Bénin : Cotonou secoue les télécoms

Au Bénin, l’État veut accélérer l’émergence d’une économie numérique. Décidé à se désengager du secteur, il entend mettre la pression sur le privé, à grand renfort d’amendes et de rattrapages de redevances.

Rafiatou Monrou, la ministre de l’Économie numérique, sera à la manSuvre pour la mise en place des réformes. © présidence du Bénin

Rafiatou Monrou, la ministre de l’Économie numérique, sera à la manSuvre pour la mise en place des réformes. © présidence du Bénin

Julien_Clemencot Fiacre Vidjingninou

Publié le 24 juillet 2017 Lecture : 5 minutes.

«Au Bénin, la qualité des communications est mauvaise, et les prix sont élevés. Les Béninois ne comprendraient pas qu’on ne fasse rien. Il faut assainir le paysage », assène Serge Adjovi, directeur exécutif du Conseil du numérique. Préparée depuis plusieurs mois, la réforme du secteur des télécoms est entrée dans sa phase active. Très impliqué dans ce dossier, le président, Patrice Talon, compte mettre en place d’ici à la fin de son mandat les conditions préalables au développement d’une économie numérique. En septembre 2016, il en a validé le principe en faisant adopter en Conseil des ministres une déclaration de politique sectorielle.

Le Bénin s’active pour une meilleure numérisation

« C’est un pilier essentiel pour de nombreuses réformes. Peut-on imaginer le fonctionnement d’une couverture maladie universelle sans une connexion internet efficace partout dans le pays ? » plaide Serge Adjovi, ex-cadre de Cisco, qui a travaillé à la mise en œuvre de cette décision présidentielle avec Rafiatou Monrou, ministre de l’Économie numérique et de la Communication.

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Pour donner l’exemple, le gouvernement a frappé un grand coup. Le 21 juin, le Conseil des ministres a annoncé la restructuration des opérateurs publics du secteur.

Bénin Télécoms Infrastructures, propriétaire notamment du réseau national de fibre optique, qui vend la bande passante à l’ensemble des acteurs du marché, va voir ses actifs sains transférés à une société de patrimoine.

Le gouvernement entend ensuite confier leur gestion à un partenaire privé en échange d’un loyer. Bénin Télécoms Services (BTS), spécialisé dans les services de téléphonie fixe et la fourniture d’accès internet, va être mis en vente.

Quant à Libercom, l’opérateur mobile, il sera purement et simplement dissous. « L’État veut arrêter de payer les pots cassés », analyse l’avocat Rémy Fekete, l’un des conseillers du Bénin en matière de télécoms. « Ces entreprises ont une dette cumulée qui dépasse 100 milliards de F CFA [152 millions d’euros] et pas une n’a démontré sa capacité à être rentable », assure Serge Adjovi.

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Asymétrique

Reste à trouver les partenaires privés prêts à s’engager dans ce domaine périlleux. Si la société de patrimoine – qui va disposer fin 2017 de la fibre optique actuellement posée par Huawei – doit trouver après appel d’offres un gestionnaire pour ses infrastructures, la réussite de la privatisation de BTS est plus incertaine. Pour rendre la mariée plus belle, l’opérateur fixe pourrait récupérer les équipements appartenant aujourd’hui à Libercom, voire sa licence mobile. C’est le ministre des Finances, Romuald Wadagni, ancien associé de Deloitte, qui suivra ce dossier.

Le secteur privé va lui aussi être mis à contribution dans ce qui apparaît comme la réforme la plus importante de ces dix dernières années en Afrique de l’Ouest. Pour faciliter l’éclosion d’une nouvelle économie, l’Assemblée nationale a en effet adopté le 13 juin un code du numérique.

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Le texte, parmi les plus innovants du continent, prévoit la pose de fibre optique sur simple autorisation du régulateur, organise le partage d’infrastructures et facilite le développement du commerce en ligne en donnant un cadre à l’identification électronique.

L’État entend également demander plus d’efforts aux opérateurs de téléphonie mobile. Bell Bénin (BBCom), fondé par Issa Salifou et revendu en 2017 à la société nigériane Global Tecomnet, devrait faire le premier les frais de cette nouvelle politique.

Selon nos sources, le Conseil des ministres pourrait valider d’ici quelques semaines la proposition de l’Arcep d’abroger sa licence. L’opérateur – dont le réseau est éteint depuis plus d’un an – n’est pas à jour de ses obligations, notamment financières, et n’a pas répondu aux demandes de mise en conformité qui lui ont été adressées par le gendarme du secteur, dont l’équipe de conseillers a été entièrement renouvelée début 2017.

MTN-Moov en quasi-monopole sur le secteur du mobile

Mais c’est le duo MTN-Moov qui va concentrer ces prochains mois l’attention de l’Arcep et celle de la ministre de l’Économie numérique. Ces géants contrôlent à eux deux 90 % du marché mobile (dont plus de 60 % pour MTN), et selon le gouvernement, l’absence de concurrence ne les pousse pas à offrir les services et les prix les plus intéressants.

« Le pays a besoin d’un troisième opérateur solide », estime Serge Adjovi. Afin d’y parvenir, l’État compte sur le groupe nigérian Glo, qui détient moins de 10 % du marché national.

L’objectif serait de porter cette part à au moins 25 %. En pleine négociation pour l’obtention d’une licence globale, c’est‑à-dire donnant le droit d’utiliser toutes les technologies (3G, 4G et demain 5G), l’opérateur aurait assuré être prêt à faire les investissements nécessaires pour étendre et améliorer son réseau.

Son propriétaire, Mike Adenuga, a rencontré les ministres des Finances et du Numérique le 7 juillet. De leur côté, les autorités pourraient l’appuyer en mettant en place une réglementation asymétrique, le favorisant vis‑à-vis de ses concurrents pour une période limitée.

Bras de fer

Cette perspective ne réjouit pas les deux ténors du marché. Début juillet, MTN a en outre été durement sanctionné pour des défauts de qualité de service observés en 2016. Une amende de 750 000 euros a ainsi été prononcée à son encontre.

« Nous avons porté et nous portons encore à bout de bras l’effort de la digitalisation de l’économie béninoise. Et nous aurions pu faire plus si nous avions obtenu du régulateur les autorisations pour déployer la fibre optique que prévoit la licence », rappelle Euloge Ahouantchede, responsable juridique de l’opérateur.

L’opérateur mobile public Libercom sera purement et simplement dissous

Les attentes des pouvoirs publics font d’autant plus grincer des dents au sein de la filiale du groupe sud-africain qu’il a engagé en coulisses un véritable bras de fer avec le ministère des Finances. Selon le régulateur, MTN Bénin serait redevable d’environ 140 milliards de F CFA au titre des taxes sur les fréquences pour la période courant sur les dix-huit derniers mois, après quatre ans d’exemption.

« C’est un niveau de taxation jamais vu en Afrique de l’Ouest, et ce alors qu’en 2012 la licence ne nous a coûté que 50 milliards de F CFA pour vingt ans », réagit un cadre de l’opérateur.

« L’État est conscient de l’importance de cette somme, mais lorsque des négociations ont été proposées, il y a plusieurs mois, MTN les a refusées », rétorque une source au fait du dossier.

Si rien ne bouge, la filiale du groupe sud-africain promet de porter l’affaire devant la cour d’arbitrage de Paris. L’affaire fait mauvais effet au moment où le gouvernement défend un cadre plus prévisible et propice aux investissements.

Moov règle la note

Contrairement à MTN, Moov, à qui l’État réclamait également un rattrapage pour le paiement de redevances sur les fréquences, a accepté de régler la note. L’opérateur, filiale de Maroc Télécom, devrait payer en trois fois 76 milliards de F CFA (116 millions d’euros). Chez MTN, on se demande pourquoi la facture du concurrent est presque deux fois inférieure alors que les deux réseaux « sont de taille comparable ».

Casse sociale

La restructuration des opérateurs publics concerne 569 salariés. Si les 190 salariés de BTS peuvent encore espérer garder leur emploi en cas de privatisation, les 95 employés de Libercom seront licenciés. Ce sera sans doute aussi le cas de la plupart des 279 salariés de BTI.

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