Fenêtre de tir chinoise pour la bauxite guinéenne

Le premier producteur du continent est sur les écrans radar de l’empire du Milieu, grand consommateur de ce métal tiré de l’alumine. Mais, s’il veut y rester, il devra rapidement resserrer ses liens avec Pékin.

L’usine d’extraction de bauxite de Fria, en Guinée Conakry (image d’illustration). © Émilie Régnier pour JA

L’usine d’extraction de bauxite de Fria, en Guinée Conakry (image d’illustration). © Émilie Régnier pour JA

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 17 juillet 2017 Lecture : 3 minutes.

L’appétit insatiable de la Chine pour l’aluminium ne se dément pas. Et pour cause : les industries des biens de consommation de l’empire du Milieu, en plein boom, ont toujours davantage besoin de ce métal tiré de l’alumine, elle-même issue du raffinage du minerai de bauxite. Or Pékin vient à manquer cruellement de cette bauxite pour approvisionner ses raffineries et alumineries.

« En 2010, la Chine produisait 16 millions de tonnes d’aluminium. Aujourd’hui, elle est passée à 31 millions de tonnes, soit 53,4 % de la production mondiale. Auparavant, les petites mines locales, éparpillées sur son territoire, suffisaient à fournir ses alumineries. Mais, depuis quelques années, certains gisements se sont taris, leurs coûts d’exploitation ont fortement augmenté, les problèmes environnementaux se sont multipliés, et, surtout, ils n’ont pu suivre les nouvelles cadences de production, d’autant plus que la qualité du minerai chinois est souvent médiocre. Logiquement, les volumes de bauxite importés ont donc explosé », décrypte l’analyste Magnus Ericsson, bon connaisseur de la filière en Afrique comme en Chine.

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La Guinée, cinquième producteur mondial de bauxite et premier du continent – 19,7 millions de tonnes en 2016 –, qui détient le tiers des réserves mondiales connues, est logiquement entrée dans les écrans radar des importateurs et groupes miniers chinois. Un intérêt renforcé par l’annonce des embargos de l’Indonésie et de la Malaisie – ses plus proches fournisseurs de ­bauxite – sur l’exportation de minerais non transformés, pour favoriser l’émergence d’une industrie locale et mettre un terme à des scandales de pollution.

Des rachats peu discrets

Fin 2014, le consortium composé du géant China Hongqiao Group – le premier producteur mondial d’aluminium – associé à Winning International Group et Yantai Port Group a pris une part majoritaire dans la Société minière de Boké (SMB, dans le nord-ouest de la Guinée), dont la production a démarré fin 2015 et qui prévoit d’atteindre un rythme de croisière de 35 millions de tonnes par an.

Et si officiellement Chinalco, autre géant de la filière, s’intéresse essentiellement au mégagisement de fer du mont Simandou (sud-est), qu’il rachète à Rio Tinto, c’est un secret de Polichinelle qu’il convoite aussi les réserves de bauxite dans la zone de Boffa (ouest). Depuis des décennies, la filière bauxite-aluminium en Guinée était dominée par l’anglo-australien Rio Tinto, actionnaire principal de la Compagnie des bauxites de Guinée, basée à Kamsar et Sangarédi, et par Rusal, implanté à Fria.

L’arrivée des Chinois lui a permis de pérenniser des débouchés dans l’empire du Milieu. « Nous avons noué avec la SMB un accord de logistique et de commercialisation qui nous permet de vendre la bauxite directement depuis notre mine, en profitant de ses ports fluviaux et de ses installations de transport, et d’emmener le minerai directement dans les raffineries chinoises », explique Romain Girbal, président d’Alliance minière responsable (AMR), dont le permis d’exploitation jouxte celui de la SMB.

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« Une vingtaine de millions de tonnes de bauxite pourraient être de retour sur le marché »

Reste que l’annonce, début 2017, d’une levée progressive de l’embargo indonésien, sous la pression des lobbys des miniers dans ce pays, fait craindre un impact sur les prix de la bauxite et de l’aluminium, en forte hausse depuis début 2016. « Une vingtaine de millions de tonnes de bauxite pourraient être de retour sur le marché, ce qui orienterait nécessairement les prix du minerai, fixé de gré à gré, à la baisse », estime Magnus Ericsson, alors que les livraisons indonésiennes n’ont effectivement repris que le 26 juin 2017.

« D’ici à la levée totale de l’embargo, les projets extractifs de bauxite en Guinée ont intérêt à produire le plus vite possible et à nouer des partenariats avec des acheteurs présents en Chine », fait valoir Romain Girbal. Selon le patron d’AMR, qui annonce une production de 6 millions de tonnes en 2018, « il y a une fenêtre de tir de trois ans pour les Guinéens, qui peuvent profiter du fait que les raffineries chinoises, notamment celles d’Hongqiao, sont calibrées sur la bauxite guinéenne.

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Ceux qui n’y parviendront pas courent le risque de se voir supplanter par d’autres », avertit-il. Parmi les pays concurrents figurent l’Indonésie et la Malaisie bien sûr, mais également le Ghana, petit producteur de 1,3 million de tonnes en 2016, qui vient de nouer, le 28 juin, un accord avec la Chine pour développer la filière bauxite.

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