses Mémoires à la date du vendredi 8 novembre 1968*. Le général à son conseiller : « Cela suffit comme cela avec vos nègres ! […] Il y a des nègres à l’Élysée tous les jours, vous me les faites recevoir, vous me les faites inviter à déjeuner. Je suis entouré de nègres ici […]. Foutez-moi la paix avec vos nègres ; je ne veux plus en voir d’ici deux mois, vous entendez ? […]. Cela fait très mauvais effet à l’extérieur : on ne voit que des nègres, tous les jours à l’Élysée. Et puis je vous assure que c’est sans intérêt. » Sidérant…
Des « nègres », Emmanuel Macron en a croisé le 19 mai lors de sa première visite éclair en Afrique, ou plutôt chez les Français d’Afrique. Car ce ne sont pas les Maliens que notre Bonaparte 2.0 est venu rencontrer mais les soldats de l’armée française dans une ville de Gao transformée pour quelques heures en camp retranché. Hélicoptères français dans le ciel, sécurité française au sol, véhicules officiels maliens fouillés, militaires maliens soigneusement tenus à distance ou, quand on ne pouvait faire autrement – il fallait bien un piquet d’honneur à l’aéroport – délestés de leurs chargeurs et de leurs cartouchières : Barkhane a agi ce jour-là comme un régiment colonial au Soudan français. Trois jours auparavant, le président français avait téléphoné à son homologue malien, Ibrahim Boubacar Keïta, pour lui expliquer que, contrairement à ce que ce dernier souhaitait, il ne passerait pas par sa capitale Bamako – pas le temps, casse-tête sécuritaire, pas le but de la visite –, mais qu’il le verrait volontiers à Gao. A priori, on imagine ce qu’aurait été la réaction d’un Alpha Oumar Konaré, lui qui refusa, il y a vingt ans, de se rendre à la convocation de Jacques Chirac à Dakar pour un sommet régional. Mais en l’espèce, IBK, dont le nationalisme n’est pas sujet à caution, avait-il le choix ?
On a beau faire appel aux mânes de Soundiata Keïta et de Samory Touré, quand on dépend d’une puissance extérieure pour sa propre sécurité – et ce serait faire un procès inique à l’actuel président malien que de le tenir pour responsable de cette situation –, on se place objectivement en dessous de la main qui donne. Il a donc fallu, sans broncher, replier le tapis rouge dont M. Macron ne voulait pas, renvoyer à l’écurie le cheval blanc, remballer les cadeaux de bienvenue qu’il ne souhaitait pas plus recevoir et accepter que l’entretien se déroule dans une salle choisie, aménagée et sécurisée par la partie française.
Qu’on se rassure : personne ne reprochera à Emmanuel Macron, qui, aux dernières nouvelles, a tout de même prévu de se rendre quelques heures à Bamako début juillet pour y « présider » une conférence sécuritaire régionale, de s’être comporté à Gao comme Donald Trump à Sigonella, en Italie, lors du sommet du G7. Et sa blague douteuse sur les kwassa-kwassa n’aura strictement aucun effet sur l’irrésistible tsunami d’En marche ! aux législatives. Seuls les mauvais esprits jugeront que, dans l’un et l’autre cas, le « nouveau monde » du jeune président français ressemble tout de même beaucoup à l’ancien…
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