Télés privées au Maghreb : en Tunisie, trop de télés tuent la télé

Controverses et scandales émaillent le secteur audiovisuel. En cause, le nombre trop important de chaînes, les conflits d’intérêts avec le milieu politique, et une régulation inefficace.

Des Tunisiens devant les programmes d’une chaîne locale (image d’illustration). © Ons Abid

Des Tunisiens devant les programmes d’une chaîne locale (image d’illustration). © Ons Abid

Publié le 27 juillet 2017 Lecture : 5 minutes.

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La révolution des télévisions privées au Maghreb

La libéralisation du secteur de l’audiovisuel a été accélérée par le printemps arabe dans les pays du Maghreb. Apparition de nouvelles chaînes, mises en place de nouvelles règles de régulation, modèle économiques en construction… Jeune Afrique fait le point sur un secteur en pleine évolution au Maroc, en Tunisie et en Algérie.

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Chaque soir, durant le mois de ramadan, qui s’est terminé fin juin, les onze chaînes de télévision privées que compte le pays (sur les treize disponibles) ont rivalisé d’imagination afin de retenir l’attention d’un maximum de Tunisiens pendant l’iftar. Objectif : se tailler la part du lion des recettes publicitaires, un gâteau de près de 80 millions de dinars (28 millions d’euros). En effet, le mois saint représente plus de la moitié des quelque 151 millions de dinars captés annuellement auprès des annonceurs.

Des programmes « abrutissants »

Dans cette course à l’audimat, les téléspectateurs sont de plus en plus nombreux à être décontenancés face à la grille proposée, comme Radhia, préparatrice en pharmacie et téléspectatrice assidue, pour qui « d’année en année les programmes se vident de leur contenu et deviennent abrutissants ».

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Le feuilleton Awled Moufida, diffusé sur El Hiwar Ettounsi, a été emblématique de cette tendance. Sur fond d’imbroglios familiaux et d’humour douteux s’entremêlaient violence, drogue, adultère et intolérance. Beaucoup y ont perçu un triste reflet de la société tunisienne, bien loin de la réalité. Pourtant, la série s’est hissée en tête de toutes les audiences. « Même s’il a été très critiqué, personne n’aurait imaginé louper un épisode, car le lendemain c’était le sujet de conversation numéro un », explique Radhia.

Le nombre de chaînes est trop important par rapport aux revenus publicitaires

L’attitude des chaînes pendant le mois de ramadan est symptomatique d’un secteur qui se porte mal : toutes les télés privées (la plupart ont été créées après la chute de l’ancien régime en 2011, à l’exception de Hannibal TV et de Nessma) connaissent des difficultés financières.

Pour les experts de l’audiovisuel, trop d’autorisations ont été accordées. Un avis partagé par l’universitaire Rachida Ennaifer, ex-membre de la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) : « Le nombre de chaînes est trop important par rapport aux revenus publicitaires censés les faire vivre. Le Conseil de la concurrence aurait dû intervenir. »

Surenchère dans la controverse

Cette situation pousse les chaînes à proposer des programmes aussi controversés que le comportement – et l’éthique – de certains de leurs animateurs. Parmi les personnalités sulfureuses, Alaa Eddine Chebbi, habitué des sujets aussi sensibles que celui du mariage forcé pour des mineures violées. C’est à ce titre qu’en octobre 2016 il défraie la chronique. Après avoir « mis en doute le viol » d’une Tunisienne mineure et « fait porter à l’enfant la responsabilité de ce qui s’est passé », il a vu son émission Andi Mankolek suspendue pendant trois mois par la Haica.

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Il a également appelé la jeune fille « à se marier avec son violeur ». En juin, c’est le présentateur Samir el-Wafi, très proche d’hommes d’affaires et de responsables politiques, qui est arrêté, soupçonné d’avoir reçu des pots-de-vin de la part de certaines personnes en échange d’une promesse d’intervenir en leur faveur grâce à son réseau.

Samir el-Wafi avait été condamné à trois mois de prison ferme en avril 2015 pour avoir tenté d’extorquer de l’argent à Hamadi Touil, un homme d’affaires lié à l’ancien régime et réfugié en France. Il lui avait promis une émission pour le blanchir ainsi que l’utilisation de ses relations pour intervenir auprès des juges et de certains hommes politiques.

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Loi de la jungle

Ces comportements ont mis à nu une frontière ténue entre politique, business et télés. « L’absence de régulation entre 2011 et 2013 a instauré une loi de la jungle qui a permis, avec une instrumentalisation politique et des financements opaques, l’existence d’acteurs circonstanciels, comme les chaînes TNN, Al Qalam TV ou Al Moutawassat », souligne Thameur Mekki, journaliste et observateur des médias.

L’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric) avait pourtant transmis à la Haica en 2012 un rapport et un cahier des charges susceptibles de créer des bases de transparence et d’éthique. Mais ce ne fut pas le cas. Certains se souviennent que Tahar Belhassine, ancien patron d’Elhiwar Ettounssi, était membre de Nidaa Tounes, tout comme Ridha Charfeddine, chef d’entreprise, élu de Nidaa Tounes et actionnaire d’Attessia TV.

Volonté d’assainir le secteur

La loi sur le financement des partis politiques, qui interdit depuis 2014 à un patron de média d’être adhérent d’un parti, a également tenté d’assainir ces liens entre politique et médias, mais l’opacité demeure. La nomination, en mars 2017, de Borhane Bsaies, journaliste vedette d’Attessia TV, au poste de chargé des affaires politiques de Nidaa Tounes, est un des derniers exemples en date de ce mélange des genres.

Selon un rapport de l’association Yakadha, signé par la journaliste Mouna Mtibaa, la mise en place d’un nouveau paysage politique après la révolution de 2011 et les défis électoraux qui ont émaillé la transition jusqu’en 2014 ont donné l’occasion à un milieu d’affaires proche également de la sphère politique d’investir dans les médias.

Ainsi, le mode de financement est-il le cœur du problème ? La Haica doit-elle faire preuve de plus de vigilance et de sévérité ? Assurément, selon Rachida Ennaifer, qui regrette que la loi relative aux instances constitutionnelles, dont fait partie la Haica, ne s’attaque pas au problème et prévoie même de mettre « les instances sous le contrôle de l’Assemblée des représentants des peuples (ARP), qui pourra user comme bon lui semble de son droit de révocation des membres. La loi ne permet de réguler qu’a minima le contenu des programmes et, surtout, occulte d’autres aspects importants comme le financement. On revient à une zone de non-droit qui primait avant 2011 ».

La Haica pointée du doigt

La Haica est pointée du doigt pour avoir échoué dans ses missions, à savoir réguler les comportements inappropriés et exiger l’indépendance des médias. À quelques exceptions près, comme pour l’émission Andi Mankolek, les patrons de chaîne ne font ouvertement pas grand cas des sanctions prononcées par la Haica. Un affront permanent qui interroge aussi sur la position de l’exécutif, celui-ci feignant de souhaiter une régulation mais, pour des questions d’intérêts partisans et de défiance par rapport aux médias, s’y montrant finalement hostile.

« La régulation n’est pas une idée technique mais émane d’une approche politique. Le gouvernement ne croit pas à la régulation. Il l’a organisée pour finalement la saper avec une rhétorique et des arguments néolibéraux qui font l’amalgame entre liberté d’expression et d’entreprendre », conclut Thameur Mekki.

Une absence de volonté politique, une régulation molle et des finances en souffrance mettent sous pression des chaînes qui n’hésitent pas à s’en prendre aux agences de médiamétrie. Plutôt que de reconsidérer la qualité de leurs programmes.

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