Que cherche la Chine en investissant autant en Afrique ?
Jamais Pékin n’avait investi à ce point sur le continent africain, devenu un véritable laboratoire de ses ambitions internationales. Et l’Afrique apprécie ce partenaire non interventionniste qui lui apporte financements et infrastructures. Système gagnant-gagnant ? Le débat est lancé.
Vieilles de plusieurs siècles, les relations entre la Chine et l’Afrique n’ont jamais été aussi fortes qu’au cours des quinze dernières années. Et le niveau d’engagement de l’empire du Milieu sur le continent a atteint des niveaux inédits. Cette offensive est menée à la fois par les entreprises publiques et privées, les décideurs politiques et les diplomates, et est autant le fruit d’actions spontanées que d’une stratégie bien orchestrée par Pékin.
Tous les investisseurs internationaux voient en l’Afrique un important réservoir de minerais et sont attirés par le pétrole angolais et nigérian, par le cuivre de la RD Congo et de la Zambie ou encore par l’uranium namibien. Mais les Européens et les Américains la perçoivent également comme une inquiétante source d’instabilité, de migration et de terrorisme, tandis que la Chine préfère se concentrer sur ses opportunités.
Récemment, les entreprises de l’empire du Milieu ont réussi à sécuriser leur accès au cobalt, crucial pour la production des batteries de voitures électriques, en rachetant à coups de milliards de dollars des parts dans les mines de la RD Congo, premier producteur mondial.
Un investissement qui va au-delà des matières premières
Ce qui l’attire en Afrique, c’est aussi le marché de consommateurs qu’elle constitue pour ses manufacturiers et ses entreprises de construction
Mais cet intérêt pour le continent va au-delà des matières premières. D’ailleurs, les États-Unis investissent dans l’exploitation minière beaucoup plus que la Chine (66 % du total des investissements pour les premiers, contre 28 % pour la seconde). Ce qui attire celle-ci en Afrique, c’est aussi le marché de consommateurs qu’elle constitue pour ses manufacturiers et ses entreprises de construction.
Un pays en est la parfaite illustration : l’Éthiopie. Affichant une croissance soutenue depuis près d’une décennie, comptant plus de 100 millions d’habitants – soit la deuxième plus importante population du continent derrière le Nigeria – et stratégiquement située dans la Corne de l’Afrique, elle est devenue l’une des destinations phares des investissements chinois, malgré sa pauvreté en ressources naturelles.
Depuis 2000, elle a été la deuxième plus grande bénéficiaire des prêts chinois en Afrique, recevant des financements pour la construction de barrages, de routes, de chemins de fer et d’usines de manufacture pour plus de 12,3 milliards de dollars, selon les chercheurs de l’université Johns-Hopkins. Cela correspond à plus du double du montant prêté au Soudan, producteur de pétrole, et à la RD Congo, dont le sous-sol regorge de minerais.
Un intérêt diplomatique
Par ailleurs, et c’est peut-être l’aspect le moins bien compris, l’Afrique offre à la Chine un très bon moyen d’étendre son influence géopolitique. « Avoir de bonnes relations avec les 54 pays africains est très important pour la Chine », explique Jing Gu, directrice du Centre pour les puissances émergentes et le développement global à l’université du Sussex, soulignant qu’elle entretient par ailleurs des rapports très tendus avec ses voisins, de Tokyo à Hanoï.
La Chine a utilisé le continent comme une sorte de laboratoire pour ses ambitions internationales croissantes
Pékin compte aujourd’hui 52 missions diplomatiques dans les capitales africaines, contre 49 pour Washington, et est le membre du Conseil de sécurité des Nations unies qui dispose du plus grand nombre de Casques bleus sur le continent, soit plus de 2 000, au Congo, au Liberia, au Mali, au Soudan et au Soudan du Sud.
Selon Jing Gu, spécialiste des questions de développement et consultante pour plusieurs institutions internationales, dont la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, la Chine a utilisé le continent comme une sorte de laboratoire pour ses ambitions internationales croissantes. Et la nature multidimensionnelle de son approche n’est souvent pas reconnue, qu’il s’agisse de ses participations aux opérations de maintien de la paix ou à la construction de routes, de ports et de chemins de fer, destinés à relier le monde en développement à l’empire du Milieu via une nouvelle route de la soie.
Howard French, l’auteur du livre China’s Second Continent, qui retrace l’expérience d’environ 1 million d’entrepreneurs chinois partis s’installer sur le continent, partage cette analyse : « L’Afrique a été un atelier de nouvelles idées qui sont maintenant devenues de grands atouts stratégiques. »
Quelques chiffres l’illustrent : en 2000, le commerce sino-africain était estimé à 10 milliards de dollars, selon la Johns Hopkins School of Advanced International Studies, à Washington. En 2014, il a atteint 220 milliards de dollars, avant de connaître une baisse liée à la chute des prix des matières premières. La Chine contribue à environ un sixième du total des prêts accordés à l’Afrique, selon une étude du John L. Thornton China Center à la Brookings Institution.
Pour beaucoup, la démarche de Pékin s’apparente à un système néocolonialiste dans lequel les entreprises qui extraient des minerais en échange d’infrastructures et de financements de projets agissent comme des intermédiaires pour le gouvernement chinois.
Un avantage pour l’Afrique
Les pays africains ont besoin de commerce et d’investissement. Peu importe d’où cela vient – de Chine, d’Inde, de Turquie, de Russie, du Brésil
Il n’empêche que, d’un point de vue africain, bien qu’il comporte de nombreux risques, le partenariat avec la Chine apporte des avantages tangibles en matière de financement et d’infrastructures.
Et, plus important encore, il offre un choix bienvenu aux gouvernements africains, qui ont développé durant des décennies des relations souvent improductives avec les bailleurs de fonds internationaux. Même si ces derniers ont apporté des milliards de dollars en aide, ils ont également aussi imposé, dans les années 1980 et 1990, des réformes inspirées du consensus de Washington, qui ont été destructrices pour les économies africaines.
« La relation entre les donateurs et les bénéficiaires a considérablement changé avec l’arrivée de la Chine », soutient Dambisa Moyo, économiste zambienne et auteur du livre Dead Aid, publié en 2009 et mettant en cause les liens de l’Afrique avec l’Europe et les États-Unis fondés sur l’aide.
Attractivité de la politique non-interventionniste
« Les pays africains ont besoin de commerce et d’investissement. Peu importe d’où cela vient – de Chine, d’Inde, de Turquie, de Russie, du Brésil –, c’est toujours une bonne nouvelle d’avoir de nouveaux partenaires », ajoute-t-elle. Pour Jeffrey Sachs, le directeur de l’Earth Institute à l’université Columbia, l’enthousiasme de la Chine en Afrique représente même « la plus importante source de développement pour le continent de notre génération ».
Un sondage réalisé par Afrobarometer en 2016 dans 36 pays du continent a montré que, pour 63 % des Africains, l’influence chinoise a été « plutôt » ou « très » positive
De même, la politique officielle non interventionniste de la Chine la rend encore plus attractive pour les dirigeants africains, dont ceux de l’Angola et du Zimbabwe, qui disent en avoir assez de l’attitude de « donneurs de leçons » des anciennes puissances coloniales en matière de droits de l’homme et de démocratie.
À travers le continent, les populations et les décideurs politiques partagent ce sentiment. Un sondage réalisé par Afrobarometer en 2016 dans 36 pays du continent a montré que, pour 63 % des Africains, l’influence chinoise a été « plutôt » ou « très » positive. Et 24 % des personnes interrogées pensent que la Chine présente le meilleur modèle de développement pour l’Afrique, juste derrière les États-Unis, avec 30 % d’avis favorables.
La menace de la dette
C’est toujours la même histoire : la Chine conquiert l’Afrique, mais quel profit en tire l’Afrique ?
Mais un sentiment de malaise persiste à propos de son importance grandissante. « Je pense que les Chinois savent ce qu’ils veulent alors que les Africains, eux, ne le savent pas, estime PLO Lumumba, le directeur de la Kenya School of Law. La Chine veut gagner de l’influence, elle veut être une puissance mondiale ».
Selon lui, les gouvernements africains contractent tellement de dette envers la Chine qu’ils mettent en gage leur indépendance politique et économique. Godfrey Mwampembwa, caricaturiste connu dans toute l’Afrique sous le nom de « Gado », partage la même analyse : « C’est toujours la même histoire : la Chine conquiert l’Afrique, mais quel profit en tire l’Afrique ? » Dans l’un de ses dessins, il représente les leaders africains en lilliputiens secouant leurs mains devant un énorme visage chinois. Avec ce texte : « Nous sommes des partenaires égaux. »
Le Kenya a bénéficié de l’aide chinoise – pour un montant évalué à plusieurs milliards de dollars – ainsi que de leur expertise en ingénierie afin d’améliorer ses infrastructures. Mais dans une interview accordée récemment au Financial Times, le président Uhuru Kenyatta a exprimé son inquiétude au sujet du déficit commercial de l’Afrique face à la Chine.
Il estime cependant que Pékin « commence à comprendre que, pour qu’une stratégie gagnant-gagnant fonctionne, la Chine doit s’ouvrir à l’Afrique comme l’Afrique s’ouvre à elle ». De même, le sentiment des Africains à l’égard des Chinois a évolué.
D’après Howard French, même s’ils ont globalement un a priori positif, l’enthousiasme d’antan a fait place à une certaine réserve. Si les infrastructures sont bien accueillies, l’opinion publique insiste sur la nécessité d’exiger des entreprises chinoises qu’elles emploient plus de main-d’œuvre locale et qu’elle la traite bien.
Selon cet expert, les populations s’indignent également de voir le coût des projets augmenter pour permettre à certains de leurs gouvernements de bénéficier de rétrocommissions. Des soupçons qui pèsent actuellement sur le projet ferroviaire Mombasa-Nairobi, d’un montant de 4 milliards de dollars, inauguré au mois de juin 2017.
Une récente prise en compte de la société civile
Les entreprises chinoises sont aujourd’hui conscientes du problème. Il y a une décennie, elles estimaient que leurs relations avec les gouvernements suffisaient. Désormais, elles comprennent qu’il est indispensable d’échanger avec la société civile et les ONG internationales sur les questions environnementales ou sur le transfert de technologies. Un nombre croissant de ces sociétés communiquent sur la transmission de leur savoir-faire aux Africains.
Par exemple, le géant des télécoms Huawei, qui réalise 15 % de ses revenus sur le continent, forme chaque année 12 000 étudiants en télécommunications dans des centres en Angola, au Congo, en Égypte, au Kenya, au Maroc, au Nigeria et en Afrique du Sud. Selon les chercheurs de Johns-Hopkins, 80 % des employés des projets chinois en Afrique sont des locaux, même si beaucoup d’entre eux occupent les postes à faible niveau de compétence. « Les Chinois ont rapidement progressé, reconnaît Howard French. Ils sont maintenant devenus des joueurs sophistiqués. »
Selon Jing Gu, il est important pour la Chine que sa relation avec l’Afrique apparaisse comme mutuellement bénéfique. « Elle poursuit activement une stratégie d’industrialisation. Au cours des dix prochaines années, elle espère relocaliser sa production manufacturière sur le continent », explique-t-elle.
Selon notre consultante, il est vital que les gouvernements africains reprennent le contrôle de leurs relations avec leurs partenaires étrangers, qu’il s’agisse de l’Occident ou de la Chine. Ce qui signifie établir des priorités, insister sur le transfert des connaissances et négocier selon leurs propres conditions. « Les Africains doivent être clairs et déterminer qui joue quel rôle. C’est à eux de décider, et non pas aux étrangers. »
© Financial Times et Jeune Afrique 2017
Peut mieux faire
Dans un rapport publié le 28 juin, McKinsey prédit un bel avenir aux relations sino-africaines. Le cabinet international de conseil avance deux scénarios. Le premier : si les investissements chinois sur le continent se poursuivent sur le même rythme, les groupes de l’empire du Milieu verront leurs recettes africaines passer de 180 milliards de dollars aujourd’hui à 250 milliards en 2025.
Le second : d’après McKinsey, les entreprises chinoises peuvent significativement accroître leurs activités africaines, que ce soit dans les secteurs qu’elles occupent prioritairement aujourd’hui – les mines et les infrastructures – ou dans d’autres domaines tels que l’agriculture, la bancassurance, les télécoms, les transports et la logistique. Dans ce dernier cas, leurs revenus pourraient atteindre 440 milliards de dollars en 2025
La Chine-Afrique s’invite à Marrakech
Plus de 400 décideurs chinois et africains de haut niveau sont attendus les 27 et 28 novembre à Marrakech dans le cadre de la 2e édition du China-Africa Investment Forum (CAIF).
Au cœur des discussions de cet événement coorganisé par le ministère marocain de l’Industrie et de l’Investissement, Jeune Afrique Media Group et BOAO Business Consulting : les implications financières de la nouvelle route de la soie pour les économies africaines, les solutions à privilégier pour tirer profit de cette nouvelle dynamique et faire du continent une véritable plateforme industrielle
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