Banque : BPCE rate le coche en Afrique

Annoncée il y a quatre ans, l’offensive du deuxième groupe bancaire français sur le continent n’a pas eu lieu. Sa stratégie est-elle adaptée ?

Le siège dela filiale camerounaise de BPCE, à Douala. © Renaud VAN DER MEEREN/EDJ

Le siège dela filiale camerounaise de BPCE, à Douala. © Renaud VAN DER MEEREN/EDJ

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Publié le 5 juillet 2017 Lecture : 5 minutes.

Aucune acquisition sur le continent au cours des trois dernières années. Pourtant, lors du lancement de son plan stratégique 2014-2017, BPCE, qui chapeaute en France les réseaux Banque populaire et Caisse d’Épargne, annonçait une offensive sur le continent. Trois ans plus tard, force est de constater que le nombre de ses implantations en Afrique est resté bloqué à sept pays.

« De nombreuses études ont été diligentées sur différentes banques, mais il n’y a pas eu de communauté de décisions favorables à leur acquisition », reconnaît Jean-Pierre Levayer. Le directeur général du holding BCPE International avance deux raisons : les critères établis par le groupe – trop exigeants – et le manque de conviction de ses dirigeants exécutifs et non exécutifs.

BPCE dispose d’une culture différente de celle de ses concurrentes, plus capitalistes

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« Conjugués, ces éléments aboutissent à une absence de décision », explique-t-il. Il faut dire que le caractère mutualiste et coopératif de l’entreprise n’aide guère. « BPCE dispose d’une culture différente de celle de ses concurrentes, plus capitalistes. Il faut convaincre les membres sur les choix à opérer.

Cela prend énormément de temps et peut constituer un facteur de blocage », analyse Dhafer Saidane, professeur à la Skema Business School, grande école française.

Participation

Déjà présent au Cameroun (Bicec), au Congo (BCI), en Tunisie (BTK) et à Maurice (Banque des Mascareignes), le groupe a pourtant enclenché une dynamique d’envergure au début de la décennie, en provisionnant 1 milliard d’euros pour des rachats.

En juillet 2011, il prend le contrôle de la Banque malgache de l’Océan Indien (BMOI), en rachetant les parts (75 %) de BNP Paribas, et s’octroie une participation minoritaire (19,4 %) dans la Banque nationale de développement agricole (BNDA) du Mali.

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En avril 2012, il se console de l’échec des négociations pour la reprise de Banque Atlantique Côte d’Ivoire avec un partenariat stratégique : l’entrée à hauteur de 5 % dans le capital de la marocaine Banque centrale populaire (BCP). « Nous sommes prêts à saisir les opportunités qui se présenteront dans la banque de détail », annonçait François Pérol en 2014, réaffirmant ainsi leurs ambitions africaines.

Confiant, le président du directoire du deuxième groupe bancaire français a même indiqué plusieurs fois à Jeune Afrique qu’une enveloppe de 300 millions d’euros était disponible pour s’assurer la majorité dans les établissements qui tomberaient dans son escarcelle.

Depuis, les occasions n’ont pas manqué

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Depuis, les occasions n’ont pas manqué. La dernière en date concerne la Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Gabon (Bicig). Son conseil d’administration souhaitant voir un groupe français ou international reprendre les 47 % de BNP Paribas dans son capital, elle approche BPCE.

Mais le groupe se rebiffe. « Cette banque n’a pas retenu notre attention eu égard à un certain nombre de critères », admet sans plus de précisions Jean-Pierre Levayer, qui a trouvé le dossier sur son bureau en prenant ses fonctions, il y a sept mois.

Le cas de la Côte d’Ivoire

Plus étonnant encore est le cas de la Côte d’Ivoire. De passage à Abidjan en septembre 2014, François Pérol insiste sur l’intérêt que suscite le poids lourd ouest-africain pour son groupe et avoue avoir discuté avec le président Alassane Ouattara de projets d’implantation dans la région. Dans la foulée, Philippe Garsuault, prédécesseur de Jean-Pierre Levayer, enfonce le clou.

« Nous posons des jalons. Nous voulons réaliser plusieurs acquisitions en Afrique centrale ou en Afrique de l’Ouest », déclare-t-il aux Échos. Sur les conseils de PwC, le gouvernement ivoirien enclenche alors la privatisation de quatre établissements publics (BFA, Versus Bank, Biao-CI et la SIB). Mais aucun ne trouve grâce aux yeux de BPCE.

Le scandale des détournements de fonds au sein de la filiale camerounaise Bicec, de l’ordre de 50 milliards de F CFA (environ 76 millions d’euros) sur douze ans, dévoilé en février 2016 (lire ci-dessous), aurait-il douché la volonté de la maison mère ? Cette hypothèse est balayée par le dirigeant de BPCE International, qui rappelle que la découverte de cette fraude est récente.

L’une des explications réside dans le changement de priorités intervenu il y a trois ans. « Le groupe, à l’instar d’autres banques européennes, se devait d’améliorer d’abord sa solidité financière et ses ratios en France », relève Jean-Pierre Levayer. Une contrainte imposée par la baisse des taux d’intérêt en Europe, ayant incité les ménages à renégocier leurs crédits.

« Cette situation a entraîné un recul de notre produit net bancaire dans le détail, de l’ordre de 3 % à 4 %. Notre marge a significativement baissé avec des coûts de structure identiques », explique-t-il.

Risques

Mais cette lecture est qualifiée de « conjoncturelle » par Dhafer Saidane, qui insiste plutôt sur le repli général des banques françaises, amorcé depuis plusieurs années.

Cette absence de ferveur ne marque pas pour autant un désintérêt définitif de BPCE pour l’Afrique

« Les risques sur le continent sont spécifiques et complexes. L’instabilité politique ou la faible taille des entreprises rendent les grands groupes européens frileux et les dissuadent de s’implanter durablement. Ils préfèrent s’insérer dans des niches, comme le crédit à la consommation ou le mobile banking, pour essayer de sauver le produit net bancaire », observe-t-il.

Cette absence de ferveur ne marque pas pour autant un désintérêt définitif de BPCE pour l’Afrique. Dans la perspective de l’élaboration de son plan stratégique 2018-2020, le groupe a commandé auprès de McKinsey une étude diagnostique, en cours de finalisation.

Celle-ci réaffirme l’existence d’un potentiel. « Nous nous intéresserons à certaines banques. Seule leur taille, qui doit être suffisante en matière de parts de marché et de produit net bancaire, guidera nos choix », insiste Jean-Pierre Levayer. Il faudra donc patienter jusqu’à la rentrée pour connaître les intentions précises du groupe mutualiste.

Bicec dans le rouge

En 2016, la Bicec (Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit) a enregistré une perte nette de 20,8 milliards de F CFA (31,7 millions d’euros), alors qu’elle avait réalisé un bénéfice de 4,5 milliards de F CFA l’année précédente.

Des chiffres désastreux imputables à un résultat de – 33,6 milliards de F CFA, lui-même provenant de la mise au rebut des biens fictifs immobilisés liés à la fraude, indique le procès-verbal du conseil d’administration du 17 mars, dont JA a obtenu copie. « Ce montant est susceptible d’être légèrement ajusté », prévient Alain Ripert, le dirigeant de la filiale camerounaise de BPCE (qui détient 68,5 % de ses parts).

L’ampleur des détournements de fonds découverts en février 2016 et réalisés par d’anciens responsables, avec la complicité de certains prestataires, est également réévaluée. La dernière estimation de la perte est de 34,6 milliards de F CFA.

Dans une précédente édition, JA mentionnait le montant de 50 milliards de F CFA. « Les deux chiffres sont vrais. Le second montant situe l’ampleur de la fraude sur douze ans, tandis que le premier est ce qui reste dans nos livres sur les deux dernières années. Une partie a été absorbée dans les comptes des années précédentes », affirme le patron de la filiale.

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