L’offensive africaine de Google
De la formation à la production de smartphones à bas coût en passant par le développement d’infrastructures numériques, le géant californien est sur tous les fronts de la connectivité sur le continent. Tout en veillant à la rentabilité de ses investissements.
Devant le centre communautaire de Kajiado, au sud de Nairobi, des groupes de jeunes Kényans se regroupent autour de haut-parleurs relayant le rythme d’un bongo. Ils discutent tout en gardant un œil sur leur téléphone. Cent vingt chômeurs – âgés d’une vingtaine d’années et, pour la plupart, diplômés d’université – attendent le début d’une formation proposée et organisée par Google.
« Nous leur apprenons à utiliser les différents services offerts par l’entreprise et à se faire connaître sur le web, explique Ted Odera, formateur web de 25 ans. Certains veulent lancer leur marque, d’autres souhaitent trouver un emploi. »
Le jeune homme estime à 8 000 le nombre d’étudiants qu’il a formés l’an dernier. John Mwangi, chômeur de 24 ans et diplômé, explique qu’il s’est inscrit à la formation après avoir reçu un texto lui assurant qu’il pouvait toucher 200 dollars (175 euros) par jour en travaillant en ligne. « Au Kenya, le numérique est en pleine expansion. Et je veux trouver un travail dans ce secteur », confie-t-il.
Plus d’un million d’Africains auraient déjà suivi ce programme nommé Digital Skills for Africa
Alphabet, la maison mère de Google, dont le chiffre d’affaires a atteint 90,3 milliards de dollars en 2016, a sponsorisé la formation. Plus d’un million d’Africains auraient déjà suivi ce programme nommé Digital Skills for Africa (« compétences digitales pour l’Afrique ») entre avril 2016 et mars 2017, principalement au Kenya, au Nigeria et en Afrique du Sud.
Le géant américain espère ainsi recruter les nouveaux utilisateurs de sa messagerie ou de son moteur de recherche. Son objectif est d’en conquérir un milliard dans le monde d’ici à 2020.
Évangélisation numérique
L’Afrique subsaharienne est l’une des régions les plus propices pour les recruter. Google estime qu’il y aura 500 millions d’internautes en Afrique d’ici à 2020, quand ils n’étaient que 100 millions fin 2010.
Pour Luke Mckend, directeur de l’entreprise pour l’Afrique du Sud, l’évangélisation numérique des populations est une étape cruciale. « Avoir plus d’internautes est une bonne chose pour nous, mais aussi pour la croissance des emplois en Afrique », affirme Caroline Atkinson, directrice de la politique internationale de Google.
À la recherche de nouveaux territoires
Bien que le groupe de Mountain View se classe devant tous les autres moteurs de recherche et que sa messagerie Gmail compte un milliard d’utilisateurs, sa croissance à l’échelle mondiale ralentit. Dans un pays stratégique comme la Chine, sa part de marché n’est que de 10 %, quand son principal concurrent, Baidu, rencontre un net succès.
« Étant donné que la pénétration d’internet dans les marchés matures est quasi totale, Google doit se concentrer maintenant sur de nouveaux territoires, explique Jan Dawson, chef d’analyse à Jackdaw Research. Google tout comme Facebook doivent absolument se poser la question de savoir comment avoir plus d’utilisateurs en ligne et de quelle manière procéder pour y parvenir. »
Concurrence
Les décisions que va prendre Google sont d’autant plus importantes que Facebook, l’un de ses principaux concurrents, a lui aussi décidé de passer à l’action sur le continent.
L’entreprise de Mark Zuckerberg s’est associée avec des plateformes numériques telles qu’Ericsson, Nokia, Samsung, MediaTek et avec des logiciels tels qu’Opera pour développer le programme internet.org, qui permet aux utilisateurs des pays en développement d’accéder sans frais de connexion à une sélection de sites depuis leur téléphone.
En Afrique, Airtel est l’un des principaux opérateurs partenaires de cette initiative. Fin 2016, internet.org avait attiré 40 millions d’utilisateurs dans le monde.
Coût d’accès à internet
Pour faire de l’Afrique un relais de croissance, Google ne mise pas uniquement sur la formation. Tout comme ses concurrents, le groupe s’attelle à réduire le coût d’accès à internet.
En 2013, il a pris les devants avec le projet Link (« lien »), qui consistait à construire un réseau en fibre optique à Kampala et dans l’ancienne capitale ougandaise Entebbe. En 2015, il a complété ce dispositif en ajoutant des points d’accès au wifi.
À charge ensuite pour les fournisseurs d’accès internet et les opérateurs locaux partenaires de revendre la bande passante. Le succès de cette expérience a poussé Google à étendre le projet Link au Ghana, dans les villes d’Accra, de Tema et de Kumasi. Plus de 1 600 km de fibre ont ainsi été posés dans les deux pays.
Rentabilité
Si elle croit au potentiel africain, l’entreprise américaine n’en surveille pas moins ses finances. Le projet, finalement renommé CSquared, a été conçu pour être financièrement rentable.
C’est d’ailleurs dans cette optique que Google a créé une société pour le piloter et ouvert son capital à trois partenaires : la société d’investissement Convergence Partners, la filiale de la Banque mondiale consacrée au secteur privé IFC et le conglomérat japonais Mitsui.
Ensemble, ils ont apporté 100 millions de dollars, qui pourront être investis dans de nouveaux déploiements. Une somme inférieure, selon nos informations, aux 250 millions de dollars initialement envisagés, qui devaient permettre d’intervenir dans huit pays.
Démocratisation de l’accès aux smartphones
Parallèlement, Google entend aussi participer à la démocratisation de l’accès aux smartphones sur le continent. « L’un de nos principaux défis est de réfléchir à la manière de nous adresser à des gens qui utilisent principalement leur téléphone pour surfer », explique Luke Mckend.
Selon l’entreprise, si 90 % des internautes en Afrique se connectent depuis leur mobile, seulement 12 % des Africains ont accès à un smartphone. Baisser le coût de ces appareils est donc une étape cruciale.
Smartphones à petits prix
Lancée en 2014, l’initiative Android One, qui visait à produire des smartphones à bas coût pour les pays émergents, n’a cependant pas apporté les résultats escomptés.
Les prochains modèles de cette gamme pourraient d’ailleurs être commercialisés plutôt aux États-Unis, avec un positionnement d’entrée de gamme. Mais Google ne renonce pas à jouer un rôle dans ce domaine en se concentrant sur l’amélioration de ses applications pour les adapter à des smartphones premier prix.
Dans la même veine, le groupe américain a passé un accord fin 2016 avec le fabricant de téléphone sud-africain Onyx Connect afin d’autoriser l’utilisation de son système d’exploitation Android et de son navigateur Chrome.
Le partenaire de Google a obtenu le droit de nettoyer Android de toutes les applications qu’il juge superflues pour limiter le besoin en mémoire. Vendu 30 dollars, le premier modèle devait être produit à partir du mois de juin.
Impact limité
Si le géant californien a multiplié les initiatives en Afrique, leur impact reste néanmoins limité. Un résultat qui, au-delà des discours des communicants, traduit une stratégie où l’Asie et en particulier l’Inde jouent un rôle plus important.
Bien que Google commente peu ses activités commerciales – son chiffre d’affaires est confidentiel – et préfère mettre en avant ses formations, il semble que les bureaux du Nigeria et du Kenya aient fait depuis un moment de la vente d’annonces commerciales leur principal sujet d’intérêt.
Notre plus grande source de revenu reste de loin la publicité
Ils se sont ainsi alignés sur le modèle adopté en Afrique du Sud et partout dans le monde. « Notre plus grande source de revenu reste de loin la publicité », confirme Luke Mckend.
Le départ du Sénégalais Tidjane Deme en mai 2016 pour la société d’investissement Partech Ventures a en outre privé Google de son plus fervent évangéliste technologique.
Basé à Dakar, il était chargé du projet Link et s’est largement impliqué dans des missions de conseil prodiguées gracieusement aux gouvernements, en plus de son rôle de représentant du groupe en Afrique francophone. Et, à ce jour, il n’a pas été remplacé poste pour poste.
Écosystème numérique
Sur le terrain, les décideurs politiques continuent néanmoins de croire en la capacité du géant américain à appuyer l’émergence d’un écosystème numérique.
« Nous sommes partenaires de Google dans la création de connaissance pour les métiers du web, confie par exemple Haron Kertich, un cadre du ministère kényan de la Fonction publique, de la Jeunesse et du Genre. »
Au centre communautaire de Kajiado, l’étudiant John Mwangi a apprécié la formation délivrée par Google, même s’il est conscient du but visé. « Pour eux, c’est du business, estime-t-il. Leur objectif est uniquement d’attirer plus d’utilisateurs. »
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