De Detroit à Berlin, le dernier voyage de Rosa Parks

À Detroit, la demeure de la pionnière du mouvement d’émancipation des Noirs américains était menacée de démolition. Elle a été démontée par un artiste, puis reconstruite à… Berlin !

L’artiste américain Ryan Mendoza avec son fils et son épouse, le 26 avril. Au second plan, l’ancienne demeure de Rosa Parks à Detroit. © GORDON WELTERS/NYT-REDUX-REA

L’artiste américain Ryan Mendoza avec son fils et son épouse, le 26 avril. Au second plan, l’ancienne demeure de Rosa Parks à Detroit. © GORDON WELTERS/NYT-REDUX-REA

Publié le 20 juin 2017 Lecture : 3 minutes.

La Wriezener Strasse, dans le quartier nord de Berlin, n’est certes pas habituée à une telle affluence ! En ce week-end ensoleillé, les riverains regardent avec curiosité l’afflux de badauds autour d’une maisonnette en bois décrépite installée dans une arrière-cour. La bâtisse, qui ne compte qu’un étage, détonne dans le paysage environnant, où les gratte-ciel sont légion. Normal : il y a encore quelques mois, elle était sise à 7 000 km de là, dans la banlieue de Detroit, dans le nord-est des États-Unis. « C’est assez surréaliste mais on s’y fait », commente un voisin.

Rosa Parks menacée de mort

Ce déménagement hors norme a été orchestré par Ryan Mendoza, un artiste américain installé avec femme et enfant dans la capitale allemande. Bien entendu, il n’a pas choisi n’importe quelle demeure. Celle-ci a appartenu à Rosa Parks (1913-2005), une pionnière du mouvement d’émancipation des Noirs américains.

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L’histoire est connue. Le 1er décembre 1955 à Montgomery dans l’Alabama, Parks, alors âgée de 42 ans, refuse de céder sa place de bus à un Blanc, comme la loi l’y contraint. Ce geste de défi lui vaut une amende de 10 dollars pour trouble à l’ordre public. C’est le point de départ d’un formidable mouvement de protestation qui aboutira à l’abolition de la ségrégation raciale…

La suite est généralement ignorée. Menacée de mort, Rosa Parks est contrainte de quitter l’Alabama et de s’installer avec son mari à Detroit, dans le Michigan. Deux ans durant, elle est hébergée dans une maison appartenant à son frère, au 2672, South Deacon Street. Par la suite, la maison ne cessera d’être occupée jusqu’en 2008.

Elle m’a expliqué qu’elle avait achetée la maison pour 500 dollars mais qu’elle ne parvenait pas à la sauver de la démolition

Mais à cette date ses derniers propriétaires, frappés de plein fouet par la crise économique, sont contraints de s’en aller. La maison est laissée à l’abandon, puis, malgré la notoriété de son ex-locataire, placée sur la liste des démolitions programmées par la ville. Une honte pour Rhea McCauley, la nièce de Rosa Parks, qui tente de la faire inscrire aux monuments nationaux. En vain. C’est alors qu’elle entre un peu par hasard en contact avec Ryan Mendoza. « Elle m’a expliqué qu’elle l’avait achetée pour 500 dollars mais qu’elle ne parvenait pas à la sauver de la démolition », se souvient l’artiste.

Ému par cette histoire, il se met en tête de démonter la bâtisse presque planche par planche, de la charger dans des conteneurs, de l’acheminer jusqu’en Allemagne, puis de la reconstruire au fond de son jardin berlinois.

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« Les Allemands n’ont pas peur de regarder en face leur passé douloureux, explique Mendoza. C’est une chose que nous, Américains – et surtout nos responsables politiques –, ne savons pas faire. » L’artiste affirme avoir contacté Michelle Obama, à la Maison-Blanche, pour tenter de trouver une solution. Sans résultat.

Ouverte au public occasionnellement

En raison de sa grande fragilité, la maison ne peut aujourd’hui être visitée. Sa déconstruction n’est d’ailleurs pas allée sans difficultés. Pour lui rendre un semblant de vie, elle est, la nuit, éclairée de l’intérieur, tandis que des haut-parleurs diffusent de la musique noire des années 1950 et des bribes d’interviews de Parks. Le lieu n’est qu’occasionnellement ouvert au public, surtout aux enfants des écoles pour les sensibiliser à la lutte pour les droits civiques. Mendoza souhaite que cet exil ne soit que temporaire et que la maison soit un jour rapatriée à Detroit. « J’espère qu’une institution va s’en occuper », dit-il.

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À Detroit, l’opération ne fait pourtant pas l’unanimité. Mendoza sait bien qu’en tant qu’artiste blanc il est soupçonné de profiter de la misère des quartiers noirs pour s’approprier leur patrimoine. D’autant qu’il n’en est pas à son coup d’essai. En 2016, il a par exemple déconstruit la « maison blanche », une autre maison abandonnée de Detroit, avant de la reconstruire lors d’un festival d’art aux Pays-Bas.

« Clinton » et « Trump » déclinent The Invitation

Cette année, il a voulu marquer les esprits avec un projet intitulé The Invitation. Après avoir peint en blanc deux pauvres habitations de la ville, il a inscrit sur leur façade les noms « Clinton » et « Trump », puis invité les deux candidats à la présidentielle à passer une nuit dans l’Amérique des laissés-pour-compte. Faut-il préciser que l’invitation a été doublement déclinée ?

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