France : Ahmet Ogras, premier Turc à la tête du conseil français du culte musulman

Le 1er juillet, le Turc Ahmet Ogras succédera au Marocain Anouar Kbibech à la tête du Conseil français du culte musulman.

Le nouveau président du CFCM, à Paris, le 13 juin. © Vincent Fournier/JA

Le nouveau président du CFCM, à Paris, le 13 juin. © Vincent Fournier/JA

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Publié le 29 juin 2017 Lecture : 4 minutes.

«Un Turc entrepreneur et entreprenant. » C’est en ces termes que Bernard Godard, qui participa à la mise en place du Conseil français du culte musulman (CFCM), décrit celui qui, le 1er juillet, succédera au Marocain Anouar Kbibech à la tête de cette institution chargée, depuis sa création par Nicolas Sarkozy en 2003, d’incarner en France la dimension cultuelle de l’islam.

De fait, Ahmet Ogras est avenant. Né à Konya, « la ville des derviches tourneurs », élevé à Vendôme (Val-de-Loire) puis diplômé en génie électrique d’Enseeiht Telecom (Toulouse), ce binational de 46 ans a de l’entregent, à l’instar de ces Anatoliens devenus des « tigres » du business à la faveur de l’accession au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan. À l’image de cette classe industrieuse et pieuse qui n’a cessé de tisser ses réseaux en Turquie comme dans la diaspora, Ogras a une double casquette.

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D’un côté, il dirige Afra Voyages, à Paris, où il vend des destinations turques. De l’autre, il est à la tête du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), qui l’a « coopté » et lui a fait intégrer le CFCM fin 2012, alors que la structure s’orientait vers une présidence tournante. Il est aujourd’hui le premier Turc à prendre les commandes de cette instance… qui ne dispose d’aucun budget ! « Comment, dès lors, avoir un minimum d’autorité ? » s’interroge Ahmet Ogras, dont la priorité sera de demander des ressources financières « afin de recruter des permanents qui pourraient traiter les dossiers et être la mémoire du CFCM ».

Des dissensions en interne au CFCM

« Nous sommes trop critiqués, nous devons communiquer. Les terroristes ne sont pas pratiquants, ou bien se mettent à pratiquer juste avant de passer à l’acte. Il est de notre devoir d’apporter, notamment aux jeunes et aux convertis, une réponse de fond, de faire connaître les valeurs de l’islam à la mosquée, dans des centres d’enseignement et sur le web », explique-t-il.

Les terroristes ne sont pas pratiquants, ou bien se mettent à pratiquer juste avant de passer à l’acte

Mais comment faire évoluer une institution qui se cantonne au rôle symbolique d’interlocuteur des pouvoirs publics et dont les dirigeants, bénévoles, se réunissent tous les quinze jours dans des locaux dont ils ne possèdent pas les murs ? « Unité dans la communauté, unité dans la nation », répond Ahmet Ogras, comme pour conjurer les bisbilles entre les fédérations que le CFCM est censé représenter. La question n’est pas tant d’ordre théologique que politique : entre lesdites fédérations et les pays d’origine ou les obédiences de leurs membres, le cordon ombilical n’a pas été vraiment coupé.

En France comme en Europe, l’AKP a pris en main le réseau de l’islam turc. Il dispose pour cela d’un outil, le Diyanet, bureau des affaires religieuses rattaché au Premier ministre, qui permet depuis 1924 à la République laïque de Turquie de contrôler la construction des mosquées et les imams, salariés d’État. Le Diyanet, dont la ligne varie au gré des changements de pouvoir, exerce une réelle influence sur la diaspora, par le truchement du Ditib, sa branche à l’étranger.

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Quel rôle joue Ogras dans ce dispositif ? « Le Diyanet n’a besoin de personne, il a ses propres relais dans les mosquées turques de France, tranche Godard. Cela dit, il est prestigieux pour Ankara qu’un Turc soit à la tête d’une institution telle que le CFCM. » Diyanet, Parti Égalité Justice (proche de l’AKP), mouvement islamique Milli Görüs… « Les Turcs sont dans un total mélange des genres et forment un lobby, poursuit l’auteur de La Question musulmane en France. Les mosquées turques ont, par exemple, été mobilisées en 2012 lors de manifestations hostiles à un projet de loi pénalisant la négation du génocide des Arméniens. »

« Je n’ai aucun lien personnel avec M. Erdogan »

« Ogras connaît mal le tissu associatif, il est là à titre politique », persifle un imam de la région parisienne. L’intéressé n’a, en effet, pas de formation théologique, contrairement à son épouse, qui a étudié dans un imam hatip [école coranique] et dont le frère et la belle-sœur sont, par ailleurs, conseillers à la présidence de la République à Ankara. « Je n’ai aucun lien personnel avec M. Erdogan, assure Ogras. Mais c’est un homme ouvert à tous, qui vient du peuple et pour qui le peuple est sacré. »

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Celui qui se définit comme « un pratiquant, membre de la société civile française et libre de toute attache » estime que le président du CFCM « doit partager ses projets avec la direction collégiale et surtout être un porte-parole ». En créant des commissions de jeunes, de femmes, de convertis, puis en faisant adopter une « charte des imams », Anouar Kbibech était parvenu à faire bouger les lignes. Est-ce un signe ? Ce 20 juin, le président Emmanuel Macron a participé au dîner de rupture du jeûne organisé par le CFCM. « Depuis son arrivée à Élysée, la situation s’est apaisée, les musulmans ne sont plus un enjeu électoral, c’est le moment d’agir », souligne Ogras. Il a deux ans devant lui.

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