Inde : ArcelorMittal, une affaire de famille

Lakshmi, le père, Usha, la mère, Aditya et Vanisha, leurs enfants… Cette famille soudée est à la tête du premier groupe sidérurgique mondial. Une réussite à faire pâlir d’envie les maharadjahs.

Vanisha et Aditya Mittal, les enfants de Lakshmi et Usha Mittal, au château de Vaux-le-Vicomte, le 22 juin 2004. © AFP

Vanisha et Aditya Mittal, les enfants de Lakshmi et Usha Mittal, au château de Vaux-le-Vicomte, le 22 juin 2004. © AFP

Publié le 6 juillet 2017 Lecture : 5 minutes.

Il figure parmi les soixante plus grosses fortunes de la planète : 16,4 milliards de dollars, selon le classement 2017 du magazine Forbes, ce qui fait de lui le deuxième Indien le plus riche du monde, après son collègue Mukesh Ambani. Hors des frontières de l’Inde pourtant, la notoriété de Lakshmi Mittal, 67 ans, dépasse largement celle du patron de Reliance Industries (textile, hydrocarbures, télécoms, etc.).

Son empire, ArcelorMittal, numéro un mondial de la sidérurgie, il l’a bâti en partant de zéro. Rien ne le prédestinait en effet à une telle trajectoire, si ce n’est le prénom de la déesse hindoue de la Fortune que lui a donné son père le jour de sa naissance…

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Né le 15 juin 1950 dans un village du Rajasthan (nord-ouest de l’Inde), le futur magnat de l’acier n’a que 6 ans lorsque sa famille s’installe à Calcutta. Il étudie chez les jésuites à Saint-Xavier, un établissement anglophone fréquenté par l’élite de l’ancienne capitale des Indes britanniques.

D’extraction modeste, Lakshmi Mittal se fond mal dans le décor. « Il était passé par une école hindiphone et était un peu complexé dans ce nouvel établissement dont la plupart des élèves, issus d’un milieu privilégié, parlaient l’anglais couramment et fréquentaient les endroits branchés de la ville », racontent Tim Bouquet et Byron Ousey, auteurs d’un livre consacré à la saga des Mittal. Lakshmi n’en sort pas moins avec une licence de commerce et les meilleures notes jamais obtenues à Saint-Xavier en mathématiques et en comptabilité.

Le premier million de Lakshmi Mittal

Le reste de ses classes, il les fait dans la petite aciérie de son père, Mohan. Il a 25 ans lorsque celui-ci l’envoie en Indonésie pour y vendre un terrain destiné à accueillir un laminoir. Impressionné par le potentiel du marché local, le jeune homme décide de ne pas suivre les instructions de son père et de conserver le terrain, tout en restant fidèle à l’un des mantras paternels : « Relève les défis, saisis sans crainte les occasions qui se présentent. » Lakshmi se démène et réunit l’argent nécessaire à la construction de sa première usine. Ispat International, l’ancêtre de Mittal Steel puis d’ArcelorMittal, est né.

Avec Usha, son épouse, et Aditya, leur fils, il s’installe à Surabaya, dans l’est de l’île de Java, et gagne son premier million de dollars. « La plus grande satisfaction de ma vie », confiera-t‑il au Financial Times. Mais son premier véritable succès, Lakshmi Mittal le remporte en 1980, à Trinité-et-Tobago, où il remet à flot une usine qui perdait 1 million de dollars par jour. En 1992, il réitère l’exploit au Mexique, puis rachète des entreprises au Canada, en Irlande et en Allemagne, avant de s’attaquer aux pays d’Europe de l’Est tout juste sortis du giron communiste.

La vie est courte. Si vous voulez réaliser votre rêve, foncez !

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Rien n’arrête cet homme affable qui, bien qu’attaché à ses origines, vit à Londres depuis 1995. « La vie est courte. Si vous voulez réaliser votre rêve, foncez ! » lance-t‑il. Sa méthode ne varie pas : il rachète une usine vieillissante dont plus personne ne veut et la rend à nouveau rentable. « Avant de passer à la suivante… », résume Françoise Gilain, journaliste économique à la RTBF.

Son plus gros coup de poker, il le joue au Kazakhstan. « Une décision téméraire qui s’est révélée très judicieuse », admettra le magnat en 2012. Là encore, personne ne veut du site de Temirtau, et Mittal, fidèle à sa devise, « fonce ». Il est loin, l’élève timide de Saint-Xavier ! Dans cette ancienne République soviétique, il traite directement avec Noursoultan Nazarbaev, le président. « Lakshmi est d’un commerce très agréable, assure un consultant britannique qui l’a côtoyé. Il a l’art de tisser des liens. »

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Un patron décrit comme familial

Une fois de plus, le roi du métal remporte son pari. Et c’est en famille qu’il travaille. Usha, son épouse, reste en coulisses une précieuse conseillère. Vanisha, sa fille, siège au conseil d’administration d’­ArcelorMittal. « Un conseil potiche constitué uniquement de ses proches », dénoncent ses contempteurs, pour qui « la transparence n’est pas son fort ».

Aditya, son fils (41 ans), passe pour son bras droit. Actuel PDG d’ArcelorMittal Europe, il a rejoint le groupe en 1997 et y occupe les fonctions de directeur financier. Ce jeune homme au large sourire n’a que 30 ans lorsque, en 2006, il pousse son père à lancer une OPA contre Arcelor. « De manière surprenante pour une structure de cette taille, Mittal reste un patron familial », confirme Françoise Gilain.

Mittal a les yeux rivés sur les chiffres

Avantage d’une telle organisation ? Les prises de décision sont extrêmement rapides. Un atout dans le bras de fer qu’il engage avec Arcelor, qui, lui, fabrique des aciers à haute valeur ajoutée. Mittal Steel veut alors monter en gamme et créer un géant mondial. Aditya coordonnera entièrement cette OPA. « À l’époque, il nous paraissait très jeune, c’était à l’opposé de ce que nous avions l’habitude de voir en Europe », poursuit Françoise Gilain. Au terme d’une âpre et interminable bataille boursière, les Mittal prennent le contrôle du fleuron européen de la sidérurgie.

Immédiatement, Lakshmi s’emploie à rassurer l’opinion et les pouvoirs publics. « Je n’achète pas des usines pour les fermer », déclare-t‑il. Deux ans plus tard, il ferme l’usine de Gandrange, en Lorraine. Sans états d’âme. En 2012, c’est au tour des hauts-fourneaux de Florange de mettre la clé sous la porte. « Mittal a les yeux rivés sur les chiffres et reste l’actionnaire majoritaire de sa société à près de 40 %, poursuit Gilain. Pour chaque euro gagné, près de la moitié va dans sa poche. » Au sein du groupe, on traque la moindre dépense inutile.

De Versailles au Taj-Mittal

Si le patron n’hésite pas à faire des coupes claires pour maximiser ses bénéfices, son train de vie personnel est d’un faste à faire pâlir d’envie un maharadjah. Située dans le très chic quartier de Kensington Palace Gardens, sa résidence londonienne est si luxueuse qu’on la surnomme le Taj Mittal. Le magnat l’a achetée pour plus de 85 millions d’euros à Bernie Ecclestone, l’ancien roi de la formule 1.

En 2004, pour le mariage de sa fille Vanisha, il convie plus d’un millier de personnes, louant pour l’occasion les châteaux de Versailles et de Vaux-le-Vicomte. Coût de cette semaine de festivités : 55 millions d’euros. Un rapport à l’argent qui porte la marque de la caste des Mittal, les Marwaris.

Les Marwaris travaillent dans une perspective financière, dans l’objectif de dégager du profit

« C’est une très ancienne communauté de marchands. Nombre d’entre eux étaient déjà des banquiers de l’Empire moghol et, aujourd’hui, plusieurs grands industriels indiens en sont issus, souligne Claude Markovits, directeur de recherche au CNRS. Même lorsqu’ils sont dans l’industrie, ils travaillent dans une perspective financière, dans l’objectif de dégager du profit. »

Des profits qui pâtissent, depuis 2015, de l’essor fulgurant de la Chine sur le marché de l’acier. Le groupe n’en demeure pas moins numéro un mondial et entre les mains d’une famille soudée. À l’image de cette sculpture qui trône au centre de la résidence des Mittal : un globe terrestre en métal porté par six bras – ceux de Lakshmi, d’Usha, de leurs enfants et de leurs conjoints respectifs. Tout un symbole.

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