Un crève-cœur algérien

«Ces étrangers en séjour irrégulier amènent le crime, la drogue et plusieurs autres fléaux. » L’auteur de cette nauséabonde saillie ? Jean-Marie ou Marine Le Pen ? Donald Trump ? Geert Wilders ? Que nenni… Il s’agit d’Ahmed Ouyahia, ministre d’État et directeur de cabinet du chef de l’État algérien, Abdelaziz Bouteflika.

Ahmed Ouyahia, ex-Premier ministre de l’Algérie. © Paul Schemm/AP/SIPA

Ahmed Ouyahia, ex-Premier ministre de l’Algérie. © Paul Schemm/AP/SIPA

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Publié le 17 juillet 2017 Lecture : 3 minutes.

Un homme respectable et réputé intègre, plusieurs fois Premier ministre, patron de la deuxième force politique, le Rassemblement national démocratique (RND), qui compose, avec le Front de libération nationale (FLN), l’alliance présidentielle. Le profil même de ce que l’on appelle un bon commis de l’État, qui a su mener, lorsqu’il dirigeait le gouvernement, des politiques impopulaires mais jugées indispensables, fût-ce au prix de ses propres ambitions. Il en a conservé d’ailleurs une réputation de père Fouettard algérien. Rappelons également qu’Ouyahia a été l’ancien patron du département Afrique du ministère des Affaires étrangères, puis le « Monsieur Afrique » au sein du gouvernement, au début des années 1990.

Quelle mouche l’a donc piqué ? Car il ne s’agit pas là d’un dérapage, d’une petite phrase prononcée sans savoir qu’un micro était ouvert ou capturée par un smartphone indélicat. Elle a été parfaitement assumée, devant les caméras de la télévision privée Ennahar TV, le 8 juillet. Pis, l’état-major du parti a ensuite assuré le service après-vente. Le porte-parole du RND, Seddik Chihab, s’est même fendu d’un délicat « ce n’est pas Amnesty International qui va nous dicter notre conduite », avant que son chef n’enfonce le clou : « Quand on me parle de droits de l’homme, je dis : “Nous sommes souverains chez nous !” »

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Il est vrai qu’en Algérie on ne badine pas avec ce sacro-saint principe… Deux jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, ajoutait, en des termes certes moins violents : « L’immigration clandestine africaine menace la sécurité nationale. » Rien que ça… Quelques semaines auparavant, nous avions assisté, médusés, à une détestable campagne sur les réseaux sociaux dont le hashtag était « Non aux Africains ! ».

Contradictions

À Alger, on n’est pas à un paradoxe près. On marche même parfois sur la tête. Car, juste avant cette séquence atterrante – ceci explique peut-être cela –, le gouvernement du nouveau Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, avait annoncé son intention d’élaborer une loi sur le droit d’asile et les migrants. Le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui, a même présenté les réfugiés « venant de pays en butte à des conditions difficiles comme des invités qu’il faut prendre en charge sur les plans médical, social et psychologique ». Et proposé « le lancement d’un recensement et la délivrance de permis de travail dans les secteurs manquant de main-d’œuvre tels que les travaux publics, l’agriculture ou la pêche ».

Message et décisions, eux, salutaires. A fortiori dans un pays qui ne brille pas par son traitement de la problématique, migrants comme réfugiés étant souvent abandonnés à leur sort, voire expulsés en plein désert, comme on se débarrasse de ses encombrants sur le trottoir.

C’est le Maroc qui, aujourd’hui, a remplacé une Algérie de plus en plus recroquevillée sur elle-même

Entre l’Algérie et l’Afrique subsaharienne, même si cela peut paraître étonnant aujourd’hui, les liens sont pourtant étroits, anciens et indéfectibles. La guerre de libération (1954-1962), qui inspira tant de vocations indépendantistes sur le continent, l’implication majeure d’Alger dans la résolution de conflits et le maintien de la paix, sans oublier l’aventure tiers-mondiste des années 1960 et 1970 et les kyrielles de futurs cadres subsahariens passés par les bancs des facultés et écoles algériennes, – en sont les illustrations les plus connues.

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Tout cela n’est plus, hélas, qu’un lointain souvenir. C’est le Maroc qui, aujourd’hui, a remplacé une Algérie de plus en plus recroquevillée sur elle-même et peu ouverte sur l’Afrique subsaharienne. Un véritable crève-cœur pour tous les amoureux de ce pays décidément pas comme les autres.

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