RDC : Joseph Kabila face aux sanctions
Les États-Unis et l’Union européenne ont pris des mesures drastiques à l’encontre de dix-sept personnalités proches du pouvoir afin de contraindre le président à organiser des élections. Face à la menace, Kinshasa appelle les Africains à la solidarité.
«Pour obliger Kabila à quitter le pouvoir, notre stratégie repose sur deux piliers : la mobilisation sur place et les pressions venues de l’extérieur. » Ce plan de bataille, c’est celui que l’opposant Félix Tshisekedi détaillait à Jeune Afrique, à Kinshasa, à la fin de 2016. Depuis, l’objectif n’a pas changé : obtenir le départ de Joseph Kabila, qui, malgré l’expiration de son ultime mandat constitutionnel, en décembre dernier, entend se maintenir jusqu’à la prochaine élection présidentielle – dont la date est encore incertaine. Mais au cours des derniers mois, le premier « pilier » – la mobilisation populaire – a montré ses limites. En l’absence d’Étienne Tshisekedi, décédé le 1er février, et de Moïse Katumbi, toujours en exil après des condamnations qualifiées de « mascarades » par l’Église catholique, les partisans de l’opposition sont réticents à risquer leur vie dans les artères de Kinshasa face à un appareil répressif impitoyable.
Restent les pressions extérieures. C’est donc sur ce terrain que le bras de fer s’est déplacé. Effrayés par le risque d’une désintégration du pays et excédés par l’immobilisme du chef de l’État, les États-Unis et l’Union européenne (UE) ont en effet prononcé des sanctions individuelles à l’encontre de responsables congolais. Avec quelles conséquences ?
Qui sont les personnalités visées ?
Depuis juin 2016, dix-sept personnalités au pouvoir (ou alliées à ces dernières) ont été progressivement inscrites sur la liste des sanctions individuelles édictées par l’UE et les États-Unis. Celles-ci se sont d’abord focalisées sur les principaux dignitaires de l’appareil sécuritaire. Cette logique se poursuit : le 1er juin, les Américains inscrivaient encore sur leur liste noire le général François Olenga, chef de la « maison militaire » du président Joseph Kabila.
Mais la dernière vague de sanctions prononcées par l’Union européenne, le 29 mai, à l’encontre de neuf nouveaux individus présente la particularité d’inclure plusieurs responsables politiques, comme le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende. Ce dernier est sanctionné au motif de sa « politique répressive envers les médias […], qui viole le droit à la liberté d’expression et d’information ». Pour les Européens, il ne s’agit plus seulement d’empêcher la répression, mais aussi d’impressionner tous ceux qui permettent à Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir.
Quelles conséquences pour elles ?
Elles sont importantes puisque les personnes visées ont l’interdiction de se rendre – y compris pour y transiter – aux États-Unis ou dans les pays de l’UE (parfois les deux, comme pour l’ancien ministre de l’Intérieur Évariste Boshab). Par ailleurs, elles ne peuvent plus disposer de leurs « avoirs » dans ces pays, autrement dit les fonds qu’elles y détiennent. Toutefois, des listes recensant les individus susceptibles de faire l’objet de sanctions avaient préalablement fuité à Kinshasa. De nombreux responsables avaient donc pris leurs dispositions, du moins en ce qui concerne leurs placements les plus liquides, avant que le couperet ne tombe.
D’autres, anticipant une nouvelle vague, sont en train de suivre leur exemple. Car les fonds détenus en Afrique, en Asie ou dans les pays du Golfe ne sont pas concernés… à moins qu’ils soient libellés en dollars. Les sanctions américaines ont en effet pour conséquence d’empêcher tout transfert dans cette devise. Un handicap bien réel dans un pays où l’économie est fortement « dollarisée ». En pratique, cela contraint les banques congolaises à clôturer les comptes en dollars que détiennent les intéressés.
Par ailleurs, les sociétés américaines (dont Visa ou Western Union) n’ont plus le droit de travailler avec eux. « Il est évident que ces mesures perturbent le fonctionnement normal des affaires des personnes concernées », reconnaît le ministre congolais de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, dans une interview accordée à Jeune Afrique.
Quel est l’objectif recherché ?
Les Occidentaux ont conscience que cette stratégie n’est pas de nature à intimider Joseph Kabila. Lui-même a peu d’attaches en Europe et aux États-Unis, où il ne voyage que rarement. Il en va en revanche autrement de son entourage, qui entretient souvent des liens étroits avec l’Occident. Les Européens pensent ainsi pouvoir diviser les proches du chef de l’État.
Ce risque, le conseiller diplomatique du président, Barnabé Kikaya Bin Karubi, l’a bien identifié. « Mais les Occidentaux se trompent d’époque, réagit-il. Ils n’ont plus ce monopole. Pour voyager ou faire du shopping, aujourd’hui, on peut tout aussi bien aller en Afrique du Sud, au Maroc, à Dubaï ou en Chine ! »
Quelle stratégie de riposte pour Kinshasa ?
Après les différents « accords » signés avec certaines franges de l’opposition en octobre puis en décembre 2016, et à la suite de l’élection de Donald Trump, Kinshasa a d’abord cru pouvoir enrayer la machine à sanctions. Nommé en décembre, le très diplomate ministre des Affaires étrangères et vice-Premier ministre, Léonard She Okitundu, a aussitôt effectué de fréquents voyages en Europe et aux États-Unis afin de renouer le dialogue.
En synchronisant la dernière vague de leurs sanctions (le 29 mai pour les Européens ; le 1er juin pour les Américains), les Occidentaux ont voulu montrer que, en dépit des alternances survenues récemment au sommet de l’État à Washington comme à Paris, ils demeuraient unis sur une ligne intransigeante vis-à-vis de Kinshasa.
Le gouvernement congolais vient donc de changer de ton, annonçant des mesures de « réciprocité » qui restent à définir. Il cible en particulier la Belgique, ancienne puissance coloniale : c’est l’unique pays avec lequel la RD Congo a, en avril, pris l’initiative de rompre sa coopération militaire. Avec une double arrière-pensée : tenter de diviser le front occidental – notamment en jouant Paris contre Bruxelles – et raviver le sentiment anticolonial. Évoquant son inscription sur la liste noire, Lambert Mende s’est ainsi présenté en « martyr » de « l’intérêt national » face au « néocolonialisme ». Un message également – et peut-être surtout – destiné aux pays africains, devenus la nouvelle priorité de la diplomatie congolaise.
De quel côté pencheront les Africains ?
Joseph Kabila, qui d’ordinaire voyage peu, s’est ainsi rendu le 22 avril en Égypte, un pays actuellement membre du Conseil de sécurité de l’ONU, avant de s’arrêter au Gabon, à Franceville, chez Ali Bongo, le président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac). Et il était annoncé à Pretoria pour ce 25 juin.
Par ailleurs, avant le sommet de l’Union africaine (UA) qui doit se tenir les 3 et 4 juillet à Addis-Abeba, son ministre Léonard She Okitundu a rendu visite à chacun des neuf voisins de la RD Congo, ainsi qu’à Alassane Ouattara, à Abidjan, au président sénégalais, Macky Sall, dont le pays siège lui aussi au Conseil de sécurité, et au Guinéen Alpha Condé, président en exercice de l’UA. Faut-il y voir une conséquence de cet activisme diplomatique ? En tout cas, le ministre angolais des Affaires étrangères, Georges Chikoti, s’est dit « choqué », au lendemain des dernières sanctions européennes, et a annoncé que l’UA se réunirait prochainement « pour analyser et adopter une position allant dans le sens de soutenir la RD Congo et de s’opposer à ces sanctions ».
De leur côté, les Occidentaux ne désespèrent pas de voir les pairs de Joseph Kabila exercer des pressions sur lui. Selon eux, certains chefs d’État du continent sont en effet adeptes d’un « double discours » : solidaires de Kinshasa en public, mais fermes vis-à-vis de Kabila au sein du cénacle africain.
5 vagues de sanctions successives 17 dignitaires visés
Juin, septembre, décembre 2016 ; mai, juin 2017
• 3 ministres ou ex-ministres (Ramazani Shadari, Lambert Mende, Évariste Boshab)
• 2 gouverneurs de province (Alex Kande Mupompa, Jean-Claude Kazembe)
• 11 responsables de la police, de l’armée ou des services de renseignements
• 1 chef milicien progouvernemental
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