Abdel Kader Ouedraogo, profession : ambianceur à New York

À New York, un Burkinabè fait vibrer Harlem by night. Arrivé les poches vides, Abdel Kader Ouedraogo a, en quelques années, créé un festival et ouvert un bar de world music devenu une adresse incontournable.

Ce fana de musique a réquisitionné un ancien local des Black Panthers. © Pascal Perich pour JA

Ce fana de musique a réquisitionné un ancien local des Black Panthers. © Pascal Perich pour JA

Publié le 12 juillet 2017 Lecture : 4 minutes.

Plusieurs fois dans la journée, le Shrine (« lieu de pèlerinage » en français) se remplit. En quelques minutes, un guide le présente comme faisant partie du patrimoine musical et culturel de Harlem, le quartier historiquement afro du nord de New York. Les grappes de touristes s’extasient alors devant les centaines de pochettes de vinyles vintage placardées aux murs et au plafond. Mais le bar est loin d’être un mausolée : il a ouvert il y a seulement dix ans, et on y danse encore toutes les nuits.

Shrine se traduirait donc plutôt ici par « haut lieu ». C’est à partir de 16 heures que les groupes défilent, et l’on voit s’y presser jusqu’à 300 amateurs. « On reçoit tous les jours des centaines d’e-mails d’artistes indépendants qui veulent venir jouer », assure Abdel Kader Ouedraogo, le fondateur. La scène n’est pas seulement afro, mais ce sont bien Tiken Jah Fakoly, Amadou et Mariam ou Alpha Blondy qui s’y sont produits (presque) à l’improviste. Femi Kuti s’y est aussi montré, puisque « Shrine » est évidemment un hommage au mythique club de Fela Kuti à Lagos.

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Solide gaillard de 41 ans, Abdel cite le « Black President » avec Malcolm X et Thomas Sankara parmi ses idoles. Mais son parcours est aussi une ode au « rêve américain » : quand il a débarqué du Burkina Faso en 2001, c’est en effet à la plonge dans un restaurant qu’il a démarré. Et s’il voit alors un lave-­vaisselle pour la première fois de sa vie, cela ne l’empêche pas de poursuivre une idée folle et ambitieuse : le Shrine existe déjà dans sa tête.

Du Burkina à New York

Certes, il part de zéro à New York. Certes, il a vite abandonné l’école et ne dispose pas de talent musical particulier. Certes, il a longtemps gagné « que dalle » à traîner autour des centres culturels de Ouagadougou et à accompagner des musiciens en tournée. Mais « être au milieu des artistes, c’était déjà être au paradis », alors il a décidé de faire de la « promotion culturelle ».

Durant ses premières années américaines, il va donc apprendre l’anglais (en lisant dans le métro et en regardant la télévision), économiser (ne mangeant qu’une fois par jour et se privant de cigarettes), investir (dans une camionnette, pour faire des déménagements) et soigner ses relations (l’un de ses employeurs deviendra son garant).

On rêve de Harlem comme d’une capitale culturelle black, mais à l’époque il n’y avait presque rien pour sortir dans le quartier

Il commence par créer avec des bouts de ficelle un festival de musique, Mafrika – qui vient de tenir sa 11e édition –, puis reprend fin 2006 un ancien local des Black Panthers. Entiché du projet, le propriétaire se fait conciliant, et les astres s’alignent : sur la façade historique, il suffit de retirer un d  au mot « fund » pour afficher une identité, Black United Fun Plaza ; surtout, une importante collection de vinyles abandonnée là est recyclée comme décoration, offrant au lieu un cachet indéniable.

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À écouter Abdel, le Shrine a marché tout de suite. « On rêve de Harlem comme d’une capitale culturelle black, mais à l’époque il n’y avait presque rien pour sortir dans le quartier », explique-t‑il. On s’étonne quand même de la facilité avec laquelle l’enfant de Ouahigouya (grande ville du nord du Burkina Faso) a accompli son rêve : « Je ne sais pas quel sorcier m’a aidé ! » rigole-t‑il à pleines dents.

Une soixantaine d’employés

Aujourd’hui, Abdel « remercie Harlem ». « C’est mon home ! » (« foyer ») dit-il – il parle français, mais le moré est sa langue maternelle. Affable, il semble connaître tout le monde dans la rue, et on devient effectivement son « brother » après quelques mots échangés. Le quartier l’a si bien adopté qu’il y a ouvert, en 2010 et en 2013, deux restaurants, baptisés Katenga et Silvana. « Je paye mes bills [factures]… », dit-il seulement à propos de son succès.

Je soutiens ma famille ici et au pays, mais l’objectif, c’était uniquement d’être dans la musique

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Rémunérant chaque mois une soixantaine d’employés, le « promoteur culturel » est devenu chef d’entreprise – passer du temps avec lui, c’est aussi accepter d’être sans cesse interrompu pour qu’il puisse gérer des problèmes de calendrier ou d’approvisionnement. Et le gamin turbulent qui « vendait des cassettes ou cirait des chaussures devant les dancings », au désespoir de sa famille, d’« origine royale », et surtout de son père fonctionnaire, est désormais un homme casanier restant les soirs de semaine avec sa femme, israélienne, et leurs deux enfants.

S’il ne se voit pas rentrer au Burkina Faso (qu’il aide en y installant des pompes solaires), celui qui a grandi au milieu d’une fratrie de 22 enfants garde pourtant son esprit « communautaire ». Tout le monde présente ainsi le Shrine et ses autres sociétés comme des « entreprises familiales » puisqu’il a fait venir à New York une vingtaine de ses proches – même si certains sont repartis. « Je soutiens ma famille ici et au pays, mais l’objectif, c’était uniquement d’être dans la musique. »

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