Israël : l’autre mur de la discorde
En cédant aux pressions de ses alliés orthodoxes opposés à la création d’une zone mixte de prière au Kotel, Netanyahou s’est attiré les foudres du courant libéral, majoritaire dans le monde juif.
Le Premier ministre israélien a deux manières d’analyser la fracture qu’il vient de provoquer avec la diaspora juive pour préserver ses intérêts politiques. La première apporte sans doute la preuve du lien inaltérable entre le judaïsme et le Mur des lamentations. Or c’est précisément l’attache à ce lieu saint que l’Unesco avait contestée en octobre dernier, dans une résolution qualifiée alors d’« absurde » par Israël. La seconde approche, moins glorieuse, renvoie l’image d’un souverain déchu, notamment auprès d’une grande partie des Juifs américains, qui l’avaient toujours adulé. « Ils comprennent enfin que Netanyahou n’est pas le roi du peuple juif et que s’opposer à lui ne veut pas dire s’opposer à l’État d’Israël », écrit le quotidien Haaretz.
La déception est à la hauteur de la « trahison » ressentie par les tenants, nombreux aux États-Unis, d’un judaïsme libéral, communément appelé réformiste du fait qu’hommes et femmes peuvent le pratiquer d’égal à d’égal. En cause, la volte-face de Netanyahou concernant l’aménagement d’une zone de prière mixte au Mur des lamentations, pourtant approuvé en janvier 2016 par son gouvernement après des décennies de querelle.
Les ultraorthodoxes, un vivier électoral
Ultime vestige du deuxième temple détruit par les Romains au début de l’ère chrétienne, le Kotel est placé sous l’autorité de rabbins ultraorthodoxes qui organisent les prières tout en imposant des règles strictes, en particulier aux femmes, sommées de prier à l’écart, à voix basse, en se couvrant tête et épaules afin de ne pas distraire les hommes.
Pour conforter leur mainmise sur les affaires religieuses, les « hommes en noir » ont bâti des partis politiques influents, forts d’une communauté représentant près de 20% de la population. Ce vivier électoral a largement favorisé leur présence dans les coalitions au pouvoir, de gauche comme de droite, et sert aussi de monnaie d’échange à nombre de leurs revendications.
Ce sont d’ailleurs les chefs des formations Shass et Judaïsme unifié de la Torah qui ont indiqué, le 25 juin, que Netanyahou avait consenti à « geler » ce projet. Ce geste, selon eux, reflète « la volonté de la majeure partie de la nation qui veut sauvegarder le caractère sacré du mur et son statut ». L’accord en question avait été obtenu par l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), le puissant lobby pro-israélien à Washington, au terme de discussions entamées dès le début des années 1990.
En le remettant soudainement en question, Netanyahou prend le risque de se couper de son principal soutien politique. Ainsi que d’une manne financière colossale, puisque les communautés juives américaines financent de nombreuses institutions caritatives de l’État hébreu.
Netanyahou face à un dilemme
« Trop c’est trop, il est temps que le gouvernement israélien comprenne qu’il doit s’adresser au peuple juif dans toute sa diversité », s’est indigné Isaac Fischer, l’une des figures de l’Aipac, qui réclame à présent que lui soit rendu le million de dollars tout juste injecté dans des fonds d’investissement israéliens.
La grogne a également gagné l’Agence juive, qui joue un rôle essentiel auprès de la diaspora et dont les activités sont financées par des philanthropes. « Un retrait de cet accord rendrait notre travail pour rapprocher Israël et le monde juif de plus en plus difficile, prévient Natan Sharansky, président de l’organisation paragouvernementale. Nous ne sommes pas prêts à l’accepter et restons fidèles au principe d’un mur pour un peuple. » Joignant l’acte à la parole, l’Agence juive a annulé un dîner de gala annuel réunissant ses donateurs autour de Netanyahou.
Le Premier ministre israélien se défend d’avoir empêché une avancée historique sur la voie du pluralisme religieux. Mais, en coulisses, il aurait confié à plusieurs responsables de la communauté juive américaine qu’il se trouvait face à un dilemme : céder aux « ultras » ou prendre le risque de perdre sa majorité.
« Netanyahou se retrouve pris au piège de sa propre stratégie, analyse le politologue israélien Emmanuel Navon. Sa coalition ne tiendra pas. Si une autre voit le jour et qu’elle peut se passer des ultraorthodoxes, il y aura obligatoirement une renégociation de l’accord abandonné. Dans le cas contraire, la crise pourrait se durcir. »
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