Le prince Mohamed Ben Salman, faucon d’Arabie saoudite
Agressif, ambitieux, pressé, populaire… À 31 ans, le nouveau prince héritier saoudien, Mohamed Ben Salman, se rêve en futur maître du Moyen-Orient. Enquête sur l’homme le plus puissant du royaume wahhabite.
Quelques heures après avoir été sacré héritier de la couronne, le jeune prince royal saoudien Mohamed Ibn Salman a été filmé baisant la main et le pan de la robe de son cousin aîné, qu’il venait à l’instant de remplacer à l’occasion du remaniement le plus théâtral de l’histoire récente du royaume. « Votre soutien et votre conseil me seront toujours nécessaires », a déclaré le prince de 31 ans à Mohamed Ibn Nayef dans un palais royal de La Mecque. Ibn Nayef, ainsi déchu de sa position de prince héritier comme privé de son portefeuille de ministre de l’Intérieur, a répondu, flattant l’épaule de son royal cadet, qu’il pourrait maintenant prendre du repos.
La chorégraphie successorale du 21 juin voulait mettre en scène une famille royale soudée au moment où le bouleversement politique qu’elle venait de subir remodelait considérablement la direction de l’Arabie saoudite, premier producteur mondial de pétrole et allié clé des États-Unis.
Il s’agit de la réorganisation la plus profonde de la famille régnante ces cinquante dernières années » observe Kristian Coates Ulrichsen de l’Université Rice
Le prince Mohamed est maintenant en position de succéder à Salman, son père octogénaire, et assoit solidement son pouvoir alors qu’il porte d’ambitieux plans pour transformer le royaume et assurer son avenir postpétrolier.
« Tout le laissait présager, mais il s’agit de la réorganisation la plus profonde de la famille régnante ces cinquante dernières années, observe Kristian Coates Ulrichsen, de l’université Rice, au Texas. Si elle aboutit, Mohamed Ibn Salman sera en position de régner pendant des décennies et de refaçonner totalement le royaume. »
Une ascension inédite
Dans la très conservatrice maison des Al Saoud, qui règne depuis la fondation de l’État en 1932, l’ascension du prince Mohamed est exceptionnelle. Peu connu hors des cercles royaux il y a trois ans, il a été catapulté au sommet de la monarchie absolue quand son père l’a fait ministre de la Défense en janvier 2015 et vice-prince héritier trois mois plus tard.
Depuis, ce prince du millénaire s’est imposé comme la personne la plus puissante sous le dais royal. Volet de son plan pour sevrer l’économie de son addiction pétrolière, la vente d’une part de Saudi Aramco devrait être la plus importante introduction en Bourse du monde.
À l’heure où Riyad affirme sa politique étrangère dans la région, il supervise la guerre que le royaume mène au Yémen. « Cette concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul membre de la famille est sans précédent dans l’histoire de l’État saoudien moderne », commente Gregory Gause, professeur à l’université A&M du Texas.
Ce remaniement traduit aussi un renouvellement de génération dans les couloirs du pouvoir monarchique. Depuis la destitution du roi Saoud en 1962, la succession s’est faite entre les fils du fondateur du royaume, Abdelaziz. S’il succède à son père, le prince Mohamed sera le premier monarque de la troisième génération.
Les décrets royaux ont aussi confié le ministère de l’Intérieur à Abdelaziz Ibn Saoud Ibn Nayef, 33 ans, qui occupe une position clé dans un pays en lutte contre l’extrémisme depuis longtemps.
Des ambitions réformistes
Pour certains observateurs, cette marche vers le pouvoir absolu du prince Mohamed lui facilitera l’étouffement des résistances internes à son programme de réformes. Chiffré à 72 milliards de dollars, celui-ci prévoit la création de 1,2 million d’emplois dans le privé d’ici à 2020 et la diminution du rôle prédominant de l’État dans l’économie.
Programmée pour 2018, la vente de 5 % d’Aramco est essentielle au financement de sa Vision 2030, mais aussi pour donner le ton d’un plan de privatisations plus vaste, de 200 milliards de dollars.
En outre, son accession au rang de prince héritier a lieu pendant l’une des périodes les plus mouvementées de l’histoire moderne de la région. L’économie saoudienne a été éreintée par l’effondrement des cours du pétrole, et le taux de chômage a franchi les 12 %.
Les deux années de campagne militaire de Riyad contre les rebelles houthistes au Yémen ont coûté des vies et des milliards de dollars à l’Arabie saoudite pour de bien maigres progrès. Les tensions avec l’Iran, grand rival du royaume, n’ont jamais été aussi élevées.
Une politique qui ne fait pas l’unanimité
En juin, l’Arabie saoudite a organisé l’embargo de l’émirat du Qatar voisin pour son soutien prétendu au terrorisme. Une opération politiquement risquée dont on attribue la direction au prince Mohamed, faucon en matière de politique étrangère, et à son plus proche allié régional, Mohamed Ibn Zayed, prince héritier des Émirats arabes unis. Elle a déclenché la pire crise dans le Golfe depuis des années, dressant d’importants partenaires des États-Unis les uns contre les autres.
Mohamed Ibn Salman pourrait se heurter à des résistances au sein d’une maison royale où des milliers de princes peuvent se constituer en factions.
Le prince Mohamed devra encore persuader nombre de Saoudiens que des mesures d’austérité difficiles et des réformes sociales manifestes seront indispensables pour assurer la stabilité. « Il prend à bras-le-corps une multitude de problèmes dans le domaine économique et maintenant dans celui de la sécurité intérieure, mais ses réponses n’ont pas convaincu grand monde », confie un ancien diplomate en poste dans le royaume.
Mohamed Ibn Salman pourrait se heurter à des résistances au sein d’une maison royale où des milliers de princes peuvent se constituer en factions. Cette mutation du pouvoir a été approuvée par le conseil familial de succession. Mais elle est susceptible d’alarmer les altesses inquiètes de voir le prince Mohamed doubler le prince Mohamed Ibn Nayef, un gestionnaire bien plus expérimenté qui a gagné le respect à l’intérieur du pays comme à l’étranger pour avoir mené la lutte contre Al-Qaïda.
Un avenir incertain
Des diplomates avancent que des complots pourraient se tramer contre le prince s’il commettait des erreurs trop lourdes. Riyad s’attire déjà les critiques pour son intervention au Yémen, qui a causé beaucoup de morts chez les civils. « Vu le bas niveau des cours du pétrole, l’incertitude des situations politiques au Moyen-Orient et le nombre de membres de la famille régnante qui viennent d’être coupés du pouvoir politique, les temps sont périlleux pour l’Arabie saoudite », soutient le professeur Gause.
Je sens que nous parlons le même langage, affirme Bassem Kurdi, médecin de 31 ans
L’inexpérience du prince Mohamed a même pu susciter des doutes au sein d’une jeunesse en pleine expansion, même si elle peut davantage se reconnaître dans un tel leader que dans les monarques vieillissants qui ont régné pendant des décennies.
« Je sens que nous parlons le même langage, affirme Bassem Kurdi, médecin de 31 ans. Nous sommes enthousiastes, un peu fébriles, nous tentons de créer notre propre destin. Avons-nous des problèmes ? Beaucoup. Mais qui n’en a pas ? Nous prenons en tout cas les nôtres en main. »
Lune de miel avec Donald Trump
Après le grand désamour des années Obama, les Al Saoud ont applaudi à tout rompre l’élection de Donald Trump. Et c’est Mohamed Ibn Salman en personne qui a été chargé de « réinitialiser » les relations avec Washington, vitales pour Riyad.
Si Salman, devenu roi, s’était abstenu de visiter Obama, son fils recevait, quelques semaines après l’investiture de Trump, le plus chaleureux des accueils à Washington. Oubliés, les propos de campagne assassins du candidat républicain sur Riyad !
Premier envoyé saoudien auprès de Trump, Ibn Salman est naturellement devenu son guide pour sa première tournée internationale, en mai, qui l’a vu faire sa première halte chez son grand allié de la péninsule. Posant chacun la première pierre de leur stature internationale, les deux hommes y ont trouvé un bénéfice mutuel.
À tel point que Trump n’a pas hésité à abonder, par le biais de tweets, dans le sens de Mohamed Ibn Salman lorsque celui-ci a accusé, au début de juin, le Qatar de soutien au terrorisme, quand les diplomates et militaires de son administration tentaient au contraire de modérer la crise.
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