« Plan Merkel » ?
Un analyste n’est digne de ce nom et ne mérite votre confiance que s’il se garde de toute subjectivité. Il sait qu’il ne doit pas céder au sentiment ambiant et qu’en aucun cas il ne « hurlera avec les loups ».
Il sait également que le temps du politique est beaucoup plus long qu’il ne devrait être. Il sait, enfin, que le passage du discours à l’acte est incertain ; s’il se concrétise, c’est, en général, plus tard qu’on ne le pense.
Je me faisais ces réflexions à la lecture de la déclaration commune des chefs d’État du G20 réunis à Hambourg les 7 et 8 juillet. Ce qu’elle annonce, les décisions prises se traduiront-elles un jour dans les faits ? Dans combien de temps ? Celles et ceux qui les ont prises seront-ils encore au pouvoir ?
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S’agissant de l’Afrique, peu ou pas représentée à ce G20 présidé par la chancelière d’Allemagne, Angela Merkel, les participants ont promis :
« Un partenariat et des efforts communs pour la croissance économique et le développement, afin de répondre aux aspirations des peuples africains et de créer des emplois pour les jeunes et les femmes en particulier, pour atténuer la pauvreté et les inégalités, sources de l’émigration. »
C’est là un propos général dont on peut dire qu’il n’engage que ceux qui y croient. Car il risque fort de ne pas être suivi d’effet. Et s’il l’est, ce ne sera pas de sitôt.
Il ne s’est agi, pour le moment, que de l’esquisse d’une prise de conscience. Les dirigeants africains qui croient qu’elle se concrétisera à partir de l’année prochaine courent au-devant d’une grave désillusion.
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La dure réalité est la suivante :
1) L’Afrique et l’Europe ont toujours été et resteront de proches voisins. Le « gap » de développement entre les deux continents existe depuis cinq siècles et n’a fait que se creuser avec le temps.
2) L’Europe a colonisé l’Afrique, en a fait sa possession et s’est rendue maîtresse de son destin pendant des décennies, voire des siècles. Mais elle ne s’est jamais résolue à s’attaquer, pour le réduire, à ce fossé qui la sépare des pays qu’elle avait conquis.
3) La guerre de 1939-1945 et ses lendemains ont contraint les Européens à lâcher prise. Lorsqu’ils ont battu en retraite, ils ont livré les Africains à eux-mêmes.
Un Premier ministre français de droite, Édouard Balladur, et son successeur de gauche, Lionel Jospin, ont même confié « le fardeau de l’homme blanc » qu’était à leurs yeux le continent africain à la Banque mondiale et au FMI.
4) Leurs successeurs n’ont compris que cette Afrique, qu’ils avaient crue « sans avenir et sans espoir », était une « terre d’opportunités » que lorsque la lointaine Chine s’y est intéressée, y a pris pied et s’est mise à exploiter les richesses de son sous-sol.
Devant le flux d’Africains rejetés par la pauvreté vers leurs côtes, ils commencent à prendre conscience que le « gap » de développement entre les deux continents, qu’ils avaient ignoré, est tout autant leur problème que celui des Africains.
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Je ne cède à aucune acrimonie en faisant ce rappel, car je sais que les Américains des États-Unis n’ont pas mieux géré leurs relations avec l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud. Ni même avec leurs voisins mexicains, qui sont, comme eux, des Américains du Nord, mais hispaniques.
Ils ont superbement ignoré le sud de leur continent et s’emploient aujourd’hui à contenir l’émigration vers leur pays de ces Latinos qui, par millions et au prix d’énormes difficultés, franchissent l’espace, le temps et les frontières qui les séparent de l’Amérique du Nord.
En revanche, pour des raisons idéologiques, à la faveur du célèbre plan Marshall, les États-Unis ont résolument aidé l’Europe à se reconstruire après la guerre qui l’avait dévastée ; plus tard, ils aideront Taïwan à se développer pour faire face à la Chine, et la Corée du Sud à se moderniser pour contrer la Corée du Nord.
Ils ont consacré beaucoup d’énergie et des dizaines de milliards de dollars à ces aides. Ils ont montré ce faisant que, aussi doués et travailleurs qu’ils soient, les peuples ont parfois besoin d’aide et d’investissements pour rattraper l’immense retard qu’ils ont pris. Ils ont besoin d’être aidés, mais l’essentiel de l’effort et des sacrifices leur incombe…
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Les participants au G20 savent que l’Europe a quitté l’Afrique il y a plus de cinquante ans en la laissant sans industrie et que, en 2017, la moitié des Africains ne bénéficient même pas de l’électricité. La tâche est donc immense, et il faudra plusieurs décennies pour la mener à bien.
On a parlé d’un nouveau « plan Marshall » pour aider les Africains à l’accomplir. Mais, l’Amérique de Donald Trump ne portant aucun intérêt à l’Afrique ni même à l’Amérique latine, il ne pourra s’agir que d’un « plan Merkel », si toutefois la chancelière d’Allemagne parvient à mobiliser l’Europe.
Celle-ci ne passera que très lentement du stade de la prise de conscience à celui de l’action. Elle mettra plusieurs années à se décider à agir et quelques autres à rassembler les moyens humains et financiers d’un tel plan. Les Africains ne doivent donc pas s’attendre qu’on vole à leur secours. On ne les aidera que s’ils s’aident eux-mêmes et se prennent en charge.
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Les pays européens qui ont, à la fin des années 1940, accepté le plan Marshall se sont reconstruits à la force du poignet : ils n’ont considéré l’aide financière américaine, qui a été massive, que comme un appoint.
Il en a été de même pour Taïwan et pour la Corée du Sud : les Américains ont déversé de l’argent sous forme d’investissements et de dons. Les Taïwanais et les Coréens ont utilisé cet apport comme les paysans la pluie : il leur a permis de voir germer et de récolter ce qu’ils ont semé.
Le plan Merkel ne démarrera, avec de bonnes chances de réussite, que lorsqu’on sentira, en Europe comme en Afrique, que les Africains se sont préparés à rattraper leur retard avec ou sans l’aide européenne. Cette dernière ne sera effective et ne pourra être utilisée à bon escient que si nous sommes prêts à la recevoir et à en faire bon usage.
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