André Yoka : « Les jeunes de Kin font changer les mentalités »

Kinshasa est débordante de vie, bien moins violente et beaucoup plus ouverte sur le monde qu’on ne le dit. L’écrivain observe l’évolution de sa capitale, qui a passé le cap des 12 millions d’âmes.

Andre Yoka. © Baudouin Mouanda pour JA

Andre Yoka. © Baudouin Mouanda pour JA

Arthur_MaluMalu

Publié le 2 août 2017 Lecture : 5 minutes.

Des enfants congolais s’entraînent à la boxe au stade Tata Raphael à Kinshasa, capital de la République démocratique du Congo, lieu mythique ou s’est déroulé le « combat du siècle » entre Mohamed Ali et Georges Foreman le 30 octobre 1974. © Gwenn Dubourthoumieu pour JA
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La RDC, hors normes

Un échiquier politique illisible, des élections qui une fois encore risquent d’être reportées, une dépression financière sans précédent… Face aux incertitudes auxquelles ils sont confrontés, les Congolais semblent pourtant ne pas se résigner.

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Kinshasa est en pleine mutation et, avec l’ouverture des jeunes générations sur le monde, grâce notamment aux réseaux sociaux, se dessinent les contours de la RD Congo de demain. Les traditions, les habitudes et les codes sociaux changent, les lignes bougent. L’intellectuel et écrivain André Lye Mudaba Yoka, 69 ans, analyse les évolutions marquantes de sa Kin natale. Une ville pleine d’énergie, qui n’arrête pas de grandir, qui ne dort que très peu, et où Dieu n’est jamais très loin.

Jeune Afrique : Quelles sont les conséquences de l’explosion démographique de Kinshasa, provoquée notamment par l’arrivée de dizaines de milliers de réfugiés en provenance de l’est du pays ?

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André Yoka : Nous voyons de plus en plus de jeunes couples constitués de conjoints issus de différentes régions du pays. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est considérablement accentué ces dernières années. Certains politiciens cyniques cherchent à attiser les tensions en brandissant la question ethnique. Malgré tout, Kinshasa reste une ville détribalisée, où l’élément ethnique n’est pas présent dans les relations humaines.

Par ailleurs, malgré ses 12 millions d’habitants, la capitale affiche un taux de criminalité très faible et, si la violence existe, elle reste plutôt contenue. Rien à voir avec la situation de métropoles comme Lagos ou Johannesburg. Ici, il existe une telle énergie, un tel enthousiasme, une telle passion de vivre que les choses se passent différemment. Comme le dit Koffi Olomidé : « C’est comme un enfer, il y a le feu, mais nous ne brûlons pas. »

À quoi rêve la jeunesse kinoise ?

Les jeunes disposent tous de leur téléphone mobile, ils surfent sur internet, utilisent les applications en vogue pour communiquer. Ils sont parfaitement au fait de ce qui se passe dans le monde. C’est vrai, ils s’expriment très mal à l’écrit, comme une conséquence de la modernité. Mais ils ont acquis une grande maturité. Ils œuvrent au changement des mentalités, grâce aux réseaux sociaux, qui ont largement contribué à la propagation de nouvelles idées et à la promotion de la conscience civique. Les jeunes sont formés et désormais informés.

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C’est une tendance lourde qui a des effets bénéfiques, puisque les jeunes sont, par exemple, bien plus impliqués dans le combat politique. De nouvelles formes d’entraide sont également apparues dans les quartiers. La société civile est globalement plus éveillée, mieux structurée qu’avant, et se penche sur les enjeux de demain.

Est-ce que tout cela a des conséquences sur la pratique religieuse à Kinshasa ?

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La pauvreté a fait émerger des Églises dites « de réveil » [évangéliques], qui distillent un discours de prospérité clés en main. J’ai cependant observé des va-et-vient insolites entre ces institutions, d’une part, et les Églises « habituelles », de l’autre. Les pasteurs de ces Églises d’un nouveau genre se faisaient ouvertement la guerre, avec, en toile de fond, des querelles d’argent et des rivalités politiques.

Hormis les bars et les églises, il n’y a plus de lieux où passer du temps ensemble

Finalement, de nombreux fidèles, se sentant floués, reviennent vers les églises catholique ou protestantes traditionnelles [luthériennes, anglicanes, méthodistes, etc.]. Cette situation a entraîné ces dernières années le recul des Églises de réveil, qui souffrent d’une vraie désaffection. Même leurs plus zélés fidèles finissent par s’en détourner.

Quelle est globalement l’image de ces pasteurs dans l’opinion publique ?

Les pasteurs, avec leurs excès, leurs aventures extraconjugales, leurs prétendus miracles et leur âpreté au gain sont des sources d’inspiration inépuisables pour les humoristes. Le fait que les pièces de théâtre satiriques s’attaquent à ces icônes d’hier contribue à l’éveil des consciences. Les campagnes publiques d’évangélisation n’attirent plus autant de monde qu’il y a une dizaine d’années, et je ne vois plus aucun pasteur capable de remplir un stade.

Par ailleurs, il est important de souligner que le champ des loisirs s’est rétréci. À une époque, nous avions le moziki [association d’entraide qui organise des cérémonies festives], les bars, les bars-dancing, les cinémas, les combats de libanda [lutte traditionnelle] sur la place publique, etc.

De tout cela il ne reste plus grand-chose qui puisse être considéré comme un endroit où on peut passer du temps ensemble, dans sa communauté, hormis les bars et les églises. On va à l’église et, à la fin de la prière, on se retrouve à la terrasse… D’ailleurs, les lieux de prière et les bars sont parfois contigus.

Autre temps fort de la vie des communautés : l’organisation des veillées mortuaires. Est-ce toujours le cas ?

Les rites funéraires changent. Les conditions d’inhumation se sont nettement améliorées : les cimetières nouvellement construits offrent des services de meilleure qualité, même s’ils coûtent plus cher ; les dépouilles ne vont plus au domicile familial avant l’enterrement ; les cercueils sont exposés dans des lieux publics. Ce sont des lieux de démonstration, de rencontre, de convivialité. Le « public » s’y présente bien habillé et danse, comme pour une fête.

Certes, quelques jeunes des quartiers populaires se livrent parfois à des pratiques obscènes lors de veillées mortuaires, mais de tels agissements restent circonscrits à quelques communes excentrées de l’agglomération kinoise.

Et qu’en est-il vraiment du phénomène des « enfants sorciers », ces enfants boucs émissaires, accusés de sorcellerie, qui se retrouvent dans la rue, maltraités ?

Il est en perte de vitesse, grâce au remarquable travail des ONG. Les artistes mobilisés autour de cette cause ont récolté un succès incontestable dans leur campagne de lutte contre ce fléau. D’immenses progrès ont été réalisés, même s’il reste beaucoup à faire. Les droits de l’enfant sont de mieux en mieux protégés et il y a des acquis à consolider.

Plus généralement, les médias étrangers ont encore tendance à braquer leurs projecteurs sur les phénomènes des enfants sorciers, des enfants soldats, des femmes victimes de violences, etc. Mais ces médias, en quête de sensationnel, amplifient tout, avec un effet paradoxal qui est la banalisation. Ils ont les yeux constamment rivés sur ces sujets, comme si notre pays avait le monopole de ce genre d’événements. Je ne suis pas dans le déni, mais ces phénomènes ne sont pas traités à leur juste proportion. Pourtant, les sujets à la mode ne manquent pas ici. Il suffit de chercher et de se renseigner pour en trouver !

Bibliographie sélective d’André Lye Mudaba Yoka

Le Fossoyeur (nouvelles), éd. Hatier, Paris, coll. « Monde noir », 1977

Tshira (théâtre), éd. Lokolé, Kinshasa, 1984

Destins broyés (nouvelles), éd. Médiaspaul, Kinshasa, 1991

Lettres d’un Kinois à l’oncle du village (pamphlet), Cahiers africains no 15, éd. L’Harmattan, Paris, 1995

Kinshasa, signes de vie (pamphlet), Cahiers africains no 42, éd. L’Harmattan, 1999

La Guerre et la paix de Moni-Mambu, éd. Médiaspaul, 2006

Congo River, photographies de Thierry Michel, texte rédigé par André Lye Mudaba Yoka et Isidore Ndaywel, éd. Tournesol Conseils, Bruxelles, 2006

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