Gabon : entre Ali Bongo Ondimba et Jean Ping, le bras de fer judiciaire continue

Une juge d’instruction française a retenu la qualification de « crime contre l’humanité » dans l’enquête sur les violences postélectorales à Libreville. Un rebondissement de plus dans le duel qui s’éternise entre Ali Bongo Ondimba et son opposant Jean Ping.

Une affiche géante représentant le président sortant, la veille de l’élection présidentielle du 27 août 2016. © MARCO LONGARI/AFP

Une affiche géante représentant le président sortant, la veille de l’élection présidentielle du 27 août 2016. © MARCO LONGARI/AFP

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Publié le 14 juillet 2017 Lecture : 8 minutes.

Près d’un an après le scrutin présidentiel gabonais, le conflit postélectoral entre Ali Bongo Ondimba (ABO) et son challenger, Jean Ping, est entré dans une séquence judiciaire inédite. Par magistrats et avocats interposés, chacun des deux rivaux tente de décrédibiliser, d’isoler ou au moins d’affaiblir l’autre.

Sur ce nouveau terrain d’affrontement, Jean Ping vient de remporter une victoire symbolique : le 26 juin, une juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris a en effet retenu la qualification de « crime contre l’humanité » dans le cadre d’une procédure portant sur l’intervention musclée des forces de sécurité gabonaises au quartier général de campagne de l’opposant, dans la nuit du 31 août au 1er septembre 2016.

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Ce soir-là, à en croire la version officielle, des émeutiers protestant contre les résultats de l’élection présidentielle avaient attaqué plusieurs édifices avant de se retrancher à l’intérieur du QG de Ping.

Trois ou quatre personnes auraient été tuées lors de l’assaut, affirment les autorités. « Faux ! » estime-t-on dans l’état-major de l’opposant, où l’on affirme que l’opération aurait causé 29 morts.

Une victoire relative

La plainte à l’origine de ce rebondissement a été introduite en septembre 2016 par un jeune Franco-Gabonais, lui-même arrêté par les forces de l’ordre le 31 août. Dans un premier temps, le procureur du TGI de Paris avait écarté la qualification de « crime contre l’humanité » pour ne retenir que « l’arrestation et la détention arbitraire en bande organisée, la torture et la tentative d’assassinat ».

Mais la juge d’instruction qui a hérité du dossier a pris le contre-pied du procureur, à la grande satisfaction du plaignant. Avocat de la partie civile, Éric Moutet a toutefois le triomphe modeste. « La juge n’a pas à proprement parler reconnu l’existence d’un crime contre l’humanité, elle a voulu dire au procureur qu’en l’absence de toute enquête sérieuse on ne pouvait pas écarter cette qualification, précise-t-il à JA.

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Elle se laisse seulement la possibilité d’enquêter sur cet aspect de la plainte. Mais il ne faudrait pas faire de raccourci et en déduire que la justice française poursuit Ali Bongo pour crime contre l’humanité. On en est encore loin. »

Une vive contestation du côté de l’État

Quel dirigeant aimerait s’afficher avec un chef d’État poursuivi pour crime contre l’humanité ?, se demande un conseiller

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Une mise au point qui n’empêche pas les proches du président gabonais de se dire consternés. À Libreville, on dénonce une machination judiciaire, médiatique et politique, dont l’objectif inavoué est d’isoler ABO.

« Quel dirigeant aimerait s’afficher avec un chef d’État poursuivi pour crime contre l’humanité ? » se demande un conseiller. « Aucun tribunal sérieux ne peut faire prospérer de telles actions », veut croire le porte-parole du gouvernement, dans un communiqué publié le 4 juillet.

Selon lui, la définition du crime contre l’humanité telle que décrite dans le code pénal français ne saurait s’appliquer aux événements des 31 août et 1er septembre 2016.

« Sauf à insulter la mémoire des victimes des heures les plus sombres de l’Histoire (Juifs, Cambodgiens ou Rwandais), les faits évoqués par les avocats du plaignant résultent de procédures classiques de maintien et de rétablissement de l’ordre public gravement menacé par des hordes fanatisées par le discours de haine et de violence d’un homme politique », estime le camp présidentiel.

Il est normal de plaider le crime contre l’humanité, qui est une notion plus large que le génocide

« Ils se trompent volontairement en faisant l’amalgame avec le crime de génocide, commente Éric Moutet. À partir du moment où l’on considère qu’il y a eu une concertation préalable à l’attaque des forces de sécurité, que les douilles ont été ramassées et que les corps ont été escamotés, on est bien dans l’hypothèse d’une planification.

Et quand on cible une catégorie de personnes – en l’occurrence, des opposants réunis dans un quartier général de campagne – et que c’est bien une population civile qui est visée, il est normal de plaider le crime contre l’humanité, qui est une notion plus large que le génocide. »

Courant juillet, la juge devrait convoquer les avocats des parties pour une audition et une confirmation des termes de la plainte. Ensuite, elle devra formuler une demande d’entraide judiciaire auprès des autorités gabonaises et délivrer des commissions rogatoires internationales pour permettre à des enquêteurs français d’enquêter sur place.

Des précédents de contentieux judiciaire entre les deux camps

Un partisan de Jean Ping blessé lors de la manifestation du 31 août 2016, à Libreville. © MARCO LONGARI/AFP

Un partisan de Jean Ping blessé lors de la manifestation du 31 août 2016, à Libreville. © MARCO LONGARI/AFP

Derrière le paravent de ces débats quant à la qualification juridique, cette affaire vient rappeler que le contentieux postélectoral entre les deux hommes – qui n’a toujours pas débouché sur une solution de compromis – a une nette tendance à s’inviter dans les prétoires, y compris hors du Gabon.

Cela a commencé avant même la présidentielle : le 22 octobre 2015, Onaida Maisha Bongo Ondimba, 25 ans, fille du défunt président Omar Bongo et à ce titre l’un de ses 54 héritiers, avait demandé à un tribunal français l’autorisation d’accéder aux registres d’état civil, conservés à Nantes.

Elle entendait consulter l’acte de naissance d’ABO, dont l’opposition contestait alors la filiation. Le 12 novembre suivant, un juge des référés accédait à la demande de l’ayant droit tout en assortissant sa décision d’une interdiction de divulguer le contenu du document.

Le magistrat entendait ainsi éviter à la justice française d’être entraînée malgré elle dans un bras de fer relevant de la politique intérieure gabonaise.

Une procédure qui aurait pu aboutir, si elle avait prospéré, à l’invalidation de la candidature d’Ali Bongo

Peine perdue. Passant outre l’interdiction, l’avocat de la jeune femme (là encore Éric Moutet) s’était empressé de livrer une description de l’acte, dénonçant un « faux », avant d’annoncer son intention d’introduire une plainte contre X.

Une procédure qui aurait pu aboutir, si elle avait prospéré, à l’invalidation de la candidature d’Ali Bongo. Piqué au vif, ce dernier avait contre-attaqué au civil, exigeant réparation de la part d’Onaida Maisha Bongo – qui se trouve être par ailleurs la petite-fille de Zacharie Myboto, un fervent soutien de Jean Ping qui préside l’Union nationale, un parti de l’opposition radicale.

Soucieuses de lever les doutes et de dissiper les rumeurs sur de « prétendus massacres » allégués par l’opposition, les autorités gabonaises saisissent le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI)

La plainte pour « faux » a été classée sans suite le 19 février 2016, mettant un terme à l’affaire des origines « douteuses » d’ABO.

Au lendemain du scrutin, ce sont cette fois les supporters du président tout juste réélu qui se tournent vers la justice. Le 21 septembre 2016, soucieuses de lever les doutes et de dissiper les rumeurs sur de « prétendus massacres » allégués par l’opposition, les autorités gabonaises saisissent le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI).

Du côté du gouvernement gabonais, ces affaires judiciaires sont considérées comme des péripéties dans le cadre de la lutte pour le pouvoir que se livrent Ali Bongo Ondimba et son ex-beau-frère, Jean Ping

Il n’en fallait pas davantage à l’avocat de Jean Ping, Me Emmanuel Altit, pour se lancer à son tour dans la constitution d’un dossier à charge qui a été transmis à la juridiction internationale le 15 décembre suivant.

Mi-juin, le chef de la section « analyse des situations » à la CPI s’est rendu à Libreville afin de tenter d’y voir clair. Pour l’heure, on ignore encore si Fatou Bensouda, la procureure générale de l’institution, se prononcera en faveur de l’ouverture d’une enquête ou optera pour un classement sans suite.

Du côté du gouvernement gabonais, ces affaires judiciaires sont considérées comme des péripéties dans le cadre de la lutte pour le pouvoir que se livrent Ali Bongo Ondimba et son ex-beau-frère, Jean Ping.

Une confrontation sans répit à laquelle Marie-Madeleine Mborantsuo, la présidente de la Cour constitutionnelle – à qui l’opposition n’a jamais pardonné d’avoir tranché le contentieux électoral en faveur du président sortant –, vient de payer son tribut.

Début juillet, RFI annonce qu’un ressortissant gabonais et un observatoire des entreprises, l’un et l’autre domiciliés à Paris, ont saisi quelques jours plus tôt le parquet national financier pour « escroquerie, abus de confiance, faux et usage de faux ».

Selon sa biographie officielle, rapporte la radio, « la magistrate a obtenu une maîtrise de droit en 1979 à l’université Omar-Bongo, avant d’intégrer la magistrature à travers un poste d’auditeur à la chambre des comptes de la Cour suprême ».

Or, selon ces plaignants – pour l’instant non identifiés –, cela n’est pas possible : cette faculté ne formait pas, à l’époque, au-delà de la licence, et l’accès à la magistrature se faisait par concours.

Jointe au téléphone par Jeune Afrique, la magistrate dit n’avoir reçu aucune notification relative à une quelconque plainte.

Mais elle promet de saisir à son tour la justice pour « diffamation » : « Je suis titulaire d’une licence faite en quatre ans [avant le système licence-master-doctorat], qui m’a permis à l’époque d’être admise en DEA de fiscalité et droit constitutionnel à l’université Paris-II. Les archives sont disponibles, ils finiront par vérifier », s’agace-t-elle.

« Jusqu’à un passé récent, [l’école de la magistrature] ne formait que les magistrats de l’ordre judiciaire, et pas ceux de la Cour des comptes, explique-t‑elle. Le gouvernement avait donc recruté de jeunes diplômés comme moi et nous a fait faire des stages de longue durée en France avant de nous intégrer dans la magistrature. Je n’ai rien falsifié ! »

Une intervention judiciaire française et internationale trop sollicitée ?

Ce contentieux aux arrière-­pensées politiques évidentes risque de laisser des traces tant les personnalités attaquées s’estiment « humiliées et diffamées ». Dans le même temps, il met en évidence l’échec des instances de dialogue, ainsi que le déficit de confiance de l’opposition à l’égard de la justice gabonaise – l’estimant, à tort ou à raison, aux ordres du pouvoir.

Reste cette question lancinante, qui se pose aux deux camps : la justice française ou internationale a-t-elle vocation à solder les querelles politiques entre Gabonais ?

Guérilla judiciaire

22 octobre 2015

L’une des filles de feu Omar Bongo introduit une requête en France afin de pouvoir consulter l’acte de naissance d’ABO

27 août 2016

élection présidentielle au Gabon

31 août 2016

proclamation des résultats suivie d’émeutes

26 juin 2017

saisine de la CPI par les autorités gabonaises

26 juin 2017

le TGI de Paris retient le « crime contre l’humanité » après la plainte déposée quelques mois plus tôt par un jeune Franco-Gabonais

4 juillet 2017

RFI révèle qu’une plainte a été déposée contre la présidente de la Cour constitutionnelle

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